Les plages de Club-des-Pins continuent à faire rêver les Algériens qui ne désespèrent pas de voir les rivages interdits s'ouvrir à nouveau aux estivants. Abla Chérif Alger (Le Soir) - Et comme chaque année, les plus acharnés sortent de leur mutisme, l'été venu, et tentent de fléchir les décisions immuables à coups de revendications et de pétitions. La dernière en date remonte à dix jours. Elle a été mise en ligne sur les réseaux sociaux à l'heure où se profilait la décision de réouverture des plages restées fermées au public en raison de la pandémie de coronavirus. Cette pétition est similaire à celle qui avait été entreprise l'an dernier. Elle y contient également les mêmes revendications exprimées par une phrase essentielle : «Nous revendiquons l'ouverture des plages interdites et spoliées.» En 2019, la pétition avait été accompagnée d'actions sur le terrain. Ainsi, des rassemblements ont été organisés et se sont déroulés à Staouéli, mobilisant des hommes, des femmes mais aussi beaucoup de jeunes rapidement dispersés par les forces de l'ordre. Après la grosse déception, un événement national inattendu a fait naître un espoir réel de voir la tendance s'inverser chez les décideurs. La chute de Abdelaziz Bouteflika, la fin des hommes qui lui servaient d'appui, les emprisonnements spectaculaires, la naissance du Hirak ont laissé croire que la révolution en cours avait atteint les rivages de Club-des-Pins. En juin 2019, de nombreux citoyens, parfois des familles, ont pris la décision spontanée de se rendre à l'entrée du site. Ils déchantent vite : rien n'avait changé à ce niveau. Les gendarmes chargés de la protection de l'espace n'avaient reçu aucun contre-ordre. Seulement ici, bien des événements se sont déroulés depuis le 2 avril 2019. Plusieurs ministres de Bouteflika, établis de longue date dans les villas de Club-des-Pins, ont été chassés manu militari. L'ancien chef de gouvernement, Ahmed Ouyahia, figure parmi les premiers noms ciblés. Ironie du sort : c'est lui qui, fin 1991, avalisait la décision de transformer la station balnéaire en résidence d'Etat hautement sécurisée et chargée d'abriter les officiels et représentants du pouvoir pour les protéger des groupes terroristes. Très vite, les lieux se transforment en haut lieu d'intérêts où patrons d'entreprises, hommes d'affaires puissants, enfants, familles et même amis de ces derniers parviennent à s'introduire et obtenir des résidences. Des députés et des sénateurs vivent aussi ici. Faute de place dans les villas qui affichent plein, ils sont très souvent logés dans des bungalows à l'entrée de Club-des-Pins ou sa limite, la frontière entre la Résidence d'Etat et Moretti. Les histoires les plus folles circulent ici : celles des chiens de race amenés de l'étranger et nourris aux mets délicats que leurs maîtres font glisser de leur table, les masques au caviar qui illuminent les visages des dames et jeunes filles, les provisions de la semaine ou du mois que certains font acheminer d'outre-mer, les domestiques qui se transforment en boîtes à secrets, les partis de méchoui fourré aux feuilles de chekhchoukha, les dîners au saumon fumé, les footings matinaux sur les étendues de sable net, et puis, bien sûr, ces réunions-rencontres nocturnes quotidiennes où se discutent les hautes affaires de l'Etat dans les salons feutrés. Ouyahia, personnage au rang le plus élevé résidant en ces lieux, ne s'y prêtait jamais, lui. Il recevait aussi peu ou presque jamais. Partisan du secret, il avait fait construire en hauteur un muret dissimulant son jardin des regards et fait poser des balises devant sa maison en contradiction avec les règles qui interdisent toute transformation des lieux. Club-des-Pins est aussi pourvu d'une autre face, hideuse celle-là, liée aux pratiques auxquelles se retrouvaient confrontés beaucoup de ces ministres et responsables qui tombaient en disgrâce. Les histoires de ceux qui apprenaient leur limogeage par le journal télévisé du 20h sont légion. Au choc provoqué par la nouvelle, s'ajoutait, sans tarder, une autre humiliation très redoutée : un ultimatum est délivré aux concernés, une semaine, parfois moins, pour quitter les lieux. Ces derniers se retrouvent aussi souvent privés d'électricité, d'eau et de gaz. Des ministres ont retrouvé leurs meubles à l'extérieur des maisons scellées avant même que l'ultimatum ne s'écoule. Après avril 2019, les ministres de Bouteflika ont dû, à leur tour, quitter la Résidence d'Etat en des temps record. L'affaire s'est déroulée sans grand bruit mais pour Ouyahia, elle a fait l'objet d'une annonce qui tournait en boucle sur les télévisions privées. À ce moment, l'ex-Premier ministre se trouvait déjà entre les mains des services de sécurité chargés de l'écouter pour les affaires de corruption. Club-des-Pins s'est ainsi peu à peu vidé des occupants qui se trouvent aujourd'hui détenus à El-Harrach. Une page d'histoire a été tournée. De nouveaux arrivants ont pris lieu dans la discrétion. Club-des-Pins demeure Résidence d'Etat hautement surveillée et interdite au public. A. C.