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MOHAMMED BOUTALEB, PR�SIDENT DE LA FONDATION �MIR ABDELKADER AU SOIR D�ALG�RIE :
�La soci�t� que concevait l��mir Abdelkader �tait pluriconfessionnelle�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 07 - 2009

Que sait la g�n�ration actuelle de l�Emir Abdelkader ? Pas grand-chose, sommes-nous tent�s de dire, comme sur toutes ces grandes personnalit�s qui ont marqu� l�histoire de l�Alg�rie. On les retrouve dans quelques passages dans des manuels confectionn�s � la h�te et sans recherche. Alors que des nations sans civilisation, sans Histoire, s�inventent des gloires et des victoires, nous, nous complaisons dans cette qu�te acharn�e � ternir ce qui doit faire notre fiert�. Dans cet entretien que Mohammed Boutaleb, le pr�sident de la Fondation Emir Abdelkader nous a accord�, nous apprenons que l�Emir a con�u le premier Etat alg�rien avant m�me l�existence de l�Italie ou de l�Allemagne en tant que tels. C�est aussi le premier homme � avoir pos� les jalons de ce qui est d�sormais appel� �les droits de l�homme� par sa fa�on de traiter les prisonniers de guerre et son �quit� face aux autres races qui composaient son arm�e. Il a �t� �galement consid�r� � son �poque comme l�incarnation de la tol�rance et du dialogue entre les religions pour avoir sauv� des milliers de chr�tiens d�une mort certaine. Il serait peut-�tre temps de revoir la relation qu�a l�Alg�rien avec son histoire car, comme disent les sociologues, �on ne peut construire son avenir sans conna�tre son pass�. Le d�bat est ouvert pour reconsid�rer les faits de notre Histoire avec ses failles, ses d�fauts, ses points faibles et ses points forts.
Entretien r�alis� par Fatma Haouari
Le Soir d�Alg�rie : Pourriez-vous nous pr�senter la fondation Emir Abdelkader et pour quel objectif a-t-elle �t� cr��e ?
Mohammed Boutaleb : L�id�e de cr�er une fondation remonte � 1990 lorsque des historiens, des hommes de lettres et des politiciens, conscients du d�ficit dans la m�moire historique de l�Alg�rie, ont d�cid� de cr�er une organisation. Celle-ci se chargerait de pallier le d�ficit constat� au niveau des institutions cens�es jouer un r�le primordial dans la transmission de la m�moire historique. Suite � la premi�re assembl�e constitutive qui s�est tenue � Mascara en juillet 1991, la fondation a vu le jour, quelques mois plus tard. Elle a �t� agr��e en novembre 1991. La fondation s�est trac� un programme qu�elle met en application de fa�on r�guli�re. Une des activit�s de notre fondation consiste � donner diff�rents �clairages sur ces pages d�histoire de l�Alg�rie �ternelle qui ont �t� �crites par l�Emir, par ses khoulafa califes ou gouverneurs r�gionaux), souvent m�connus, et d�une mani�re g�n�rale par tous ceux qui sur cette terre ont inscrit le si�cle dernier au grand dessein de forger une v�ritable nation d�passant les contingences r�gionalistes et tribales. Une nation susceptible de faire �chec � la mainmise coloniale, � �diter aussi une soci�t� valorisant les potentialit�s de l�Alg�rie et puisant son inspiration dans son patrimoine religieux, culturel et linguistique mill�naire. La fondation fonctionne avec un budget modeste et organise annuellement deux colloques importants, le 28 mai et le 27 novembre. Ces manifestations sont d�clin�es au niveau local par la trentaine de sections activant � travers le territoire national.
La comm�moration du d�c�s de l�Emir Abdelkader est pass�e quasi inaper�ue. N�est-il pas temps de se pencher s�rieusement sur l��uvre et le parcours de l�Emir peu ou mal connus par les nouvelles g�n�rations ?
Effectivement, nous d�plorons le fait qu�une date aussi importante que celle-ci ait �t� pass�e sous silence. C�est n�anmoins un devoir qui incombe � tous que de faire en sorte que l�h�ritage historique soit transmis aux g�n�rations futures, et les dates sont autant de jalons n�cessaires pour montrer l�itin�raire de l�Emir. Trop longtemps, en effet, l�inconscient collectif en Alg�rie a continu� de rechercher dans l�historiographie d�culpabilisante et moralisante de la colonisation, les composantes de son identit�, les lambeaux de son pass�. Chez nous, les responsables d�hautes institutions de l�Etat, pourtant invit�es en bonne et due forme, dans une troublante unanimit�, ont oubli� le 26 mai, date � laquelle ils ont pourtant assist� les ann�es pr�c�dentes. L�Emir ne m�ritait pas ce jour-l� une minute de recueillement au S�nat et � l�APN ? Aucun des ambassadeurs arabes et musulmans n�a daign� venir au cimeti�re ou s�y faire repr�senter. Par contre, les ambassadeurs occidentaux et des Am�riques �taient pr�sents, un autre curieux paradoxe ! Mais cela n�emp�che pas la fondation de suivre tranquillement son programme et de se rapprocher de temps en temps du mouvement associatif qui a montr� sa v�ritable solidarit�. La fondation a le devoir de restituer � la nation alg�rienne son fier pass� et lui rappeler que cette terre qui a vu na�tre des hommes d�exception tels que l�Emir est en mesure d�enfanter de dignes h�ritiers. Au niveau de la fondation, la volont� est grande, bien que les moyens soient limit�s. Malgr� cela, nous nous sentons contraints, vis-�vis des g�n�rations futures, de poursuivre cette lourde t�che, et cela quels qu�en soient les sacrifices. Ce n�est pas seulement par gratitude que nous comm�morons les �v�nements importants de notre histoire mais plut�t par devoir patriotique � l��gard de ceux et celles qui ont contribu� � forger notre conscience, notre identit�, notre nation et notre humanit�. C�est � nos enfants que nous adressons ce message afin que l�histoire soit source de vie et �galement un socle sur lequel on b�tirait un avenir serein. Dans une p�riode o� r�gne la confusion et face au manque de r�f�rents solides, c�est tout naturellement que la personnalit� de l�Emir Abdelkader appara�t � nos yeux. Ce qu�il faut savoir, c�est que ce dernier se r�f�re principalement, dans tout ce qu�il entreprend, au sein Coran. Ainsi l�image de l�Emir Abdelkader est v�hicul�e par la fondation � l�occasion des dates importantes, et/ou en collaboration avec d�autres associations alg�riennes ou �trang�re. Paradoxalement, l�Emir continue � �tre davantage connu � l��tranger, dans les pays de son exil, qu�en Alg�rie. Des associations fleurissent en France o� les historiens, chercheurs, hommes et femmes politiques d�origine maghr�bine animent des rencontres politiques avec des responsables locaux curieux de mieux conna�tre l�itin�raire et la pens�e de notre h�ros national. Un Fran�ais de Paris nous a �crit pour nous demander l�autorisation d��riger un mus�e � la gloire de l�Emir. D�autres personnes l�ont fait pour cr�er des sections. La jeunesse aussi fait montre d�une saine curiosit�, des groupes de lyc�ens d�Alger sont dirig�s annuellement par l�acad�mie vers des apr�s-midi culturels organis�s par la fondation et y participent avec un �tonnant int�r�t.
