Voilà, c'est la troisième semaine de confinement. Ça passe à un rythme douloureux. Dire que je n'ai pas peur, c'est mentir gros. Un peu comme tout le monde, j'ai l'impression de tomber dans le vide ; je n'attends plus que le bruit de la chute. Un peu comme tout le monde, je tente de tracer un emploi du temps, impossible à mettre en œuvre. Un peu comme tout le monde, je me couvre d'optimisme, quand tous les signaux sont au rouge. Bon, il y a eu un confinement partiel, puis suivi d'un couvre-feu de 19 heures à 7 heures du matin. Oui, pourquoi pas, s'il y a là un bon sens de protection. Puis, je sais que l'Algérien ne respecte pas totalement ce confinement. Puis, j'ai vu ça ailleurs. En Inde, j'ai vu sur les réseaux sociaux des citoyens se faire tabasser pour n'avoir pas respecté les consignes de sécurité. En Chine, comme en France, des drones sont utilisés pour traquer les récalcitrants. Et les récalcitrants, il y en a en Algérie. Du moins, c'est le cas à Tizi. Le virus est invisible ; dès lors, les gens considèrent que ça n'arrive qu'aux autres. C'est là où le bât blesse. Le corona touche tout le monde, sans distinction. De tous âges. Malades ou bien portants. Puis, ce virus est insaisissable. Il passe d'un corps à un autre rapidement. Il est partout. Puis, il tue ! Il ne faut donc pas le sous-estimer. Oui, J'ai cru comprendre que le confinement allait être total, compte tenu du pic de l'épidémie qui s'annonce. C'est ce que j'ai lu sur les réseaux sociaux. Il s'agit bien de la déclaration du ministre de la Santé, non ? Il suffit de mettre en place la logistique nécessaire. Prévoir les canaux de ravitaillement pour la population. Surtout les plus démunis (journaliers et autres). D'un autre côté, les pouvoirs publics autorisent certaines professions à rouvrir (mécaniciens, droguistes…). Je ne comprends pas cette décision. Je me vois mal prendre mon tacot au mécano du coin. Ce n'est pas la priorité, me semble-t-il. La priorité est de faire en sorte de ne pas être un vecteur de contamination. Ne pas choper ce virus. Et ne pas le passer à son voisin. Aussi, s'il faut confiner totalement, il faut le faire ! Pour faire passer le temps, il faut une sacrée dose de malice. Ou de désespoir. C'est selon ! Chacun a son style. Ses choix. Et ses instruments. Et ceux qui n'ont rien ? me dit la petite voix. Ceux qui sont déjà confinés dans un petit appart ? Ceux qui ont des difficultés de fin de mois ? Les enfants ? Les vieux ? Puis, « le temps mène la vie dure à ceux qui veulent le tuer » (Prévert). Perso, je ne veux pas le tuer, je veux juste le domestiquer, en faire un compagnon de ma peur quotidienne ; il est préférable d'en faire un allié, un ami voire, pour pouvoir supporter ces journées qui s'allongent fatalement. Perso, je ne fais plus le tour de mon chez-moi. Ça y est, j'ai fini définitivement d'en faire le tour. Je connais les moindres recoins de mon appart. Je m'amuse maintenant à la cuisine. Je fais comme si j'étais le chef. Je marmite. Je ne dis pas que je cuisine, je marmite. Je fais semblant. J'ai pris un recueil de recettes. Oh, je ne me rappelle plus du plat. En fait, j'ai cherché les condiments (parce qu'il faut les trouver), les légumes (patates, carottes, oignons, persil, coriandre…) ; j'ai mis tout ça dans la marmite et un os (perdu au fond de mon freezer), un peu d'eau et j'ai laissé mijoter. Mais, Seigneur, pour combien de temps ? Mon livre de cuisine est muet sur ce plan. Allez, une bonne vingtaine de minutes. Montre à la main, je compte les vingt minutes. Ponctuel, j'éteins le feu sous la marmite. Je laisse refroidir tranquillement. Puis, je mets un filet d'huile d'olive. Puis, je me sers un plat. Je goûte. J'ai oublié le sel. C'est fade. C'est fait exprès, je suis au régime sans sel. Mon toubib me mène la vie dure. Je sors ma harissa, pour relever mon plat. Je me régale, wallah. Il me vient une idée : après cette épidémie, je vais ouvrir un bouiboui, il y en a tellement à Tizi. Je l'appellerai « Le bouiboui de l'avenir ». J'ai cru comprendre qu'une cure de vitamine D est nécessaire ; c'est simple, selon le spécialiste de la télé, il suffit de prendre un bain de soleil une quinzaine de minutes, et ce sera suffisant. Je ne me le fais pas dire deux fois. Je sors ma chaise de plage, toute déglinguée, et je me mets sous le soleil. Ah, ça réchauffe les os ! Je remarque un manège, juste en face moi. Un couple de merle n'arrête pas de se mettre sur la branche du laurier. Ces merles n'arrêtent pas de flûter. Je reconnais que c'est agréable à l'oreille. Question saugrenue : un merle peut-il être contaminé par le Covid-19 ? A les voir s'agiter, voleter, flûter, sortir et rentrer dans l'arbre, je dois certainement assister à une romance, qu'on ne voit plus chez les êtres humains. Mon hibou ? Quoi, mon hibou ? Il a encore une fois pris la clé des champs. Il y a au moins trois jours que je n'ai pas entendu son chant nocturne. Il reviendra, certainement. Sinon, ce sera un autre ami que je perds ; il y en a eu avant lui, hélas ! Mais que se passe-t-il en Algérie ? Boukistiou ! L'Algérie, comme les Etats-Unis et autres, retient son souffle. Un peu comme le monde en prise avec cette épidémie, l'Algérie est en apnée. Elle est face à une terrible maladie, le corona. Il arrivera un temps où l'on parlera de l'année du Covid-19, comme il y a eu le temps du typhus, de la grippe espagnole, de la peste noire… En attendant, le ministre de l'Education ne nous dit rien sur les examens à venir. La France, à l'avance, a tranché ; le contrôle continu fera le compte. Et chez nous ? Silence, je n'en sais rien. Le ministre des Finances doit se tirer les cheveux. Il faut des sous pour faire face à ce cauchemar. Mais, il est à quel prix notre pétrole ? Le ministre de la Santé est sur tous les fronts, c'est une guerre contre un mutant de virus. Il faut des masques. Il faut de l'alcool hydoralcoolique. Il faut des respirateurs. Il faut des places de réanimation. Il en faut beaucoup. Il faut des tests de dépistage. Au fait, sommes-nous en phase avec la réalité de l'épidémie ? Je ne sais pas. Il faut surtout des décisions réfléchies pour sortir le pays, sans trop de casse. Pour cet espace de parole, je laisse dire El-Mahdi Acherchour : « La nuit n'a pas de début/Ce poème non plus/Qu'importe l'origine des choses/C'est l'heure d'ouvrir les clôtures/Puis les yeux/C'est toi/Je me rappelle de l'endroit où je t'ai inventé/C'était dans la nocturne volonté de rester en vie/Comment pourrais-je l'oublier/Comment ? » Y. M.