Pr Baddari Kamel(*) Dès à présent, on peut le constater, l'orientation principale du développement de l'énergie mondiale est déjà visible, le système énergétique fondé sur la domination des sources d'hydrocarbures ne peut garantir une croissance économique durable. Premièrement, elles sont limitées et, comme le montrent les études, les énergies fossiles sont épuisables et leur production devient de plus en plus complexe. La genèse du pétrole a pris au moins trois cents millions d'années et le stock n'est probablement pas renouvelable. Deuxièmement, leur utilisation massive détraque le système et entraîne de graves cataclysmes environnementaux (augmentation des concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre). Le mécanisme de l'effet de serre a été décrit pour la première fois en 1827 par Joseph Fourrier. Ceci dit, que la combustion des matières fossiles rompt, comme l'a défini l'auteur du Capital, Karl Marx, le concept de régulation rationnelle des échanges de la matière ou le «métabolisme» (Stoffwechsel) socio-écologique entre la société et la nature à travers le travail. La rupture dans l'équilibre complexe du métabolisme social, entraînée par un cheval de Troie dans le mouvement linéaire : ressources fossiles — exploitation — effet de serre, a fait sortir des changements dans la politique énergétique et de nouvelles technologies, que le monde se présente, aujourd'hui, sous de tout autres auspices, et entre dans une phase de transition énergétique vers l'utilisation généralisée des énergies renouvelables et la réduction de la consommation globale des énergies fossiles avec une augmentation concomitante de l'efficacité énergétique. Sortir le cheval de Troie nécessite un modèle énergétique dru, soutenu et durable face aux impératifs de protection de l'environnement, de dérèglement climatique, et aux enjeux de développement des énergies de flux renouvelables. Les sources d'énergie renouvelables comprennent le solaire, l'éolien, la géothermie, l'hydroélectricité et la biomasse. À ce jour, on distingue trois régions principales dans le monde concernées par le développement remarquable de sources d'énergie renouvelables : la Chine, les Etats-Unis et l'Union européenne (UE). Le monde se transforme, l'Algérie, sa société et son économie ont besoin de nouveaux facteurs de développement et d'un nouveau type de progrès. La transition énergétique, de quoi parle-t-on et où en est-on ? Le concept de transition énergétique est apparu en 1980, dans le monde germanophone. Vaclav Smil, chercheur, analyste et encyclopédiste tchéco-canadien, l'a défini, en 2010, pour désigner le changement dans la structure de consommation en énergie primaire et le passage progressif du système actuel d'approvisionnement vers un nouveau système énergétique. La transition énergétique est parfois employée pour décrire la baisse future de l'approvisionnement en ressources énergétiques fossiles ou d'origine nucléaire par un passage vers un mix énergétique plus propre et respectueux de l'environnement. On peut notamment s'inspirer de l'ouvrage de Smil (Energy and Civilization : a History, MIT Press, 2018), que dans l'Histoire, on identifie quatre transitions énergétiques : la première (1840-1900) s'est produite suite au passage de la biomasse au charbon, au cours de laquelle la part du charbon dans la consommation totale d'énergie primaire a sauté de 5% à 50%. Le charbon est alors la principale source d'énergie pour le monde industriel ; la deuxième (1915-1975) est associée à la croissance de la consommation du pétrole : sa part est passée de 3% en 1915 à 45% en 1975. La période qui a connu un passage fort du charbon au pétrole s'est produite dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ; la troisième transition énergétique (1930-2017) a conduit à une utilisation généralisée du gaz naturel dont sa part est passée de 3% en 1930 à 23% ces dernières années ; la quatrième et dernière transition énergétique ayant commencé depuis une dizaine d'années s'est caractérisée par une tendance à la hausse dans l'industrialisation et la commercialisation de nouvelles technologies non traditionnelles : panneaux solaires, éoliennes, batteries électriques et autres. La décarbonisation et la lutte contre les changements climatiques intègrent l'éventail des énergies renouvelables. D'après le rapport «Renewables» paru le 21 octobre 2019 de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la puissance d'énergie renouvelable installée dans le monde passerait de 2501 GW fin 2018 à 3721 GW fin 2024, soit une hausse de 50%. Ces énergies renouvelables pourraient ainsi contribuer de 30% à la production d'électricité mondiale en 2024. Selon l'Association européenne de l'énergie solaire SolarPower Europe, dans son rapport Global Market Outlook 2020-2024, d'ici la fin de 2024, la Chine est le marché principal, suivie