Ne faut-il pas enseigner son histoire d�une mani�re objective et recherch�e dans nos �coles ?
Non seulement l�histoire de l�Emir Abdelkader doit �tre enseign�e, apr�s avoir �t� r�vis�e bien entendu, mais �galement l�histoire de tous ceux qui lui ont succ�d� et ceci, jusqu�� l�ind�pendance de notre nation. Il faut avant de s��tendre sur la question, faire un bilan pour savoir o� on en est. Nous nous devons d�abord de remercier tous ceux qui par leurs �crits, �tudes et travaux de recherche, ont largement contribu� afin que l�Emir Abdelkader retrouve la place qui lui revient dans une histoire atrophi�e par l�historiographie dominante, qu�elle soit coloniale ou post-coloniale. Parmi les principaux auteurs alg�riens, nous citerons les professeurs Sa�dallah, Mahfoud Kaddache, Cheikh Bouamrane, Yahya Bouaziz, le Dr Belhammissi, le Dr Mohamed-Ch�rif Sahli, le Dr Mahfoud Smati, Boualem Bessaieh, Me Abdelkader Boutaleb, le Dr Amiraoui, le Dr Rachid Bena�ssa, le Pr Sahraoui, Kateb Yacine, Abdelaziz Ferrah, Amar Belkhodja, Mme Hassan Dawadji, Kebir Ammi, Ahmed Bouyerdene, Rabia Moussaoui, Waciny La�redj, Abdelhamid Zouzou, Annane La�d. Comme �trangers, nous citerons Henry Churchill, Alexandre Bellemare, L�on Roches, Marcel Emerit, D�Estailleur, Danziger, Colonel Scott, G�n�ral Azan, Dinezene, le compte de Civry, Charles Andr� Julien, Charles-Robert Ageron, Augustin Berque, Jacques Berque, Bruno Etienne, Fran�ois Pouillon, Christian Delorme, Martine Le Goz, et bien d�autres. Pourtant malgr� la litt�rature abondante, fictive et non fictive, disponible aussi bien en arabe qu�en fran�ais que dans d�autres langues (anglais, espagnol, allemand, russe, polonais, danois, hollandais et m�me en tha�landais), la jeune g�n�ration dans sa grande majorit�, ne semble pas conna�tre l�histoire du fondateur de l�Etat moderne alg�rien. La fondation a contribu� aux efforts individuels des auteurs pr�cit�s en organisant, d�une part, de nombreuses manifestations culturelles (aussi bien sur le territoire national qu�� l��tranger), en comm�morant les dates importantes telles que la Moubaya�, les batailles contre l�envahisseur, le d�c�s de l�Emir. D�autre part, en publiant de nombreux ouvrages, revues et actes de colloques dus � l�initiative de la fondation m�me. A ce propos et pour en revenir � l�enseignement de l�histoire, un livre de l��minent historien alg�rien Yahya Bouaziz a �t� con�u et �dit� par la fondation afin d��tre incorpor� dans les programmes scolaires, une fois l�agr�ment obtenu. Je pourrai �galement vous donner une id�e de la place qu�occupe Abdelkader dans les manuels scolaires. Lors du colloque organis� par la fondation en 2005, le Pr Mustapha Ch�rif, ancien ministre de l�Enseignement sup�rieur, nous fit, dans une remarquable intervention, un bilan �difiant concernant l�enseignement de l�histoire de l�Emir dans les programmes scolaires, du primaire jusqu�au dernier cycle universitaire. Nous citons ici les passages en question : �A titre indicatif au niveau du programme scolaire, seule en classe de quatri�me ann�e primaire et dans la discipline langue arabe, une page et demie relate bri�vement le r�le de l�Emir dans la r�sistance � la colonisation et l��dification de l�Etat alg�rien. Dans la discipline histoire, au coll�ge, c�est en classe de septi�me qu�une seule le�on traite de notre h�ros, puis en classe de huiti�me, un texte sur des t�moignages. Enfin, en neuvi�me, il est �tudi� rapidement dans le cadre du mouvement national de r�sistance. Au lyc�e uniquement en classe de 1re ann�e secondaire, l�Emir est cit� dans une le�on d�histoire, toujours avec comme aspect principal la dimension guerri�re. Au niveau universitaire, en licence d�histoire, aucun module, en tant que tel n�est consacr� � l�Emir Abdelkader. Il est cependant cit� en premi�re ann�e, dans le chapitre concernant le mouvement national et la r�sistance populaire. Dans les autres fili�res en sciences humaines et sociales (sociologie, lettres, th�ologie ou sciences islamiques), presque aucun aspect relatif � l�apport de l�Emir n�est abord� ou signal�. Au niveau de la recherche, � l�Universit� d�Alger par exemple, de 1962 � nos jours, tr�s peu de m�moires de magist�re ou th�ses de doctorat sont consacr�es � l�Emir Abdelkader. D�autre part, il n�existe ni chaire universitaire de l�Emir ni de fonds documentaires cons�quents sur lui, notamment sur les quatre �tapes essentielles de sa vie, sa formation et son �ducation de 1808 � 1832, son combat anticolonial durant dix-sept ans de 1830 � 1847, sa captivit� de 1847 � 1852 et son exil de 1852 � 1883, date de son rappel � Dieu. Sur le plan du patrimoine historique, des arts et de la culture, hormis des expositions disparates, � proprement parler, il n�existe pas encore un mus�e national de l�Emir o� toutes les archives, objets symboles, sont regroup�s et mis en valeur. Cela m�rite d��tre envisag�. Son �uvre, ses �crits, ses correspondances, sont �parpill�s � travers le monde, dans des collections priv�es ou appartenant � des institutions officielles, avec des acc�s peu ais�s aux chercheurs. Il a