La d�cision rapport�e par le quotidien L'Expression (9 ao�t 2010) du commissaire du Salon international du Livre d'Alger (Sila) d'en fermer les portes aux �crivains et aux �diteurs �gyptiens est dans ses exc�s � la fois irr�fl�chie et calamiteuse. Irr�fl�chie en raison m�me du caract�re officiel de la manifestation qui associe le gouvernement, principal organisateur, en ce qu'elle pr�juge fortement de ce que doivent �tre aujourd'hui les relations d'�tats entre l'Alg�rie et l'�gypte. Calamiteuse, car M. Sma�l Ameziane en justifiant cette mesure intempestive par les �prouvants �v�nements qui ont pr�c�d� et accompagn� les rencontres entre les s�lections nationales de football alg�rienne et �gyptienne dans la phase �liminatoire de la Coupe du monde 2010, surinvestit � sans calcul du risque d'exacerber et de renflouer les chauvinismes � l'aff�t comme on vient de l�observer � Tizi-Ouzou avec le caillassage du bas d�El Ahly � ce qui a �t� une sc�ne dramatique entre deux pays, longtemps li�s par un destin commun. Sans doute ce sentiment de rejet � vengeur et r�dempteur � de l'�gypte que le commissaire du Sila partage avec beaucoup d'Alg�riens, � juste titre exc�d�s par les heurts et malheurs d'une rencontre de football, est bien r�el. Cependant, au-del� des m�contentements vivement exprim�s par le peuple alg�rien, il est revenu � et il revient toujours � au seul gouvernement de prendre et d'assumer publiquement les mesures politiques et diplomatiques les plus appropri�es dans cette br�ve et fulgurante escarmouche du football entre l'Alg�rie et l'�gypte. Et, bien entendu, d'en pr�voir les retomb�es. L'interdiction par le commissaire du Sila du livre �gyptien en figurerait-elle n�cessairement un signe ou � si elle rel�ve, comme il l'indique, de la convenance personnelle � un inconvenant et inexplicable d�rapage ? Ce qui s'est pass�, au mois de novembre 2009, autour de la double rencontre de football entre Alg�riens et �gyptiens au Caire et � Khartoum rentre d�sormais dans les plus belles pages de l'histoire du football alg�rien qui sont, depuis la glorieuse �quipe du FLN, des pages �mouvantes de courage et de dignit�. Ce courage et cette dignit� ont �t� ceux de l'Alg�rie, de ses footballeurs �tonnants de grandeur et d'humilit�, de son peuple uni derri�re son drapeau et de sa presse remarquablement professionnelle dans le d�fi m�diatique que lui imposaient les puissants moyens audiovisuels �gyptiens. C'est cela qui doit ressortir dans le bilan de cet inattendu affrontement du football entre l'Alg�rie et l'�gypte. Le peuple alg�rien ne doit pas faire du sport � et particuli�rement du football � un facteur de guerre et d'hostilit�. Cette querelle, sombre et automnale, autour d'une qualification au Mondial sud-africain, malgr� ses dommages �vidents, appartient au monde du football. Il convient de la lui laisser. Tout en �tant solidaires avec les footballeurs et les responsables du football, reconnaissons-leur cette aptitude � d�fendre avec d�termination et s�r�nit� les valeurs du football alg�rien et aussi celles du pays. Alors m�me qu'il n'y a jamais eu de rupture politique entre l'Alg�rie et l'�gypte, la normalisation par le football semble aujourd'hui en bonne marche comme en t�moigne la participation de la JSK � la Ligue des champions de la CAF o� elle est confront�e dans son groupe � deux �quipes �gyptiennes. La JSK a fait un premier d�placement en �gypte o� elle a �t� bien accueillie et elle recevra certainement sur son terrain ses adversaires �gyptiens avec cette proverbiale hospitalit� qui a toujours honor� ce grand club de football alg�rien en Afrique et dans le monde arabe. Si l'Alg�rie n'oublie pas cet angoissant 14 novembre 2009 au Caire et le sang �toil� sur le front de ses footballeurs, elle sait aussi regarder le pr�sent. Je trouve qu'il est aujourd'hui ind�cent, honteux et m�me ridicule pour M. Sma�l Ameziane de raviver inutilement les blessures de cette querelle du football. Plus pr�cis�ment au Sila, l'espace public national esp�r� pour toutes les ouvertures consensuelles. L'interdiction faite au livre �gyptien, � ses auteurs et � ses op�rateurs d'entrer en Alg�rie, dans le cadre d'une manifestation parrain�e par l'�tat alg�rien, ne peut �tre assimil�e qu'� une censure. Et toutes les censures sont dans leur principe ind�fendables. Il ne servira � rien pour les Alg�riens d'ajouter � la querelle � presque apur�e � du football une insens�e