Dans certains pays, face à l'essor de la bureaucratie et ses conséquences pour les citoyens et le bon fonctionnement de l'administration, l'Exécutif a été amené à créer la fonction de médiateur. C'est ce que vient de (re) faire l'Algérie. Quelle est la définition du médiateur, quelles peuvent être ses différentes missions et quels sont les critères de jugement qu'il doit appliquer aux actions publiques ? Autre question : quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour que le médiateur puisse exercer au mieux sa mission comme le processus de sa nomination, la durée de son mandat, les ressources mises à sa disposition, etc. ? Parmi les actions que peut initier le médiateur pour contribuer à la lutte contre la corruption, peuvent être mises en avant la surveillance des avoirs des élus, des membres de l'Exécutif et des hauts fonctionnaires, l'accès à l'information et le suivi de la qualité des services publics. Le fonctionnement de la médiation et les critères qui permettent de fixer les priorités dans les affaires à traiter. La médiation est l'un des plus anciens métiers du monde. Les sociétés et les gouvernements ont toujours fait appel à des intermédiaires ou à des arbitres pour enquêter sur des conflits et proposer des solutions, ou pour vérifier le bien-fondé de doléances de citoyens vis-à-vis du mauvais fonctionnement d'un service public. Les expériences menées un peu partout dans le monde ont connu plus ou moins de succès. Néanmoins, nombre d'observateurs s'accordent à reconnaître l'utilité du médiateur, pour peu qu'un minimum de conditions et de moyens soient réunis afin qu'il mène à bien sa mission. Que peut faire un citoyen ordinaire quand les choses tournent mal et que sa plainte contre l'administration n'est pas entendue ? Une possibilité est de porter l'affaire en justice. Cependant, les tribunaux ont tendance à être lents et coûteux, et peuvent également connaître une certaine désorganisation, voire même la corruption. Comment les citoyens peuvent-ils être alors protégés ? Dans de tels cas, nombreux sont ceux qui se tournent vers «l'ombudsman» ou médiateur, appelé aussi «défenseur du peuple» en Espagne (defensor del pueblo) ou «protecteur public» en Afrique du Sud (public protector). À l'heure actuelle, la fonction de médiateur est prévue par la Constitution de nombreux Etats. Elle connaît même une prolifération dans certains pays si bien qu'il existe des bureaux de médiateur ad hoc dans différents secteurs, les banques, la santé, les assurances, pour n'en citer que quelques-uns. L'Association des médiateurs britanniques et irlandais a imposé des critères qui éliminent les institutions «d'ombudsman» qui sont en fait prisonnières des organisations qu'elles sont supposées surveiller au lieu d'en être indépendantes. L'association ne reconnaît que les bureaux qui remplissent quatre critères : indépendance du médiateur vis-à-vis des organisations contre lesquelles il ou elle a le pouvoir d'investigation ; efficacité ; équité et ; obligation de rendre compte au public. Rétablir la confiance en l'intégrité des institutions C'est le critère d'indépendance qui distingue avant tout les services de médiation reconnus des autres moyens de recours. Les responsables des recours internes à leur propre organisation ne sont pas complètement indépendants et emploient improprement ce terme lorsqu'ils se revendiquent en tant que médiateurs ou «ombudsmen». Le concept de médiateur a gagné en popularité dans le secteur privé, et ce vocable y est utilisé à présent de plus en plus souvent. Ici, nous nous limiterons à «l'ombudsman» classique, c'est-à-dire au médiateur dans le secteur public. Le médiateur est une instance qui reçoit et examine de façon indépendante des allégations de mauvaise gestion des affaires publiques. Cette instance ne rivalise pas avec les tribunaux et n'agit pas comme instance supplémentaire que peuvent saisir les personnes déboutées par les instances juridictionnelles traditionnelles. La plupart n'ont pas la compétence d'enquêter dans les tribunaux. En général, les fonctions principales du médiateur sont les suivantes : (i) examiner une décision, une procédure, une recommandation, un acte ou une omission qui serait : contraire aux lois, règles et réglementations ou, qui marque un manquement à l'usage ou à la procédure établis, à moins que cela ne soit de bonne foi et avec un motif valable ; pervers, arbitraire ou excessif, injuste, partial, oppressif ou discriminatoire ; fondé sur des raisons sans rapport ; ou, qui implique l'exercice du pouvoir, ou encore négliger ou refuser de le faire pour des motifs impropres tels que la corruption, la concussion, le favoritisme, le népotisme et les abus administratifs, et ; (ii) mettre en exergue une négligence, une inattention, un retard, l'incompétence, l'inefficacité et l'ineptie dans l'administration ou l'accomplissement de devoirs et responsabilités. En sus des dispositifs déjà existants tels que le Parlement, l'appareil juridictionnel et les procédures de plaintes internes, l'institution du médiateur donne la possibilité aux particuliers de déposer des plaintes relatives à des pratiques du gouvernement auprès d'une instance indépendante et experte. Les plaintes dont est saisi le médiateur peuvent aboutir à l'introduction d'une action correctrice pour régler des cas particuliers d'une incurie administrative et, dans un contexte plus large, aider à rétablir la confiance en l'intégrité des institutions. Etant donné ce rôle vis-à-vis des particuliers, la loi ou la réglementation qui institue la fonction de médiateur choisit souvent délibérément de désigner une seule personne, le médiateur ou «ombudsman» national, comme représentant de cette institution aux yeux du monde extérieur afin de faire contrepoids à une bureaucratie trop souvent anonyme. En tant