fallu attendre l�ann�e 2002, par exemple, pour que notre ambassade � Damas r�ussisse � r�cup�rer des archives de premier plan appartenant � l�Emir, comme le manuscrit original des Mawaqifs. Malgr� un travail non n�gligeable accompli pour certains sites historiques, nombre de demeures o� il a habit� et travaill�, � l��tranger et en Alg�rie, sont perdues ou attendent d��tre restaur�es. Une universit� des sciences islamiques � Constantine, quelques �coles et lyc�es, notamment l�ex-lyc�e Bugeaud, au niveau de la capitale, et quelques rues et places dans certaines de nos villes, portent son nom, mais est-ce suffisant pour pouvoir garder vivante et op�ratoire la m�moire de ce symbole majeur, exemple pl�nier de l�universel pour les g�n�rations pr�sentes et � venir.
L�Emir Abdelkader a �t� le premier chef d�Etat alg�rien. Il poss�dait en outre une double l�gitimit�, populaire et de par sa filiation au Proph�te. Voulez-vous nous �clairer sur cet aspect de sa personnalit� ?
En effet, au courant des bouleversements que subissait un Occident en pleine transition (les Etats-nations faisant timidement leur apparition dans le panorama g�opolitique internationale, l�Allemagne et l�Italie par exemple n�existaient pas en tant que nations, l�empire ottoman �tait en pleine crise), l�Emir r�alise que conjointement � la r�sistance arm�e, il �tait n�cessaire de construire un Etat moderne, lequel permettrait un nouveau d�part pour les Alg�riens, et il �tait �galement essentiel que celui-ci soit con�u selon de nouvelles normes. En pratique, dans une premi�re phase qui va de 1832 � 1838, l�Emir Abdelkader est concr�tement souverain des deux tiers de l�Alg�rie actuelle. Il s�attelle alors � la construction d�un Etat moderne, c'est-�-dire un Etat diff�rent de celui qui pr�c�dait l�invasion fran�aise. Dans la conception d�Abdelkader, le syst�me tribal pr�colonial, en vigueur sous les Ottomans, et dont s�accommod�rent dans un premier temps les forces d�occupation (pr�tendument civilisatrices), n�avait plus sa raison d��tre. Une arm�e de m�tier est constitu�e afin de ne plus d�pendre de l�humeur des tribus. Un syst�me juridique, une Assembl�e consultative, une nouvelle monnaie est frapp�e et des industries voient le jour. Une gestion plus �quitable de l��conomie est mise en place. Il savait �couter, et sa curiosit� intellectuelle est d�une acuit� hors du commun. R�cemment, un intervenant fit une comparaison assez pertinente entre l�Emir Abdelkader et Mo�awiya Ibn Abi Sufiyan, le prince ommeyade. Je me permets d�emprunter l�image que je consid�re plut�t comme un hommage. L�Emir s�est appuy� pour la construction d�un Etat national sur l�action politique men�e par Hamdan Khodja aupr�s des Alg�riens pour leur coh�sion et notamment aupr�s des puissances �trang�res pour leur faire admettre l�int�r�t de l�ind�pendance de l�Alg�rie. Le combat �tait in�gal aussi bien sur le terrain politique que militaire. Cependant, l�ardeur patriotique des deux hommes les engagea � chercher d�abord un compromis avec la puissance coloniale, ensuite, ils n�h�sit�rent pas � relever le d�fi lorsque leur tentative de coop�ration eut �chou�. La strat�gie de l�Emir fut, d�abord, l�unification de l�Alg�rie sous une seule autorit�. �Tout au plus, admit-il�, �crit Charles Andr� Julien, l�occupation par les Fran�ais de zones littorales autour d�Alger, B�ne et Oran, car il consid�rait que n��tant plus le sultan de la mer, sa v�ritable t�che consistait � unifier l�int�rieur. Il se proposa en effet de fonder en Alg�rie, mis � part, quelques pr�sides, une nation arabe ind�pendante. Certes, il cherchait dans son programme de r�formes �conomiques, sociales, politiques et culturelles un mod�le, qui s�inspirait de la civilisation islamique, mais il ne craignait nullement d�entrer en contact avec des Europ�ens. Ses proches conseillers pour les affaires ext�rieures furent Ben Durand, juif d�Alger, �lev� � Marseille, et L�on Roches, citoyen fran�ais converti � l�Islam. Cependant, l�Emir Abdelkader ne s�arr�te pas � la po�sie ; c�est un v�ritable chef d�Etat, un organisateur et un meneur d�hommes. Il adorait �grener le chapelet mais savait �galement manier le sabre. Il voulait un Etat moderne mais sans renier le pass�. Authenticit� et modernit� assimil�es semblaient constituer son objectif final. Pour r�aliser son programme, il lui fallait non seulement une volont� ferme, mais aussi un ascendant sur son entourage et une action de persuasion pour entra�ner les masses populaires dans une voie moderniste. L�Emir proc�da d�abord � un nouveau d�coupage administratif. Les beyliks sont divis�s en khalifatiks, dirig�s par des khalifas, le titre de bey est supprim�. Les aghas et les ca�ds sont �lus pour un mandat de dix mois ou d�un an renouvelable. Les cadis r�tribu�s par l�Etat, la justice �tait donc gratuite et contr�l�e. Chaque fois qu�il s�arr�tait dans une localit�, il faisait annoncer par un crieur public que le sultan se tenait � la disposition du public pour recevoir ses plaintes et ses dol�ances. Abdelkader ne dressa pas de barri�res entre lui et le peuple. Il