Je pense que la politique, je crois l'avoir déjà dit, nous a privés d'un écrivain, qui aurait pu monter une œuvre conséquente. Nonobstant cet écueil, Saïd Sadi a tout de même réussi ses tentatives d'écriture, en commençant par un roman, au souffle vrai, en kabyle, Askuti. Personnellement, j'attendais la parution d'un recueil de nouvelles ; puisque Sadi nous a fait la confidence de ce travail, lors de sa dernière vente-dédicace à Tizi-Ouzou. Sincèrement, je suis curieux de lire cette œuvre de fiction. Les éditions Frantz-Fanon ont fait un coup éditorial conséquent, qui fera date dans la mémoire collective. Il s'agit des mémoires d'un militant de la liberté (sous toutes ses formes) au long cours. Nul ne peut nier le fait que Saïd Sadi fait désormais partie intégrante de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Chacun peut avoir l'appréciation qu'il veut sur ce parcours ; personnellement, je pense que cet homme politique, au sens d'anticipation aiguisé, a su analyser et proposer des solutions à certains maux, liés à l'histoire, à la sociologie, à la culture et à la politique de ce pays. Le premier tome de ses mémoires, allant de l'année de sa naissance à 1967, vient de paraître sous l'intitulé, La guerre comme berceau, aux éditions susnommées. Le second tome paraîtra à la fin de l'année, vers décembre ; alors que le dernier tome sera sur le marché du livre au printemps 2021. C'est là où je mets un bémol. Je pense que des mémoires doivent être lues dans leur intégralité, sans avoir à observer une attente qui est de nature à nous faire oublier les événements du premier tome. Les éditions Fanon auraient pu proposer les trois tomes sous forme de coffret, pour une lisibilité immédiate du parcours de Sadi. Le texte en lui-même est très bien écrit ; la mémoire est alerte ; la succession des événements rappelle la qualité d'un conte et la technique du flash-back est bien maîtrisée. Dans ces mémoires de Sadi, on ne perd pas le fil mémoriel ; on passe de l'enfance et de sa magie au parcours scolaire avec brio ; on ne s'ennuie pas en feuilletant la vie de ce politique ; ce dernier a su, par son style épuré et aérien, créer un engouement dans la lecture. Autrement, ces mémoires couvrent des étapes importantes dans la formation « militante » de Sadi ; mais aussi dans sa compréhension du substrat culturel de la Kabylie, en particulier, et de l'Algérie, en général. Il y a naturellement des événements d'ordre privé au mémorialiste. En ce sens, il y a beaucoup d'exemples. Le cas de l'amour adolescent, ou lycéen, Sadjia, est édifiant. Les mémoires de Sadi me rappellent, à plus d'un titre, le Journal de Mouloud Feraoun et Le fils du pauvre. Il y a ce goût de la sincérité, de l'humilité et du besoin de (se) dire vrai, sans fioriture et sans ostentation, un parcours vécu comme un sacerdoce. La disparition d'Idir a été vécue comme une perte irrémédiable et une injustice totale. Idir avait encore beaucoup à dire ; même si un artiste ne finit jamais de se dire, de dire son monde, de porter les valeurs de son peuple, d'interpeller le passé et l'avenir, de protéger le monde de l'enfance qui ne doit pas totalement disparaître, au risque de se perdre, et de porter vers l'universalité, vers l'Autre, son ego. Pour cela, Idir a totalement réussi, par des qualités d'aède et de démiurge, parfois de conteur d'antan, à mettre en valeur un temps qui, on le constate au quotidien, s'améliore et parfois se dévergonde. Deux journalistes, Amer Ouali et Saïd Kaced, dans un style accessible, nous donnent le loisir de suivre Idir, dès la sortie tonitruante de Avava inou va, dans sa quête de soi, de l'authenticité de son monde, de la magie du village, ici At Yanni, de ses rencontres fertiles avec d'autres préoccupations esthétiques et de son souci de transmettre des valeurs. Idir l'éternel, éditions Koukou, texte attrayant à plus d'un titre, dommage qu'il n'y eût pas un carnet de photos, qui présente cet artiste raffiné dans le monde de la chanson, de la création, de la musique et de la vie d'un troubadour des temps modernes. La reconnaissance d'un écrivain hors normes, Yasmina Khadra atteste, si besoin est, de la grandeur d'Idir, à l'envergure mondiale, et de la perte immense d'un ambassadeur difficilement remplaçable, à moins d'attendre un paquet de générations, pour ce faire. En tout état de cause, cet ouvrage est le premier jalon pour une future biographie à faire sur le regretté Idir. Mouloud Ounoughène est docteur en médecine, neurochirurgien, pianiste lauréat d'un premier prix de piano classique à onze ans, compositeur et auteur. C'est dire que c'est un intellectuel pluriel. Son groupe de musique, Massin's, a été lauréat pour l'Algérie lors de sa participation au Festival international des musiques universitaires (Fimu) à Belfort (France). De plus, il a animé et produit, à la Chaîne 2, des émissions radiophoniques sur les musiques du monde. En outre, il a produit un album de musiques instrumentales métisses sous le titre «Azzeta ou Fusion». Passionné par le monde de la musique, le docteur Ounoughène a animé des conférences, ici et ailleurs, sur le thème de la relation entre musique et cerveau, son thème de prédilection, arguant le fait que la musicothérapie peut être utilisée dans le traitement de la douleur et/ou de la dépression. Ounoughène est l'auteur de l'ouvrage Influences de la musique sur le comportement humain, éditions Dar Khettab, préfacé par l'éminent professeur A. Louis Benabid de l'Académie des sciences françaises. Comme il a publié un ouvrage, qui lui a valu des recherches jusqu'à Vienne, sur un musicien classique, auteur de la «Rapsodie kabyle», Mohamed Iguerbouchene, éditions Dar Khettab. Le livre, qui nous occupe aujourd'hui, s'intitule Dialogue des cultures musicales, mythe ou réalité, éditions Etahadi. Mouloud Ounoughène, par ses recherches, détermine que « noubas, maqâms, thème berbère ou mélodies locales ont été utilisés dans les compositions de différents chefs d'orchestre, Camille Saint-Saëns, Félicien David, Nicolaï Rimski-Korsakov, Béla Bartók, Arma Launis, Gustav Holst... » C'est une grosse recherche à laquelle s'attaque notre musicien, remettre de l'ordre dans la paternité de certaines œuvres locales. Après Mahfoufi, un autre passionné, Ounoughène n'a de cesse de questionner l'histoire et le tracé de notre musique, locale ou nationale, qui a inspiré d'éminents musiciens, comme ceux cités plus haut. S'il a mis de côté sa création personnelle, Mouloud tente de remettre de l'ordre dans une certaine hiérarchie musicale, car il estime que l'Algérie a participé, à sa façon, à la musique universelle. Y. M.