querelle du livre. L'�gypte reste, malgr� la d�cision r�solue de M. Ameziane, un grand pays de litt�rature et sans doute au premier plan de la production des id�es dans le monde arabe. Et si mat�riellement le commissaire du Sila peut emp�cher le livre �gyptien et ses auteurs d'entrer en Alg�rie, il lui sera tout � fait illusoire de pr�tendre en museler les id�es et leur circulation, car la mobilit� des id�es est � la mesure des progr�s des savoirs et de leur universalit�. Des exemples entre mille ? La culture hell�nique a resurgi, ressuscit�e dans le Moyen-�ge europ�en, des biblioth�ques d'Alexandrie, marquant l'ineffable parcours des id�es qui fa�onnent le monde. De la France imp�riale et r�publicaine de la seconde partie du XIXe si�cle � l'�tat fran�ais de Vichy disloqu� pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), dans une situation de longue guerre sanglante et ruineuse contre l'ennemi h�r�ditaire germanique, la philosophie allemande - de Kant � Schopenhauer, Hegel et Ludwig Feuerbach, Husserl et Heidegger - r�gnait sans partage dans les programmes officiels de l'�cole et de l'Universit�. Au d�but du XXe si�cle, la r�volution formelle du roman de langue allemande, les sublimes �uvres de Thomas Mann, Hermann Hesse et de leurs nombreux disciples n'auraient pas �t� possibles sans la proximit� et l'influence de la culture litt�raire fran�aise et de la doctrine r�aliste du roman fran�ais. En Europe, et partout dans le monde, les guerres les plus d�sastreuses � fussent-elles de Cent ans � ne jetteront jamais d'insurmontables fronti�res sur les id�es et sur leur �change entre les hommes et les nations. M. Sma�l Ameziane, fermement soutenu par Mme la ministre de la Culture, a-t-il la pleine conscience que sa d�cision d'interdire au Sila non pas comme de coutume une petite maison d'�dition locale mais une nation �trang�re engage de la mani�re la plus ex�crable le pays ? Las ! Cette interdiction du livre �gyptien confirme cette propension � l'inquisition qui a caract�ris�e les pr�c�dents Salons du livre d'Alger, discr�ditant d�finitivement ce rendez-vous dans le calendrier des forums litt�raires mondiaux. Tardive surench�re dans une guerre avort�e du football, elle ne sera au mieux entendue que par la lie de pseudo-supporters incultes et d�voy�s qui caillasse les bus en �gypte et met le feu dans les stades en Alg�rie, qui n'a le souci ni de l'�thique du sport ni des horizons fraternels de la culture. Il est donc temps de se demander quelle peut �tre la finalit� d'un Sila affichant des ambitions de grosse foire commerciale �troitement provinciale, incons�quemment arrim� aux humeurs impr�visibles de son commissaire et singuli�rement aux attentes du pouvoir ? Dans son challenge actuel � probablement une ind�passable limite de son cahier des charges ? � le Sila ne promeut ni le lectorat alg�rien, ni la litt�rature, ni l'id�e de litt�rature. Au lieu de c�l�brer les hommes et les femmes qui �crivent, leurs �uvres et leurs pays, le Sila de M. Ameziane et de Mme Toumi d�cline in�puisablement l'opprobre et l'exclusion et m�me l'irr�pressible coup de force : il y a eu une ann�e, assez lointaine, d�di�e � Boualem Sansal pour un petit opus m�chant et acide qui ne traversera pas la mer, une ann�e 2008 pour Mohamed Benchicou et son �uvre enlev�e chez l'imprimeur, une autre 2009 pour Mehdi El Djaza�ri dont le stand au Sila est cadenass� par des vigiles, et pour rester dans cette logique mortif�re une ann�e 2010 pour l'�gypte, simplement interdite au nom d'un populisme affligeant. Tristes mill�simes, sinistres troph�es ! L'avenir du livre en Alg�rie, et plus g�n�ralement la libert� des id�es qui y est attach�e, ne peut-il se ressentir que de ces portes continuellement ferm�es dans une �trange farandole de censeurs ? Je veux croire que le livre et les id�es qu'il diffuse encouragent le rapprochement et la paix : ils sont la plus s�re passerelle pour la rencontre et l'amiti� entre les peuples du monde. Sans aucune exception. L'interdiction d�clar�e du livre �gyptien au prochain Sila est une erreur. Elle est plus qu'une censure. Elle exhale d�j� ce fumet malsain de l'autodaf�. Et sous ses cendres les clameurs de la haine. A. M. * �crivain-universitaire. A publi� L'Institution du litt�raire dans l'Alg�rie coloniale, Constantine, M�dersa, 2006. Dernier ouvrage paru : Auteurs alg�riens de langue fran�aise de la p�riode coloniale, Paris, L'Harmattan, 2010.