garda la tradition qui l�unissait � lui dans une simplicit� caract�ristique du marabout qui �tablissait toujours une communication directe avec son entourage pour mieux l��duquer. Au point de vue militaire, il r�vait d�avoir une arm�e � l�image de celle de Muhammad Ali. Il avait fait venir des instructeurs de Tunis et du Proche-Orient. Des d�serteurs europ�ens participaient � la formation de cette jeune arm�e. Un r�glement militaire a �t� institu�, il pr�voyait la r�compense des soldats qui se distinguaient comme la punition de ceux qui commettaient des fautes. On s�acheminait r�ellement vers une arm�e moderne calqu�e sur le mod�le fran�ais. Le capitaine Daumas rapporte qu�on �fabriquait des aff�ts � Miliana. On a m�me essay� d�y construire des voitures�. Il ajoute plus loin : �A Miliana, on confectionne des souliers fran�ais pour l�infanterie.� Si l�Emir portait un si grand int�r�t � son arm�e, s�il cherchait � d�velopper l�industrie, notamment celle de l�armement, il ne n�gligeait pas le r�le de la police aussi bien celle charg�e du maintien de l�ordre que celle plac�e pour r�colter l�information. Le capitaine Daumas qui, en tant que consul, n�omettait pas de transmettre le moindre renseignement �crivait : �Youssouf (un d�serteur) m�a dit que l�Emir avait une police organis�e et bien pay�e. Elle se compose d�une cinquantaine d�hommes qui, mal v�tus et sous le pr�texte de vendre ou acheter, se glissent partout, ont des entrevues avec des gens d�vou�s qui habitent nos villes et l�instruisent aussi de tout ce qui se passe.� Le pouvoir de l�information, dans son sens le plus large, a �t� saisi par l�Emir ; il l�utilisa et le g�n�ralisa aussi bien pour r�pandre ses id�es dans les milieux fran�ais que pour �tre inform� sur eux. Il cr�a tout un r�seau d�agents �tablis dans des villes strat�giques pour lui fournir autant que possible les renseignements dont il avait besoin. Charles Andr� Julien nous dit que �l�Emir s�informait assid�ment des tendances du pouvoir et des mouvements d�opinion tant � Paris qu�� Alger. Il se faisait traduire les journaux fran�ais et t�chait d�avoir par son correspondant � F�s, des nouvelles exactes sur ce qui se passait en France. Il semble qu�il ait eu, dans toutes les villes occup�es, des agents de renseignements fran�ais, parfois importants qu�il appointait. Dans son m�moire au ministre de la Guerre d�ao�t 1840, Garcin signale un cas qu�il tenait de Miloud ben Harach, l�ambassadeur extraordinaire de l�Emir � Paris en 1838 : (c�est un g�n�ral fran�ais en retraite, habitant Paris, et hautement plac�, qui le tiendrait au courant de tout ce qui peut l�int�resser. Trois mille piastres sont ses appointements annuels). A l�ext�rieur, Abdelkader entretient des relations avec les personnalit�s du Moyen-Orient, mais s�appuya surtout sur le sultan du Maroc�. A partir de quelques �l�ments historiques glan�s dans les ouvrages consacr�s � l�Emir, nous pouvons conna�tre sa conception de l�Etat repr�sentant une nation. Il doit �tre : l�expression de la souverainet� nationale, c��tait au nom de cette l�gitimit� que l�Emir exigeait la soumission des r�fractaires comme Tidjani, chef de confr�rie et seigneur du d�sert. Elu par un grand nombre de chefs de tribus, de notables, de responsables de culte et de Ulama, il �tait donc le seul � d�tenir le pouvoir et � l�exercer l�gitimement. Cette attitude s�appuyait sur le droit constitutionnel musulman. C�est ainsi que l�Emir d�clara aussit�t �lu : �Je gouvernerai, la loi � la main, et si la loi l�ordonne, je ferai moi-m�me de mes deux mains une saign�e derri�re le cou de mon fr�re.� L�arm�e, elle, constitue l�appui principal du pouvoir �tatique. L�int�r�t manifest� pour la cr�ation d�une arm�e r�guli�re, r�tribu�e, entra�n�e et encadr�e par des hommes fid�les, assure au gouvernement le monopole de l�exercice du pouvoir et le met � l�abri des caprices des chefs de tribus. Il reste que le r�le principal des militaires, c�est la d�fense du territoire. L�Emir accordait sa pleine attention au fonctionnement du syst�me �conomique. Il cherchait � le r�organiser en cr�ant le monopole d�Etat. Les paysans produisaient librement, mais la commercialisation revenait aux agents du gouvernement. Tout le commerce ext�rieur �tait entre les mains de l�Etat. Ce fut une forte source de revenus. Quand aux petites unit�s industrielles, elles �taient � leur d�but ; elles appartenaient � l�Etat et les objets fabriqu�s lui �taient destin�s. On peut r�sumer les id�es de l�Emir concernant le pouvoir politique en quatre points : L�gitimation par une volont� populaire exprim�e par les notables. Une justice rendue sans �quivoque. Une arm�e pour assurer l�ordre, une �conomie pour distribuer les richesses aux hommes. On peut retrouver ce concept d�Etat moderne dans l�ouvrage du professeur Mahfoud Smati intitul� Formation de la nation alg�rienne.
Un �pisode revient souvent aussi bien dans les �crits relatifs � l�Emir que ceux traitant de l�histoire du XIXe si�cle, ce sont les �v�nements de Damas en 1860. Quel fut en r�alit� le r�le de l�Emir dans cette affaire ?
