Entretien réalisé par Rym Nasri L'ancien chef de service de la clinique des maladies respiratoires au CHU Mustapha-Pacha, le professeur Salim Nafti, revient longuement sur la réactivité de notre système de santé face à l'irruption d'une pandémie planétaire. S'il est encore trop tôt pour évaluer et tirer les leçons du Covid-19 afin de pouvoir faire face aux défis à venir, cette crise sanitaire aura au moins démontré, selon le spécialiste en pneumo-phtisiologie, que notre système de soins dispose de compétences humaines et techniques, facilement mobilisables à condition d'y mettre les moyens. Le Soir d'Algérie : Partant de votre longue expérience de la pratique hospitalière, pensez-vous que nos établissements de santé sont aujourd'hui bien préparés pour lutter contre la pandémie de coronavirus Covid-19 ? Salim Nafti : Il faut espérer que cette pandémie nous permettra de tirer des leçons pour éventuellement améliorer et perfectionner notre système de santé afin de faire face à n'importe quelle situation sanitaire. Notre système de santé dispose de nombreuses compétences qui sont capables d'être facilement mobilisées à condition de les motiver et de leur donner les moyens pour mener à bien leur mission. Nos établissements de santé doivent cependant être rénovés et disposer des moyens et d'équipements modernes et les mettre à niveau afin de dispenser des soins de qualité. Le nouveau coronavirus Covid-19 doit être un test pour évaluer nos capacités de prendre en charge des pathologies comme cette pandémie qui a surpris tout le monde par son irruption dans le paysage sanitaire de la planète. Il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences de la pandémie sur notre système de santé , mais cette évaluation est indispensable pour faire face aux défis à venir. Est-ce que le personnel soignant est suffisamment protégé contre le virus ? La revendication principale des professionnels de santé lors des visites d'inspection de nos responsables politiques, dans différentes régions du pays, portait sur le manque de moyens de protection contre le virus (masques, tenues de protection, désinfection des locaux…). Même si la surprise de la propagation de la maladie a pris de court tout le monde, la prise en charge de cette revendication aurait due être une priorité des autorités et rapidement satisfaite. Trois mois après le début de la pandémie, force nous est donné de constater que le problème n'a pas été résolu partout, même si des pays plus nantis que nous restent confrontés à ce problème. Y a-t-il des dysfonctionnements constatés sur le terrain et qu'il faudrait corriger ? Encore une fois , les dysfonctionnements sur le terrain au début de la pandémie n'ont rien d'étonnant ,mais une fois l'effet de surprise passé ,il fallait réagir en urgence en raison de la gravité de la situation. Tout d'abord sur le plan du dépistage de la maladie, il fallait, comme l'avait recommandé, dès le début du mois de mars, le directeur général de l'OMS «tester, tester, tester». La décentralisation des centres de dépistage, qui est intervenue un peu plus tard, nous aurait permis d'avoir une idée plus exacte sur la prévalence de la maladie et , par conséquent, une mobilisation de tous les moyens humains et matériels pour une meilleure prise en charge des malades. La création d'unités de prise en charge pluridisciplinaire comportant infectiologues, pneumologues, réanimateurs, biologistes… et disposant de moyens et équipements nécessaires à la prise en charge des malades, le confinement total de toutes les personnes âgées et de tous les sujets à risque (porteurs de tares), le respect des mesures barrières et la sanction de tous les contrevenants aux dispositions légales. Est-ce que les maladies respiratoires sont une source de gravité supplémentaire de l'infection au coronavirus Covid-19 ? Les maladies respiratoires chroniques (asthme, BPCO, dilatation des bronches, fibrose pulmonaire,…) sont effectivement source de gravité supplémentaire de l'infection au Covid-19 en raison de la baisse de l'immunité locale du poumon favorisée par ces maladies. Le tableau clinique de l'infection au coronavirus chez les patients atteints de maladies respiratoires est particulièrement sévère, voire mortel. Il y a eu des affirmations pour le moins étonnantes sur le tabac. Est-il vrai que fumer n'est pas forcément un facteur aggravant face à ce virus ? Cette affirmation a été pour nous, militants de longue date de la lutte antitabac, une surprise et une révélation qui nous a perturbés. Sachant que la consommation de tabac altère fortement la fonction respiratoire et entraîne une diminution importante de l'immunité du poumon, affirmer que le tabac «protège» contre le Covid-19 fut pour nous révoltant ! Ceci a été démenti le 8 mai dernier par une responsable de la pandémie à l'OMS qui a soutenu le contraire, car les études menées sur le sujet ont porté sur un nombre très réduit de malades, ce qui ne permet pas de tirer des conclusions fiables. Les mesures adoptées par notre pays pour lutter contre la propagation du coronavirus sont-elles suffisantes ? La seule mesure qui peut venir à bout de la pandémie est le confinement et si possible, le confinement total ! La circulation du virus est interhumaine et tant que les individus se rencontrent, le virus «voyage» et circule, c'est la propagation. À titre d'exemple, à Blida, au bout de vingt jours de confinement total, la situation s'est nettement améliorée mais la levée du confinement partiel dans la capitale et la reprise des activités commerciales ont entraîné une recrudescence de l'infection. Ceci a poussé le chef de l'Etat à sortir de sa réserve et à menacer de sévir contre ceux qui ne respectent pas le confinement. Quelle est la conduite à tenir individuellement et comment se protéger ? Seule la bonne conduite et le respect des consignes de protection par chaque individu ont une incidence sur la collectivité. Ces mesures sont maintenant largement diffusées par tous les organes d'information et personne n'est censé ne pas les connaître. Il est fait appel au civisme de chacun, mais aussi prévoir des sanctions contre les contrevenants. Il est regrettable de constater que pendant ce mois sacré, une frange de la population a tendance à oublier les mesures de confinement et les agents chargés de les faire respecter brillent par leur absence sur le terrain. Les masques chirurgicaux et en tissu sont-ils efficaces ? Les masques sont un moyen de protection individuelle et en particulier pour les sujets symptomatiques. Ils évitent la propagation du virus surtout dans les lieux publics et dans les transports où ils sont indispensables. Que ce soit des masques chirurgicaux ou en tissu, ils sont très utiles, encore faut-il qu'ils soient disponibles et d'un coût abordable pour tous. Tous les moyens doivent être mobilisés pour en fabriquer en quantité suffisante. On peut aussi les recycler en les désinfectant par leur exposition à la vapeur pendant 30 secondes. Comment gérer les déchets (masques et gants) en dehors des hôpitaux. Y a-t-il un risque de contamination pour les agents de collecte des déchets ménagers ? Là aussi, il faut une éducation et une sensibilisation à la gestion des masques et des gants usagés. Il ne faut pas les jeter n'importe où mais dans des sacs-poubelles que l'on doit fermer pour éviter de contaminer les agents de collecte des déchets ménagers. Même si le virus est fragile et meurt en quelques heures ou quelques jours selon la surface sur laquelle il se dépose (3 à 6 heures sur du plastique ; bouteille d'eau minérale, 2 à 4 heures sur du carton et 2 à 3 jours sur du métal), il est indispensable de respecter les gestes barrières. Ry. N.