des Etats-Unis, de l'Inde, du Japon, du Vietnam, de l'Espagne, de l'Australie, de l'Ukraine, de l'Allemagne et de la Corée du Sud. L'Algérie n'est pas en reste non plus. Le gouvernement s'est engagé à diversifier son approvisionnement en énergie, à utiliser ses riches ressources solaires et à économiser le gaz naturel afin de l'exporter davantage. À l'actif : le gouvernement a annoncé, le 20 mai 2020, de mettre en service des centrales solaires photovoltaïques de 4 GW sur la période 2020-2024 dans le cadre d'un méga- projet appelé Tafouk1. Cet investissement de l'ordre de 3,2 à 3,6 milliards de dollars sera réalisé sur une superficie de 6 400 hectares environ et couvrira 10 wilayas. Le projet créera 56 000 emplois au stade de la construction et 2 000 emplois permanents au stade opérationnel (réunion du gouvernement, APS, 20 mai 2020). D'ici 2030, l'Algérie prévoit de construire des centrales électriques de 22 GW fonctionnant à partir de sources d'énergie renouvelables, dont 13,6 GW d'énergie solaire environ (source : site du ministère de l'Energie). Au passif : la raison du retard de l'Algérie dans le développement de la production d'énergie renouvelable a tenu aux espoirs trop élevés dans les ressources en hydrocarbures. Selon les données du ministère de l'Energie (ME) et du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), l'Algérie possède un fort potentiel solaire parmi les plus importants au monde. La durée d'ensoleillement (nombre d'heures dans la journée, entre le lever et le coucher du soleil, lorsque celui-ci est bien visible) est supérieure à 2 000 heures chaque année sur la plupart du territoire national et peut atteindre plus de 3 900 heures au Sahara. La puissance solaire algérienne installée en 2019 était d'environ 450 MW, ce qui représente une infime part de la production nationale en électricité. Afin de remédier à cette situation, le gouvernement algérien, à travers le Programme national de développement des énergies renouvelables (PNDER) adopté en février 2011, prévoit de jouer un rôle-clé, en amont, dans le processus d'innovation et de mise en œuvre des technologies, notamment en investissant dans la recherche développement, et, en aval, dans l'adoption de mesures réglementaires pour créer un environnement économique favorable à la promotion de l'utilisation des énergies renouvelables. Grace à l'innovation, l'énergie éolienne est devenue un moyen viable et compétitif parmi les sources d'énergies renouvelables. En 2019, plus de 60 GW d'énergie éolienne ont été installés dans le monde, selon le Conseil mondial de l'énergie éolienne (GWEC). La capacité totale des nouveaux parcs éoliens mis en service était de 60,4 GW, soit 19% de plus qu'en 2018, et c'est la deuxième augmentation annuelle la plus importante de l'Histoire. La Chine et les Etats-Unis restent les plus grands marchés éoliens terrestres au monde, représentant plus de 60% des nouvelles capacités. Pour l'Europe, selon l'Association européenne pour l'énergie éolienne (WindEurope), en 2019, 52 milliards d'euros ont été investis dans l'éolien européen, dont 19 milliards ont été affectés au financement de nouveaux projets : 13 milliards d'euros pour des parcs éoliens terrestres (construction de ~ 10,3 GW) et 6 milliards d'euros pour des parcs éoliens offshore. La ressource éolienne algérienne n'est pas homogène géographiquement. Le volet éolien du programme des énergies renouvelables consiste à installer une puissance de l'ordre de 5GW d'ici 2030, ce qui nécessite la construction d'une vingtaine de fermes éoliennes impliquant ainsi des travaux à grande échelle. L'exploitation de l'éolien en mer pourrait aussi fournir de l'électricité et afficher de bonnes performances. Au demeurant, les politiques d'incitation aux énergies renouvelables et les avancées technologiques rapides constituent les deux drivers d'une transition énergétique durable. Produire sa propre électricité et vendre le surplus Dans son rapport devant le Conseil économique et social de l'ONU tenu à Genève du 14 au 18 mai 2018, le Secrétaire général a estimé que 1,1 milliard de personnes, soit 14% de la population mondiale, sont privées d'électricité. La quasi-totalité d'entre elles, soit 85%, vivent principalement dans les zones rurales de l'Afrique. L'approvisionnement en énergies renouvelables aura un vaste éventail de bénéfices sociétaux permettant l'amélioration de la vie quotidienne de chacun, ici et maintenant, par la création de nouvelles opportunités d'emplois, les effets positifs sur l'éducation des enfants, la hausse de la productivité agricole, l'amélioration de la qualité de l'air et le renforcement de la sécurité. La microgénération ouvre à coup sûr des espaces qui devraient permettre aux particuliers ou personnes de produire leur propre énergie, former des systèmes distribués et devenir une force économique. C'est