Pour en revenir aux faits historiques, il faut rappeler qu�en 1860, de graves �v�nements ont lieu � Damas. Une minorit� religieuse, les chr�tiens maronites, sont soup�onn�s d�intelligence avec un imp�rialisme fran�ais d�sireux de cr�er un royaume chr�tien dans la r�gion au d�triment des Druzes. Ces derniers manipul�s par un pouvoir ottoman d�cadant se mettent � massacrer les chr�tiens sans distinction. L�Emir, inform� de la gravit� de la situation, regroupa ses Alg�riens et les armes � la main s�interpos�rent entre les Druzes et leurs victimes mena�ant de verser le sang de quiconque toucherait � un cheveu des personnes b�n�ficiant de sa protection. Il envoya �galement ses hommes chercher tous les chr�tiens de la ville afin qu�ils se r�fugient dans ses propri�t�s jusqu�� ce que les esprits se calment et qu�une solution politique soit trouv�e. Agissant ainsi, Abdelkader parvint � sauver d�une mort certaine plus de 12 000 chr�tiens. Devant une telle le�on de bravoure, de courage et de chevalerie, l�Occident n�a pas manqu� de reconna�tre en Abdelkader un nouveau Saladin (celui-l� m�me qui �pargna les chr�tiens de la J�rusalem reconquise en 1187). Les �loges et la reconnaissance provenant des plus grandes capitales occidentales ont �galement attir� l�attention d�institutions telles que la franc-ma�onnerie europ�enne qui tout en le f�licitant l�invita � adh�rer � une de leurs loges en Orient. Une correspondance s�ensuivit et de l� remontent toutes les sp�culations savantes concernant le lien de l�Emir avec la franc-ma�onnerie.
Comment ont r�agi les puissances de l��poque devant le geste de l�Emir ?
Les grandes puissances d�alors lui t�moign�rent de la gratitude et de l�admiration et lui envoy�rent des messages de remerciements accompagn�s de pr�sents et des plus hautes d�corations. La Russie lui d�cerna la Grande Croix de l�Aigle Blanc, la France le Cordon de la L�gion d�honneur, la Prusse la Grande Croix de l�Aigle Noir, la Gr�ce la Grande Croix du Sauveur, L�empire ottoman, le Medjdi� de 1re classe, le Pape l�ordre de Pie IV, la reine d�Angleterre lui offrit un fusil � deux canons superbement incrust�s d�or et le pr�sident Lincoln des Etats-Unis d�Am�rique une paire de pistolets �galement incrust�s d�or. Je profite de l�occasion pour pr�ciser que les photos de l�Emir o� il porte toutes les d�corations en question ne sont que des montages post�rieurs. Il y a souvent une m�sinterpr�tation de la part des Alg�riens qui ignorent les circonstances de l�octroi de ces d�corations.
Vous �voquez la franc-ma�onnerie en parlant des �v�nements de Damas, � ce sujet, Bruno Etienne, dans son livre consacr� � l�Emir, insiste sur le lien de ce dernier avec cette soci�t� secr�te. Comment interpr�tez-vous le fait que les historiens, les politiques et les religieux soient si frileux et si divergents concernant ce pan de l�histoire de l�Emir ?
Il n�est gu�re conseill� de se hasarder � r�pondre � une telle question sans l�avoir au pr�alable mise dans son contexte historique. Il faut peut-�tre rappeler que c�est sur la base d�une simple correspondance que les tenants de la th�se affirment le lien franc-ma�onnique de l�Emir. Il semblerait que ce soit Xavier Yacono, Fran�ais d�Alg�rie d�origine italienne, qui le premier, au d�but des ann�es soixante, �crivit un article o� il mit � jour la correspondance en question. Pour ceux qui seraient int�ress�s par cet �pisode en particulier, je recommande la lecture de Mohammed Cherif Sahli, Rachid Bena�ssa et Mme Hassan Dawadji, lesquels se sont appliqu�s � r�futer la th�se fran�aise relative � cette question. Pour ce qui est des chercheurs occidentaux, apr�s les travaux pionniers de Xavier Yacono, Bruno Etienne, francma�on lui-m�me, affirme et d�fend l�appartenance de l�Emir � la confr�rie franc-ma�onne de son �poque. Comme nous l�avions �voqu� plus haut, l�Emir Abdelkader avait pris sous sa protection la communaut� des Alg�riens ; mais aussi la communaut� chr�tienne et europ�enne lors des �meutes de juillet 1860. Il leur permit d��chapper aux massacres qui ont eu lieu entre les chr�tiens maronites et les musulmans druzes. Ces affrontements sont la cons�quence de manipulations des deux grandes puissances coloniales de l��poque, la France et l�Angleterre. En effet, la France manipulait les chr�tiens maronites en leur promettant un Etat ind�pendant ; tandis que l�Angleterre manipulait de son c�t� les Druzes pour contrecarrer les ambitions fran�aises dans la r�gion et r�aliser ses desseins mercantiles. L�Emir, en tant que musulman, avis� des intrigues des uns et des autres, intervint et a offert sa protection aux chr�tiens. Cette attitude, somme toute naturelle de la part d�un fid�le musulman, a eu un �cho consid�rable dans le monde entier, et surtout en Occident. Dans son attitude qualifi�e de tol�rante, l�Emir n�a fait qu�ob�ir aux pr�ceptes coraniques et proph�tiques, rien de plus. Les versets et propos proph�tiques relatifs � la tol�rance sont abondants, et l�Emir n�a fait que son devoir de simple croyant pour pr�server le droit des minorit�s religieuses en terre d�Islam. Leur existence parmi la communaut� musulmane prouve s�il en faut cette tol�rance. La franc-ma�onnerie