Par Boudjemaâ Haichour(*) En ce 58e anniversaire de notre indépendance nationale, l'Emir Abdelkader s'invite de par la grandeur de sa personnalité. Précurseur de la Nation et de l'Etat algérien, il est une figure d'exception. La courbe de vie est érigée en quête d'absolu. «C'est l'homme le plus prestigieux de son siècle», disait Ernest Renan, qui le décrit comme «un visionnaire habité par une puissance d'esprit et une imagination créatrice hors du commun». Beaucoup d'ouvrages témoignent de son parcours. La biographie qui lui est destinée le situe parmi les célébrités militaires des armées de terre et de mer. Charles Mullié écrit qu'il est des hommes extraordinaires de son époque, le Jugurtha de son époque. Alexandre Bellemare l'inscrit comme un monument littéraire. L'Emir Abdelkader, le chevalier de la foi et fondateur de l'état algérien moderne C'est en ce sens que le nationalisme algérien ne pouvait le laisser tenu en otage par la doxa coloniale. C'est d'une référence fondatrice, mieux encore, en emblème onomastique d'une Nation en lutte pour reconquérir sa souveraineté. La reconquête identitaire de l'émir Abdelkader dans la publication, en 1946, par Mohamed Chérif Sahli, L'Emir Abdelkader, le Chevalier de la Foi le classe parmi l'un des plus brillants idéologues nationalistes. Kateb Yacine en fait la même chose lors de la conférence qu'il donna à Paris à l'occasion de l'anniversaire du 8 Mai 1945, parue chez l'édition imprimerie Nahdha en 1948 sous le titre «L'Emir Abdelkader et l'indépendance de l'Algérie». À l'indépendance, c'est le livre du Colonel Charles Henry Churchill, The life of Abdelkader, ex-Sultan of the Arab of Algeria, dédié à l'empereur Napoléon III, qui est une mémoire vivante de l'Emir, une lettre de sa main placée en tête du volume daté du 1er Jumad 1273 correspondant au 25 décembre 1856. Ce livre fut traduit en français en 1974 par Habar et en arabe par Belkacem Saâdallah. Ce qui constitue une remarquable anticipation de la doctrine officielle «L'Emir Abdelkader, fondateur de l'Etat algérien moderne». Viennent ensuite des écrits sur El Mokrani, Cheïkh El Haddad, Bouamama, Hadj Ahmed Bey qui concourent à mettre une Biographie de la Nation. Un travail de déconstruction était nécessaire. La biographie de l'Emir Abdelkader en 1994 par Bruno Etienne et celle d'Ahmed Bouyerdène en 2008 affirmaient les écrits spirituels. Houari Touati écrivait depuis l'EHESS Paris sa quête initiatique, son parcours du combattant. Il disait de l'Emir Abdelkader le bâtisseur de l'Etat algérien. Ernest Renan le présente en 1858 aussi «comme le plus illustre représentant de la race sémitique de nos jours. Abdelkader est un savant, un homme de méditation religieuse», alors que Victor Hugo le décrit en 1862 dans Châtiments comme «l'homme fauve du désert ; lui le sultan né sous les palmiers. Le compagnon des lions roux, le hadji farouche aux yeux clairs. L'Emir pensif, féroce et doux». Pour le maréchal Soult, quant à lui, «il n'y a présentement dans le monde que trois hommes auxquels on peut accorder légitimement le qualificatif de Grand et tous trois appartiennent à l'islamisme ; ce sont Abdelkader, Mohamed Ali et Chamyl». Assurément, conclut le Maréchal Bugeaud, «l'Emir est un homme remarquable que l'Histoire doit placer à côté de Jugurtha. Il est certainement l'une des grandes figures historiques de notre époque. S'il y avait en Algérie un héritier d'Abdelkader dépositaire de sa pensée, fidèle à sa tradition et possédant son envergure, il ferait profiter la race indigène de l'expérience laborieusement acquise par son dernier sultan pour l'entraîner dans la voie du progrès». Rapporté par le général Paul Azan en 1925. El moubayaâ ou le serment d'allégeance L'Emir Abdelkader est né le 6 septembre 1808 et mort le 26 mai 1883. Il est plébiscité lors de la 1re moubayaâ le 21 novembre 1832 à Ghriss, sous la Dardara (palmier), sorte de suffrage universel où le peuple lui prête allégeance publiquement en faisant rassembler autour de lui les grands chefs de tribu. Il avait 24 ans lorsqu'il recevait ce sacre le 27 novembre 1832 à l'intérieur de la mosquée de Mascara. Comme son père, il est affilié à la confrérie Al Qadiria (Naqshbandyya-Al Chadilya). Cette 2e moubayaâ est un pacte scellé qui est un serment d'allégeance. Mon ami Ammar Belkhodja lui consacra un livre L'Emir Abdelkader, ni sultan ni imam. De la Guetna de Mascara, l'Emir Abdelkader descend de la grande tribu des Hachem dont le patriarche ou l'ancêtre éponyme est Hachem. Il s'agit d'Ali, Aqil, Djaafar et Abbas, tous d'Ahl Al Bayt. Il combattra les généraux coloniaux français tels Bugeaud, Clauzel, Lamoricière, Damrémont, Desmischel, Vallé sous le drapeau vert centré d'un large croissant dans sa procession ouverte par sa morale chevaleresque jusqu'à sa dernière énergie. L'exil de l'Emir Abdelkader, sauveur du massacre des 12 000 chrétiens La trahison des Marocains le contraint à se rendre aux Français où il sera interné et fait prisonnier au fort Lamargue le 23 décembre 1847 puis soumis à l'exil que d'être pris entre les mains du sultan. Alors que le traité fut renié par la partie française, l'Emir Abdelkader sera transporté par bateau de Ghazaouet à Toulon, puis de Toulon au château de Pau. Il obtient l'autorisation de se retirer à Damas en 1852 avec sa smala où il mène une vie austère écrivant 760 poèmes recensés dont Léon Roche en fera un portrait littéraire. Son fils aîné Mohamed publiera la biographie de son père à Alexandrie en 1903 sous le titre de Touhfat Al Zaïr. Il porte assistance lors des massacres contre les maronites où 12 000 chrétiens furent sauvés par ses soins. Musulmans druzes et maronites furent manipulés par les puissances coloniales de la région. Beaucoup de chefs d'Etat lui ont témoigné leur reconnaissance. Le Pape le fit décorer de l'ordre de Pie IX et reçut plusieurs distinctions, y compris de la franc-maçonnerie du Grand Orient de France, notamment la Loge Henri IV et la Sincère Amitié. Celles-ci lui ont adressé deux lettres en 1860. Il faut rappeler que la doctrine de l'Emir, issue de la spiritualité islamique, s'oppose radicalement à la vision profane et laïque de la maçonnerie en signifiant sa rupture définitive en cessant tout contact, y compris épistolaire, avec le Grand Orient de France en 1865. L'Emir Abdelkader a publié à Damas sa doctrine Wihdat Al Woujoud (L'Unité de l'Etre ou de l'Univers). Il sera un fervent adepte de son maître Ibn El Arabi, un mystique (soufi) dont il s'inspire de son ouvrage de chevet Foutouhat Al Mekyia. Il laissa cette citation : «Je professe la religion de l'Amour. Et quelque direction que prenne ma monture, l'Amour est ma religion et ma foi.» El Mawaqif sera publié pour la première fois en 1911 en Egypte, en Syrie, en 1966, et en Algérie en 1996. Le livre des Haltes a été traduit par Michel Lagarde à Cologne et Boston en 2002. Les Haltes sont traduites par Michel Chadkiwitcz - L'Emir Abdelkader l'héritier légitime d'Ibn Al Arabi. Il mourut dans la nuit du 25 au 26 mai 1883 à l'âge de 75 ans. Un film retraçant la vie de l'Emir, identique à celui du guerrier libyen Omar Al Mokhtar, devait être réalisé par le réalisateur américain Charles Burnet, auteur d'une vingtaine de films dont Killer of Sheep en 1977 et Namibia en 2009. La co-production algéro-américaine sur l'Emir Abdelkader a été confiée donc à ce réalisateur qui a fait des déplacements pour des repérages à Miliana. Ce film, selon les estimations, devait coûter environ 75 millions de dollars et la production devait être prête en 2015. B. H. (*) Membre du comité scientifique de la Fondation Emir-Abdelkader. Chercheur universitaire. Ancien ministre.