Pourquoi Macron a-t-il demandé une enquête internationale sur l'explosion de Beyrouth, au risque d'envenimer la polémique autour du sinistre et de mettre en cause les autorités libanaises? Pourquoi le Président Michel Aoun a-t-il rejeté la proposition, ou plutôt l'exigence, de son homologue français et a-t-il pris le risque d'accroître la suspicion, avec son hypothèse de missile ? En suggérant cette histoire de missile, le Président Aoun savait qu'il donnait du corps aux allégations israéliennes sur la présence d'un dépôt d'armes du Hezbollah sur le site de l'explosion. Or, qui avait un intérêt immédiat à détruire un arsenal du Hezbollah, fer de lance autoproclamé de la résistance libanaise, sinon Israël qui a déclaré n'avoir rien à voir dans l'explosion, juste après le drame ? Un démenti trop rapide pour ne pas susciter de soupçons, lesquels soupçons ont été étayés par les affirmations du Président maronite sur les causes de l'explosion, qui mettent le Hezbollah sur la sellette. Trop vite, trop bien : la volonté de mettre en cause le Hezbollah, détenteur du pouvoir réel et «allié providentiel» du Président maronite Michel Aoun, était manifeste lors de la conférence de Macron. Le Président Aoun n'a sans doute pas mis la main à cette partition, mais celle de l'étranger y a joué en virtuose, nous donnant à croire que le Hezbollah est responsable des malheurs du Liban. Le Hezbollah est un parti religieux, inféodé au sanctuaire du chiisme, tout comme les partis intégristes sunnites du Machrek et du Maghreb sont inféodés aux sanctuaires du sunnisme. Chacun des deux intégrismes rêve d'éliminer l'autre et de prendre ou conserver le leadership du monde musulman, en conservant le contrôle des lieux saints de l'Islam ou en les conquérant. L'Etat islamique chiite est aussi obscurantiste et liberticide que le califat sunnite et la seule différence qu'il y a entre leurs partisans et leurs promoteurs tient aux moyens dont ils disposent. L'erreur des maronites libanais, qui peut être aussi celle de toute minorité menacée dans son existence, est d'être alliée avec le Hezbollah, composé de Libanais, mais dirigé par Téhéran. Avaient-ils les moyens d'agir autrement, sachant que même leurs tentatives d'alliance avec une autre entité religieuse, Israël, n'ont abouti qu'à la destruction du Liban à deux reprises? Sachant que dans le monde arabe, les communautés chrétiennes et les autres minorités religieuses sont les premières victimes des poussées de fièvre piétistes et proclamations du djihad. Alors qu'ils voient ce que peut faire un Etat, revêtu des oripeaux de la modernité, frappant à la porte de l'Europe, la Turquie, lorsque le pouvoir de faire et de défaire est tenu par les islamistes. Pourquoi n'auraient-ils pas peur de voir notre Dame de Harissa devenir mosquée ? Par la volonté d'Erdogan et avec la basilique Sainte-Sophie, transformée en mosquée, ils en ont vu les signes annonciateurs et ils savent désormais comment les islamistes se comportent au pouvoir. Les maronites et les chrétiens du monde arabe n'ignorent pas que le Liban, tel qu'il a existé, est une entité éphémère, encore plus fragilisée par la faiblesse chronique ou les appétits des voisins. Et si tout ce qui se déroule autour d'eux ne les a pas convaincus de l'ampleur de la tragédie, le spectacle donné le 24 juillet dernier par Erdogan pour la prière du vendredi devrait suffire. Auteur du prêche, l'imam Ali Arbache, l'une des sommités religieuses de Turquie, s'est installé sur le minbar de Sainte-Sophie, et c'est avec une épée à la main qu'il s'est adressé aux fidèles. Pour l'universitaire marocain Mohamed Noureddine, cette initiative revient à recouvrir du manteau de l'Islam toutes les guerres que mène ou mènera Erdogan, que ce soit en Irak, en Syrie, ou en Libye. L'imam, auréolé du titre de «Cheikh de l'Islam», a récidivé le jour de l'Aïd el-Adha, dans la même basilique, transformée en mosquée, sous prétexte qu'elle avait déjà été une mosquée. L'auteur, spécialiste de la Turquie, souligne que cette façon de prêcher en tenant une épée est une tradition ottomane qui a été inaugurée par Mehmet II, après la conquête de Constantinople (Istanbul). Cette surprenante apparition d'un imam, juché sur un minbar et sous les yeux du monde entier, est de nature à nuire à l'image de l'Islam, en le montrant aux gens comme la religion de l'épée. Durant ces prêches, Erdogan et les dirigeants de son parti étaient au premier rang, offrant au monde la posture d'une collusion, voire d'une parfaite symbiose entre la politique et la religion. Mohamed Noureddine rappelle, enfin, que la basilique avait été transformée en mosquée, puis elle a cessé d'être un lieu de culte, pour devenir un musée par décision de Kamel Atatürk en 1934. La plus élémentaire des justices aurait été de la rendre au culte chrétien pour lequel elle avait été bâtie, mais sa transformation en musée a quand même constitué un moindre mal. Et voilà qu'Erdogan fait fi de l'héritage de l'Islam en la matière (la promesse du calife Omar aux chrétiens de Jérusalem), et décide de réintégrer Sainte-Sophie au culte musulman. Devant ces initiatives d'un autre temps, et a contrario des traditions de l'Islam, il n'est pas étonnant de voir les chrétiens du Liban et d'ailleurs se risquer à pactiser avec le diable. A. H.