voulant profiter de la situation s�est adjointe au concert de f�licitations et remerciements qui fusaient de toutes parts � l��gard de l�Emir. Ainsi, le Grand-Orient de France (GODF) s�est empress� de demander � deux de ses loges parisiennes : la loge Henri IV et la loge La Sinc�re Amiti� de correspondre avec Abdelkader. Mis � part le consensus g�n�ral li� � cette affaire, les raisons qui peuvent expliquer la d�marche du GODF sont, d�une part, la permanence encore au sein de la ma�onnerie de l�id�e de la foi en Dieu ; d�autre part, le souhait des ma�ons � devenir un groupe de pression influent pour orienter les d�cisions de l�Etat fran�ais dans un sens de s�cularisation des soci�t�s humaines. Dans les deux lettres envoy�es en 1860 par les deux loges, nous ressentons une certaine r�cup�ration du geste de l�Emir pour qu�il apparaisse comme �manant d�un pr�tendu id�al ma�onnique. Ainsi Abdelkader est qualifi� de pourfendeur �des pr�jug�s de caste et de religion�, des �fureurs de la barbarie et du fanatisme � et de h�raut �de la libert� de conscience� et du �sentiment de fraternit� humaine� (voir Bruno Etienne : Abdelkader pp. 323, 324, 325 �d. Hachette). Si la lettre de la loge Henri IV est plus consensuelle, celle de La Sinc�re Amiti� fait r�f�rence � un symbolisme ma�onnique, tel le terme de Grand Architecte de l�Univers ou l�utilisation du premier �l�ment de la trinit� chr�tienne (le P�re). A la suite de ces deux lettres, l�Emir a demand� des �claircissements au sujet de la franc-ma�onnerie. Or, dans l�expos� doctrinal qui lui a �t� envoy� par le GODF, celui-ci le fait pr�c�der d�une allusion �� l�initiation qui vous sera conf�r�e� comme si le fait de demander des �claircissements impliquait la volont� d�adh�rer � la franc-ma�onnerie. Au terme de cet expos� du GODF, o� l�on ressent une volont� de faire croire que l�Emir est d�j� acquis � la cause ma�onnique, le destinataire est invit� � r�pondre � cinq questions. Les r�ponses � ces questions apparaissent comme un condens� de son enseignement tel que nous le trouvons dans le Livre des Haltes. A travers ces r�ponses, les th�mes classiques du soufisme sont abord�s comme l�indigence ontologique ( �ubudiyya), l�unicit� de l�Etre ( wahdat al-wujud), la conformit� � la Loi divine ( shariah)... Pour notre part, ne d�sirant point �tre entra�n�s dans ce que nous consid�rons comme �tant des querelles byzantines, nous consid�rons cet �pisode comme mineur et de dimension toute relative par rapport aux actions plut�t concr�tes de l�Emir. Et nous trancherons en citant le professeur Sahraoui, chercheur au CNRS, qui r�sume parfaitement la position de la fondation : �Il faut dire que la perspective doctrinale de l�Emir, issue de la spiritualit� islamique s�oppose radicalement � la vision profane et la�que de la franc-ma�onnerie que l�Emir rangeait dans la cat�gorie des naturalistes ( tabi�iyyun) et des existentialistes ( dahriyun) bien connue des th�ologiens musulmans.� Le professeur sahraoui interpr�te de cette fa�on l��change �pistolaire de l�Emir avec les francsma�ons : �Le but de l�Emir depuis le d�but �tait de les ramener sur la voie de Dieu ; mais quand il a perdu espoir de les sauver d�eux-m�mes, il a cess� tout contact. Il a signifi� sa rupture d�finitive au GODF en 1865 apr�s avoir �tudi� de plus pr�s les fondements intellectuels de la francma�onnerie, beaucoup plus propices � la d�viation qu�au ressourcement. �
Il est dit que l�id�e du royaume arabe sous le leadership d�Abdelkader �tait une id�e de Napol�on III. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la question ?
En effet, la premi�re initiative d�offrir � l�Emir un royaume arabe vient des Fran�ais (des Saint- Simoniens pour �tre plus pr�cis) n�anmoins ce n�est point par altruisme que Napol�on pensa � Abdelkader. Politique oblige, l�intention derri�re une telle proposition �tait d�en faire un vassal de la puissance coloniale, rev�tu d�une souverainet� de fa�ade. La r�ponse de l�Emir �tait � la hauteur du personnage. Bien qu�approch� en plusieurs occasions, l�Emir ne fut pas dupe et refusa de se pr�ter au jeu de son ennemi d�hier. Une autre initiative provenant cette fois de nationalistes arabes m�rite d��tre cit�e. De nombreux notables du Moyen- Orient, prenant conscience de la faiblesse de l�empire ottoman, d�cid�rent d�agir pour d�cider de leur avenir. Trente leaders repr�sentant toutes les sensibilit�s politico-religieuses de Bilad Escham, l�aire g�ographique qui comprenait la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine, se r�unirent en congr�s, � Damas tr�s probablement, en 1878. A l�issue de cette cruciale rencontre, cette assembl�e de n�o-nationalistes, de shi�ites, de druzes, de sunnites, de maronites et de chr�tiens orthodoxes �lut � l�unanimit� Al Hadj Abdelkader comme le potentiel leader de l�Etat arabe envisag�. La moubaya�ah de Derdera prit ainsi des proportions universelles gr�ce � cette nouvelle moubaya�ah pluriconfessionnelle de ceux qui voyait en l�Emir le choix id�al pour leurs profondes aspirations et leurs revendications g�opolitiques.
Peut-on s�inspirer de ses actes pour contrer le radicalisme religieux auquel le monde musulman est confront� ?
