Si je compte bien, je suis à la huitième semaine de confinement. Le tunnel s'allonge de jour en jour. Il a l'air de ne pas finir de s'allonger. La lumière est loin d'apparaître au bout. Aujourd'hui, je me suis risqué dehors. Je voulais (re)voir Tizi. Je me suis masqué. J'ai pris ma tire. J'ai été étonné, vraiment étonné. Si les boutiques sont fermées, les gens circulent comme si de rien n'était. Peu de bavette. Ou pas du tout. Je voulais crier à la ronde : «Oyez, oyez, braves gens, le déconfinement n'a pas encore eu lieu. Faites attention à vous ! Sortez masqués ! Oyez, oyez, braves gens.» Et si tout ce beau monde confondait le «déconfinement» qui a lieu en France ? En tout état de cause, les voitures circulent normalement. Ça circule, quoi. J'extrapole : que se passera-t-il le jour où les gouvernants décideront de «déconfiner» ? Ce sera la ruée. Le rush. L'explosion. Une débauche de proximité sociale. Je vois la scène d'ici. Perso, j'écume tous les documentaires de toutes les chaînes de la parabole. La nuit, je me crève les yeux à dévorer des livres de poésie. Il n'y a que ça qui m'inspire. M'apaise. Et me détourne de mes cauchemars. Puis, il y a le bigophone qui ressasse, à n'en plus finir, les mêmes interrogations. Il n'y en a que pour le Covid-19. Rien que pour le corona. C'est trop pour ma caboche. A croire qu'il n'y a plus rien à dire. Rien à se mettre sous la dent. Corona par-ci. Confinement par-là. Masque de l'autre côté. Et espoir de «déconfinement», ensuite. Je vais revenir sur le décès d'Idir. Je pensais naïvement que les gens allaient prendre la posture du respect dû à un mort. Non, justement ! De derrière les fourrés, bien embusqués, snippers de malheur, il y en a qui n'attendent que ce moment de deuil pour lancer leur venin. J'en ai lu pas mal d'horreurs. Comme si Idir avait mal fait de mourir. Ô Seigneur, retenez mes phrases pour ne pas tomber, à mon tour, dans l'outrance ! J'ai lu qu'Idir n'était pas musulman. Qu'il était athée. Qu'il était… quoi, encore ? S'il ne l'est pas, c'est son problème. En quoi ça regarde quiconque ? Pire encore : certains esprits malades le voient déjà en enfer. Pourquoi ? Parce qu'il a chanté sa mère Kabylie. Parce qu'il a chanté l'âme kabyle. Parce qu'il a porté vers l'universel l'Awal kabyle. Rien que pour ça, Idir est voué aux gémonies. Je me suis dit que ces gens-là n'avaient aucun niveau. Qu'il faut les laisser pour ce qu'ils sont. Même si je n'admets pas ce racisme anti-Kabyle qui, à chaque occasion, revient à la charge toute honte bue. Le Kabyle doit-il prouver quelque chose de particulier ? Le Kabyle doit-il se justifier tout le temps pour dire son identité ? Je sais qu'on est toujours le bougnoule de quelqu'un d'autre. Les exemples sont légion dans l'histoire de l'humanité. Aussi, ces intellectuels qui sont intervenus avec tout leur art ont laissé une certaine subjectivité prendre le pas sur leur esprit de raisonnement. Idir n'attend aucun «bon point» de quiconque. Et le Kabyle n'attend aucune autorisation de quiconque pour tracer sa culture dans l'immédiat. Et dans une projection de demain. Ces intellectuels ont laissé passer une chance de remiser leur plume. Ou de la tremper dans l'encre de la raison objective. Les atavismes, chez ces gens-là, sont tenaces. Le Kabyle a-t-il trop fait de vouloir vivre sa culture, son mode de vie et sa langue. De vouloir intégrer son Histoire. De vouloir mettre en valeur ses héros. Oui, messieurs, je tiens à cet Ancêtre comme à la prunelle de mes yeux. Je n'en changerai pas, d'Ancêtre, le mien me suffit. J'étais Gaulois dès mon entrée à l'école à la fin des années cinquante. En 62, on m'a mis une tunique qui n'était pas la mienne. Avec d'autres, j'ai cherché l'Ancêtre. Et nous l'avons trouvé. Le reste n'est que littérature ! Dans ce brouhaha, je n'arrive plus à me retrouver. Que faut-il à notre pays pour aller mieux ? D'abord, l'apaisement. Ensuite, cesser de chercher ailleurs sa «bédouinité». L'apaisement, quoi de mieux ? Pourquoi donc chercher à inventer un itinéraire qui, en réalité, n'en est pas un. N'est-on donc pas capable d'inventer, pour nous, un substrat qui ne reflète que nous-mêmes ? Et rien d'autre ! Il est inutile de chercher «ailleurs» un succédané à ce que nous sommes. Inutile, personne ne veut de nous. Puis, dans ce genre de problématique, il faut impérativement mettre en avant l'intérêt de l'Algérie avant toute autre considération philosophique. Je ne peux pas aller chercher mon algérianité ailleurs qu'en Algérie. Ni à l'est. Ni au nord. Ni au sud. Ni à l'ouest. Il faut tirer l'algérianité de l'Algérie. Et s'il faut la réinventer, il faut le faire. Nous disposons des matériaux historiques, sociologiques, humains, culturels pour ce faire. Les singeries ne mèneront à rien. La haine de soi ne mènera à rien. L'Algérien doit revenir à l'essentiel. Et les intellectuels ont un rôle à jouer. Ce n'est pas parce qu'une certaine pensée, d'ici ou de là, nous fait des avances qu'on doit, forcément, tomber dans les bras des chimères. Il peut être facile le confort de l'exil intellectuel de Paris ; comme celui d'Alger peut être difficile. Il est aisé néanmoins de ne pas faire le jeu du mimétisme aveugle. Rappelons-nous le sketch de Fernand Raynaud, Le boulanger, et tirons la morale du coup d'œil. Ou du coup de pied. J'en ai gros sur le cœur de devoir, à chaque fois, conjurer les démons de l'insulte et des anathèmes. L'anonymat de la Toile peut être un déclencheur, je le comprends. Qui que vous soyez, vous n'avez pas le droit de verser de cette manière dans l'excommunication. Puis, la justice doit logiquement faire son boulot. Et arrêter ces boutefeux de la division. Quant à certains intellectuels, ils devront faire attention de ne pas rajouter de l'huile sur le feu. ça ne rajoute rien à leur gloire. Ni à leur notoriété du moment. Ni à leur talent. Si j'aime leur création, je n'aime pas – par contre — ce qui s'apparente à des diatribes inutiles. Ou ce qui s'apparente à des jeux de mots futiles. J'ose espérer que la prochaine Constitution mettra de l'ordre dans ces domaines de l'identité, des langues et du projet de société de la nouvelle république. Perso, je n'ai pas pris connaissance du projet de Constitution. J'ose espérer que l'intelligence politique et la pédagogie sociale seront les maîtres-mots dans la prochaine loi-mère. Y. M.