une installation de génération d'énergie électrique appartenant à un consommateur (personne physique ou morale), connectée technologiquement à des réseaux à un niveau de tension ne dépassant pas 1 kV avec une puissance maximale ne dépassant pas 15 kW. Ces chiffres sont donnés simplement à titre d'exemple. La limite de 15 kW de puissance est due au fait que la connexion de petites installations de production à un réseau commun ne menace pas la sécurité du système électrique. Les générateurs pouvant servir de sources renouvelables d'électricité (panneaux solaires, mini-éoliennes, etc.) sont installés sur un toit ou sur un terrain. Donc, il s'agit d'un nouvel objet du marché de détail de l'électricité. En termes simples, les consommateurs seront en mesure de produire de l'électricité pour leur propre besoin et vendre le surplus à leurs fournisseurs garants et à d'autres sociétés de distribution d'énergie. Les fournisseurs garants, à leur tour, devront acheter ces excédents au prix moyen pondéré du marché de gros. Ainsi, chaque famille ou petite collectivité pourra devenir une microcentrale productrice d'énergie photovoltaïque ou éolienne. La concrétisation de la microgénération sur le terrain algérien a besoin d'une nouvelle loi portant modification de la loi sur l'industrie électrique (loi 02-01 du 5 février 2002 et les autres textes législatifs et réglementaires y afférents). En Europe, en Asie, aux Etats-Unis et en Australie, les petites centrales électriques, pour la plupart d'entre elles, sont des installations de production de réseaux, c'est-à-dire qu'elles dirigent l'électricité non seulement vers la consommation des ménages privés, mais transfèrent également le surplus d'électricité vers les réseaux de distribution locaux. Bien entendu, l'adoption de cette loi ne sera que le début de l'apparition de petites centrales en énergies renouvelables en Algérie. Sans mesures d'incitation supplémentaires : des systèmes de montage et des mécanismes de financement novateurs, le développement à grande échelle de la microgénération dans notre pays n'est guère possible. L'innovation pour la révolution Nous assistons à l'éclosion d'importantes innovations liées à la production et à l'utilisation à grande échelle des énergies renouvelables. Elles couvrent différents domaines : 1- la technologie : pour développer de nouvelles solutions afin de réduire les coûts et augmenter l'efficacité ; 2- le business : pour inventer et développer de nouveaux modèles et services commerciaux ; 3- la politique : pour créer un environnement économique compétitif qui favorise les conditions d'une technologie révolutionnaire. Grâce à l'innovation, le coût d'installation et d'entretien d'un panneau solaire a chuté de 80% au cours des dix dernières années. On peut identifier six pistes sur lesquelles l'innovation technologique peut intervenir à : 1- l'amélioration des installations solaires et éoliennes par l'introduction de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies d'échange et d'optimisation de l'énergie et de l'intelligence artificielle ; 2- la mise en œuvre d'une technologie de production décentralisée d'énergies renouvelables où chaque maison se transforme en une mini-centrale de pro,duction d'électricité ; 3- l'amélioration des technologies de transport et de stockage de l'électricité renouvelable ; 4- La mise en valeur d'autres sources d'énergies renouvelables moins développées telles que l'énergie géothermique et l'énergie marémotrice ; 5- le renforcement des partenariats énergétiques à différentes échelles visant le partage des connaissances et le transfert de technologie ; 6- l'harmonisation à l'échelle nationale des normes, des codes de réseau et des pratiques opérationnelles Et pour ne pas conclure Nous vivons une période de transformation du système énergétique. L'utilisation à grande échelle des énergies renouvelables, pour l'économie algérienne, est jusqu'à présent limitée par le faible niveau de développement des technologies nationales dans ce domaine. L'innovation est assurément un indicateur d'une transition énergétique réussie. Le gouvernement joue un rôle stratège dans le renforcement de son écosystème de l'innovation énergétique grâce à l'investissement dans la recherche développement, à la création d'un système de propriété intellectuelle qui soutient la transformation des extrants de l'innovation en produits commercialisables, à la création de start-up, au décollage des installations dites décentralisées, à la fiscalité, aux subventions, à la fixation d'objectifs et à des interdictions. In fine, le solaire permettra certainement à l'Algérie de répondre aux besoins actuels en électricité et d'économiser son gaz naturel, sans compromettre la capacité des générations suivantes à satisfaire aux leurs. B. K. (*) Professeur des universités. Université de M'sila.