Le radicalisme religieux n�est, malheureusement, pas une sp�cificit� du monde de l�Islam. Je vous renvoie aux r�cents et dramatiques �v�nements dont sont victimes les citoyens de pays musulmans (la Palestine, la Bosnie, le Kosovo, la Tch�tch�nie, l�Irak, le Cachemire, l�Afghanistan). N�anmoins pour r�pondre � votre question, que je juge assez pertinente, un clin d��il � l�histoire nous est n�cessaire. Les journaux fran�ais contemporains de l�Emir le consid�raient comme un barbare, un coupeur de t�tes, un extr�miste, un intol�rant. Des messes ont m�me �t� c�l�br�es suite � son emprisonnement et son transfert en France. Qu�en est-il aujourd�hui, loin de la propagande partisane, int�ress�e et biais�e de l��poque ? Au nom d�un id�al civilisateur, qu�il ait �t� la�que, tel que l�affirment certains groupes de chercheurs fran�ais (la destruction de centaines d��difices religieux musulmans lors de l�invasion n�est certainement pas le fruit du hasard, ces chercheurs �ludent ces r�alit�s dans leur relecture interpr�tation de l�histoire) ou d�un retour � une pr�tendue rechristianisation de l�Afrique du Nord, le radicalisme de l�envahisseur a failli reproduire en Alg�rie ce que les Europ�ens ont fait aux Indiens des Am�riques. Ben Durand �tait un Juif alg�rien et cela n�a pas emp�ch� l�Emir de le charger de n�gocier en son nom avec les repr�sentants de l�occupant. Un Italien le repr�sentait � Alger. Dans son gouvernement et son arm�e, on pouvait compter aussi bien des Juifs, des Italiens, des Polonais, des Anglais, des Espagnols et autres Europ�ens et Arabes, car � ses yeux, seules la comp�tence, la pi�t� et l�int�grit� avaient de la valeur. Ces combattants pour la libert� qui ont rejoint le camp de l�Emir n�ont jamais �t� contraints de se convertir � l�Islam pour participer � la r�sistance. Les d�serteurs fran�ais, et il y en a eu, n�auraient jamais quitt� l�arm�e pour rejoindre un fanatique religieux, un chef de tribu. Comme vous pouvez le constater, la soci�t� que concevait Abdelkader �tait une soci�t� pluriconfessionnelle. La France de l��poque ou les grandes puissances l��taient-elles ? L�Emir, d�s le d�but de son combat, avait adopt�, conform�ment � l�esprit de la tradition proph�tique, un code de traitement des prisonniers. Savez-vous qui �tait charg� de nourrir les prisonniers ? Lalla Zohra, la propre m�re de l�Emir. Alors m�me que les officiers fran�ais dont les sinistrement fameux g�n�raux Pelissier et Saint Arnaud s�appliquaient m�thodiquement � exterminer (de leurs propres aveux �crits, la Dahra et les enfumades en sont de tristes et dramatiques exemples de cruaut�) les tribus alg�riennes fid�les � l�Emir ; ce dernier offrait une r�compense � tous ceux qui lui emm�neraient un prisonnier fran�ais vivant.
Le reproche fait � l�Emir est sa reddition, qu�en est-il r�ellement ?
L�ann�e 1847 a �t� terrible pour l�Emir, ses troupes et ses partisans, apr�s le double avantage qu�il a remport� lors de la bataille de Sidi-Brahim (23 septembre 1845) et celle d�A�n T�mouchent (29 septembre 1845). L�agitation qui a gagn� les derni�res tribus rest�es, les d�fections en cha�ne et les d�sertions � peine d�guis�es ont consid�rablement amoindri l�assise militaire de l�Emir. Confin� dans un espace rendu de plus en plus �troit par l�attitude des voisins de la fronti�re ouest, sans cesse rappel�s � l�ordre d�ex�cuter le trait� de Tanger. Il r�unit le mejliss ashourah et leur proposa de choisir entre les trois solutions suivantes :
1) Se rendre au sultan du Maroc et courir le risque d��tre ex�cut�s vu le degr� d�inimit� du souverain marocain envers l�Emir (aubaine certaine pour �liminer ainsi un rival dont la popularit� parmi les tribus marocaines devenait mena�ante).
2) Se replier vers le Sud oranais et �tre � la merci des tribus sahariennes qui le consid�reraient comme un fugitif et non comme le leader l�gitime de la r�sistance et le b�tisseur d�Etat qu�il �tait.
3) N�gocier un armistice honorable avec l�occupant fran�ais, consid�r� comme le plus fiable en mati�re de respect vis-�-vis de trait�s sign�s.
Le medjliss opta � l�unanimit� pour la troisi�me solution apr�s �r�signons- nous. Dieu est t�moin que nous nous sommes battus aussi longtemps que nous en avons �t� capables� C�est l�heure que Dieu nous a fix�e.� Auparavant, pour appuyer leur avis unanime, les proches de l�Emir lui avaient d�clar� : �Nous portons t�moignage devant Dieu que vous avez fait tout ce qui �tait en votre pouvoir d�accomplir pour sa cause.
Et Dieu vous rendra justice au jour du Jugement dernier.� Plusieurs journ�es sont n�cessaires pour mettre au point la cessation n�goci�e des combats.
L�armistice est r�gl� selon les quatre conditions de l�Emir :
1) Etre transport� avec sa suite directement � Akka (Saint-Jean d�Acre) ou a Alexandrie.
2) Maintenir sur place les tribus qui ont combattu avec l�Emir jusqu�� cette date.