qu'instance constitutionnelle en vue, le service est peut-être plus apte que d'autres à résister aux pressions indues de l'Exécutif. Il peut exercer une fonction de contrôle pour stimuler les flux d'informations qui révèlent l'étendue de la corruption au sein du gouvernement. La confidentialité de ces procédures apporte au service l'avantage supplémentaire de fournir un écran protecteur contre toute tentative d'intimidation des témoins et des plaignants. Dans nombre de pays, le mandat du médiateur s'étend également à l'examen et à l'inspection des structures administratives de manière à garantir qu'elles limitent la corruption au minimum. Ainsi, il peut recommander des améliorations de procédures et pratiques, et inciter les fonctionnaires à tenir leurs dossiers en ordre à tout moment. Le médiateur est sollicité quand l'administration n'arrive pas à réaliser sa mission ou quand la demande d'un citoyen n'est pas satisfaite conformément aux lois en vigueur. Dans une démocratie qui fonctionnerait parfaitement, personne ne verrait l'utilité d'un médiateur. Cependant, lorsque l'Etat de droit est vacillant ou que la bureaucratie prend le dessus, la corruption gagne du terrain. Quels critères de jugement le médiateur doit-il appliquer aux actions publiques ? Quand une conduite est-elle appropriée ou non ? Lorsqu'une action donnée du gouvernement est en conflit avec les lois et principes, et ne semble pas être justifiée par d'autres raisons, elle ne peut, par principe, être considérée comme étant une conduite appropriée. Dans l'idéal, un médiateur examine l'action dans son ensemble et la revoit tant à la lumière des dispositions de la législation écrite qu'à la lumière des principes juridiques non écrits, ainsi qu'à l'aune des normes de bonne gouvernance. L'examen de l'action par rapport au droit écrit inclut des domaines tels que les droits humains et constitutionnels, les définitions des domaines de compétence et les dispositions découlant du droit procédural et du droit positif. L'examen de l'action à la lumière des principes juridiques non écrits (élaborés par la doctrine juridique et la jurisprudence) est tout aussi pertinent pour juger de la légalité de la conduite du gouvernement et comporte les principes suivants : égalité de traitement ; caractère raisonnable ; proportionnalité des moyens par rapport à l'objectif ; sécurité juridique et attentes légitimes ; l'obligation de motiver les décisions et ; le devoir de prudence et de diligence. En outre, lors de l'examen d'une action publique, le médiateur doit également user de normes et principes de bonne gouvernance qui contribueront à la rectitude de conduite des organes exécutifs. Ces normes se résument à l'imposition du devoir général de vigilance. Elles se manifestent dans certaines normes acceptées de procédures administratives et de conduite des agents de l'Etat vis-à-vis du public. Elles incluent le devoir d'agir sans retard injustifié, de fournir à la personne toutes les informations pertinentes, d'assurer un traitement équitable et respectueux et d'être impartiales et serviables. Enfin, le médiateur établit des normes pour l'organisation des structures du gouvernement. Ces normes incluent celles relatives à la coordination, au suivi des avancées réalisées, à la protection des données confidentielles des particuliers et à l'accessibilité des autorités. Comment le médiateur décide-t-il des affaires à traiter ? Dans le monde entier, les services du médiateur reçoivent bien plus de plaintes qu'ils ne sont habilités à en traiter par la législation nationale. C'est pourquoi ils opèrent dans le cadre juridictionnel prévu par la loi de leur pays respectif. Les directives en matière de recevabilité des plaintes incluent généralement les aspects suivants : la plainte doit relever de la compétence du médiateur (un nombre surprenant de cas ne relèvent pas de la compétence du médiateur) ; le plaignant doit avoir épuisé toutes les voies de recours à sa disposition. («L'ombudsman» se doit d'être l'ultime recours et non pas le premier.) Si ce n'est pas le cas, est-il raisonnable d'attendre qu'il le fasse ? L'affaire est-elle en train de passer devant les tribunaux ? Si oui, est-il opportun de faire intervenir le médiateur ? le plaignant doit démontrer un intérêt personnel suffisant pour l'objet de la plainte ; le plaignant doit sembler agir de bonne foi. Le médiateur devrait-il mener expressément une action de lutte contre la corruption ? Le médiateur classique s'occupe d'éliminer les actes de mauvaise administration et, généralement, la mauvaise administration provient du fait de différents degrés de corruption dans la fonction publique. Par conséquent, le médiateur devra affronter la corruption là où elle est la cause de dysfonctionnements dans l'administration. Afin de remplir sa mission d'amélioration de la gestion des affaires publiques, le médiateur doit tisser des rapports de confiance avec ceux dont il est chargé de surveiller le sens moral. En général, dans la mesure du possible, il est déconseillé au médiateur de mener une action d'instruction et de poursuites. Cela transformerait le «médiateur amical» en «gendarme redouté» et pourrait, dans certains contextes, rendre les fonctions du service plus larges et moins efficaces. Cela étant, il est considéré dans plusieurs pays que le médiateur, qui a un droit de regard sur les documents du gouvernement, est dans une position bien plus avantageuse pour enquêter et réglementer l'administration publique que les enquêteurs moins chevronnés de la police. À titre d'exemple, le médiateur peut être chargé de la surveillance des déclarations de patrimoine des membres de l'Exécutif et des élus. Il peut contribuer à renforcer le droit à l'accès à l'information, comme il peut contrôler la qualité des services publics. Djilali Hadjadj