L'affaire Haddad «dépasse de loin tout ce que l'on peut imaginer. C'est un précédent, un cas unique dans les annales de la justice», déclare au Soir d'Algérie Me Zakaria Dahlouk, avocat du Trésor public. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - L'avocat semble lui-même choqué par les chiffres «astronomiques» auxquels il a eu accès. «Le préjudice est énorme ; terrible ! Jugez-en par vous-même : 50 millions d euros et près de 10 000 milliards de DA, de pertes pour l'économie nationale», s'écrie Me Dahlouk. Les 50 millions d'euros constituent la valeur d' achat de l'hôtel Palace en Espagne, poursuit notre interlocuteur. Ali Haddad, qu'il qualifie de véritable «baron du cartel financier algérien», a bénéficié, dit-il, de 275 marchés publics dans plusieurs (quatre ou cinq, dit-il) secteurs différents. «Il a touché à tous les secteurs, tous les domaines, là il a mis la main sur tout ce qu'il pouvait obtenir, dans l'agriculture, la pharmacie industrielle, l'hydraulique, les travaux publics, les mines… Tous ces marchés publics ont été acquis de 2010 au jour de son incarcération.» Les interventions de l'avocat du Trésor public sont très attendues lors des grands procès liés à la corruption. Il est connu pour dévoiler les chiffres que tous attendent. Dans l'affaire de Abdelghani Hamel, il avait porté l'estocade en énumérant, en fin de procès, la liste détaillée des biens immobiliers et comptes de la famille. «Vous verrez pour Haddad, promet-il, les Algériens ont raison de se demander où sont passés les 1 000 milliards de dollars». Il nous livre, cependant, un aperçu du contenu de la longue liste qui concerne Ali Haddad : 75 millions de dollars transférés illicitement à l'étranger, 55 sociétés détenues par lui et son frère (Rebouh Haddad également détenu), 452 prêts bancaires, «des sommes énormes qui se chiffrent en milliards et là le CPA vient en tête». Deux hôtels en Espagne, le Palace de Barcelone «et un autre hôtel», «et il y aura d'autres révélations incroyables durant ce procès». Selon Me Dahlouk, l'arrêt de renvoi est constitué de 720 pages. Ce document, apprend-on par ailleurs, est la partie émise par la Cour suprême, «le tribunal de Sidi-M'hamed n'a, quant à lui, pas encore eu le temps de finaliser son arrêt de renvoi, c'est un travail énorme». Des sources bien au fait de la situation indiquent que cette instance judiciaire a dû, tout de même, se résoudre à programmer le procès car l'un des détenus concernés par cette affaire a déjà fait ses huit mois de prison prévus par la loi. «En principe, le procès ne peut être programmé qu'après la finalisation de l'arrêt de renvoi par le tribunal compétent, mais dans le cas présent, l'affaire est très lourde, il faut vérifier, relire... Cela demande beaucoup de travail. Or, il se trouve qu'un ancien ministre a déjà purgé la peine prévue par la loi. Il fallait que les délais soient respectés et le procès a donc été programmé.» L'ancien ministre en question n'est autre que Amara Benyounès, nous apprennent les mêmes sources. Ce dernier est poursuivi pour octroi d'avantages indus. Plusieurs autres ex-ministres comparaîtront avec lui. Parmi eux, les deux anciens chefs de gouvernement, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, mais aussi Abdelghani Zaâlane, Amar Ghoul, Mohamed El-Ghazi, Amara Benyounès, Saïd Barkat, Mahdjoub Bedda et Abdelkader Bouazgui. Les noms de deux autres anciens ministres figuraient dans une liste publiée par la Cour suprême au cours du mois de juin dernier : Karim Djoudi et Amar Tou. Leur situation a été, cependant, modifiée, depuis. Me Chellouche, avocate des concernés, nous a fait savoir hier que ses clients avaient bénéficié d'un non-lieu. «Le procureur a fait appel, mais la chambre d'accusation a confirmé le verdict du juge, c'est définitif», explique l'avocate. Cette dernière nous a, en outre, fait savoir que si le juge chargé de l'affaire Haddad décide de les convoquer, «ce sera en qualité de témoins et non pas d'accusés». Egalement constituée pour la défense de l'ancien ministre de l'Industrie Youcef Yousfi, Mme Chellouche nous livre des explications qui témoignent de la grande complexité du dossier Ali Haddad. «Le dossier de l'automobile a été divisé en trois parties, et l'une des ces parties sera également traitée durant ce procès, il y a donc deux affaires en une.» L'affaire automobile en question concerne la société de construction automobile Saven à travers laquelle Haddad projetait la production de véhicules de marque Astra. Les ministres poursuivis dans ce dossier sont Youcef Yousfi, Mahdjoub Bedda et Ahmed Ouyahia. La justice a décidé également d'associer le dossier Sovac à cette affaire. Mourad Eulmi, patron de cette société de montage automobile, a été cité parmi les personnes appelées ce lundi par le tribunal de Sidi-M'hamed. Comme les autres prévenus, il n'avait, cependant, pas été extrait de la prison d'El-Harrach pour raison sanitaire. A. C.