3) Disposer de ses biens pour ne d�pendre de personne. Ses �missaires rencontrent � plusieurs reprises les militaires fran�ais. Des lettres sont �chang�es, notamment celle dans laquelle le g�n�ral de Lamorici�re s�adresse au duc d�Aumale, fils du roi de France et gouverneur g�n�ral : �J�ai promis et stipul� que l�Emir et sa famille seront conduits � Saint-Jean d�Acre ou � Alexandrie. Ce sont celles qu�il a d�sign�es dans sa demande et que j�ai accept�es.� Avec cette stipulation �crite, enti�rement conforme � ses propres termes, l�Emir n�avait plus de raison d�h�siter. Il avait la parole du g�n�ral et du duc d�Aumale qui l�avait approuv�. Son combat durera dix-sept longues et p�nibles ann�es sem�es d�emb�ches et de trahisons. Au cours de cette p�riode, il aura � affronter les plus grands g�n�raux de l�arm�e fran�aise et parviendra � faire sortir la r�sistance alg�rienne de l�anonymat. Mais harcel� de toutes parts par une arm�e impitoyable, pr�te � an�antir des pans entiers de la population, l�Emir pr�f�rera d�poser les armes et sacrifier sa personne et sa famille plut�t que son peuple vou� aux g�monies et � la brutalit� d�une soldatesque barbare. Cependant, il fut trahi par la France et sur ordre du gouvernement, le navire devant le conduire en Orient se dirigera vers les c�tes fran�aises. Il sera emprisonn� avec les siens pr�s de cinq ans dans les ge�les fran�aises et assistera impuissant � la mort de bon nombre de ses compagnons et enfants en terre fran�aise. Il faudra attendre 1852 pour que Napol�on III le lib�re et exauce son v�u de rejoindre son Orient. Malgr� les trahisons de la France, Abdelkader ne lui en tiendra pas rigueur et ne recourra jamais � la vengeance ni ne sera anim� d�une quelconque haine envers ses ennemis. Des documents existent � la fondation, les clauses plus confidentielles sont consign�es dans d�autres correspondances d�tenues par les services des archives de l�arm�e � Vincennes (France). Ces d�tails ont �t� donn�s pour situer le geste de l�ennemi qui n�a �t� ni captur� ni vaincu, il a �t� battu militairement au vu des circonstances de l��poque. S�il s��tait rendu, comme le pr�tendent certains, sans conna�tre la tournure des �v�nements, aurait-il �t� emprisonn� quatre ans lui et les siens. Ne voulant point assister � l�an�antissement des populations, il a d�cid� de continuer le combat autrement. Le guerrier s�est effac� devant le soufi.
Justement, expliquez- nous cette transition, comment l�homme politique et chef militaire est devenu un homme totalement d�vou�e au soufisme et � sa qu�te de spiritualit� ?
Il existe un certain nombre d�hommes qui ont marqu� � jamais l�histoire et la m�moire collective de leur peuple, voire m�me de l�humanit�. Parmi ces hommes exceptionnels, � l�instar de Lincoln, Gandhi, Juarez, Bolivar ou encore M. Luther King, figure et �merge le nom de l�Emir Abdelkader (1807 - 1883), fondateur de l�Etat moderne alg�rien, pr�curseur des droits de l�homme et du dialogue entre les civilisations et les religions. Les historiens contemporains iront m�me jusqu�� lui attribuer les titres de �h�ros des deux rives� et d��isthme entre l�Orient et l�Occident�. L�homme est exceptionnel � plus d�un titre et pour diff�rentes raisons. En effet, il est l�un des rares hommes d�Etat qui �tait � la fois fin strat�ge, homme de guerre, chevalier, philosophe, po�te et mystique. Le destin extraordinaire d�Abdelkader commence avec l�invasion barbare de son pays. Choisi par ses pairs, les notables et les sages de l�Ouest alg�rien, et malgr� son jeune �ge, l�Emir sera le premier �prince� de l�Alg�rie moderne. Il ne lui faudra que quelques ann�es pour unir un peuple divis�, venir � bout des guerres fratricides et parapher des trait�s avec la France en tant qu�Emir de l�Alg�rie. Apr�s un tel parcours, l�homme consacrera le restant de ses jours � la m�ditation et � la m�taphysique en s�immergeant dans les �crits du plus grand ma�tre de la spiritualit� musulmane, le soufisme, Ibn Arabi, aupr�s duquel il demandera � �tre inhum�. Comme l�a si bien d�peint l�historien alg�rien M. Sahli : �De quelque point de vue que l�on consid�re l�Emir Abdelkader, on ne d�couvre rien de mesquin ni de m�diocre en sa personne. Id�es, sentiments, gestes, actions, tout en lui porte le signe privil�gi� de la noblesse et de la grandeur. Il est de ces �tres rares qui, de si�cle en si�cle, de mill�naire en mill�naire, offrent au genre humain une id�e de la perfection, un mod�le exemplaire. Par sa vie, son caract�re et ses �uvres, Abdelkader honore son pays, sa foi et l�humanit� tout enti�re�.
Une derni�re question pour conclure cet entretien. Que devient le film �pique sur la vie de l�Emir Abdelkader, pourtant annonc� en grande pompe dans le cadre d��Alger, capitale de la culture arabe 2007� et il semblerait que c�est le pr�sident Bouteflika lui-m�me qui en a donn� l�ordre et pour lequel un budget cons�quent a �t� d�gag� ?
La r�alisation d�un long m�trage sur la vie de l�Emir participe �galement � la pratique du devoir de m�moire. Chez nous, on h�site encore, malgr� les fermes instructions du pr�sident de la R�publique lequel, rappelons- le, a accord� son haut patronage permanent � la fondation et lui a m�me offert des objets qu�il a acquis de ses deniers personnels durant sa carri�re. Il est le seul � mieux conna�tre et respecter le personnage � qui il a rendu un hommage en prenant son nom comme pseudonyme de guerre. Annonc� par la ministre de la Culture, lors de la conf�rence de lancement d��Alger, capitale de la culture arabe 2007�, ce projet n�a pas pris forme, malgr� la mise en place d�une commission, pr�sid�e par M. Ahmed Bedjaoui, charg� de rechercher et d�identifier les meilleures voies en vue de la r�alisation effective de ce film. Inscrit dans les grandes r�alisations du 3e mandat, ce projet devra imp�rativement voir le jour dans les mois � venir. La fondation a insist� pour que la r�alisation soit alg�rienne afin de ne pas alt�rer le contenu du sc�nario d�j� confectionn�. Je vous informe que la vie de l�Emir int�resse beaucoup de cin�astes et je ne vous cacherai pas que nous avons re�u des propositions �manant de personnalit�s arabes orientales et fran�aises qui se sont adress�es � la fondation pour r�aliser ce film de grande envergure mais en ce qui nous concerne, la pr�f�rence nationale reste souhait�e mais malheureusement, jusqu�� pr�sent rien n�a �t� fait. Nous attendons que la ministre nous �claire sur cette question.


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