Le deuxième jour du procès des Kouninef s'est déroulé de façon aussi plate qu'il l'avait été à sa première journée. Cette fois, les auditions ont été consacrées aux collaborateurs et cadres des sociétés appartenant aux mis en cause. Réda, Karim et Noa sont une nouvelle fois apparus hébétés, inquiets, mais suivant presque de loin l'affaire pour laquelle ils ont été inculpés. Les frères Kouninef semblent presque n'avoir rien à dire au juge qu'ils semblent d'ailleurs mal comprendre. Mercredi, Réda a demandé au juge l'autorisation de s'exprimer en français, ce qui lui a été refusé et il a été, par contre, autorisé à parler en arabe dialectal. Les efforts qu'il fait cependant pour comprendre et répondre à certaines questions ne passent pas inaperçus. Toutes ses réponses sont aussi approximatives : il a oublié, ignore, ne se rappelle pas, ne peut pas répondre sans prendre connaissance des dossiers sur lesquels il est interrogé, ou ne sait tout simplement pas. Ses frères sont dans la même position. Certains de leurs avocats expliquent ce fait par la manière dont était organisée et structurée la société qu'ils dirigeaient, la KOUGC, «une société très bien organisée, à la Suisse, dotée de responsables, de directeurs. Eux ne s'impliquaient pas beaucoup...» Les faits pour lesquels ils sont poursuivis sont pourtant nombreux. 1 500 milliards de centimes de dettes effacées, obtention de crédits sans avoir présenté de garanties suffisantes, opérations illicites de transferts d'argent vers l'étranger, projets inachevés, obtention d'indus avantages... L'enquête menée autour du dossier révélait qu'entre autres avantages reçus, il a été noté l'octroi à SPA Nutris d'un terrain d'une superficie de 10 808 mètres carrés pour un projet de huilerie à Jijel, l'octroi de la décision d'établir un passage de 45 mètres de long et 14 m de large, pour l'accès à ce terrain, l'octroi d'un projet hydraulique avec un simple consentement à Constantine. L'enquête révèle aussi l'octroi de trois terrains agricoles d'une superficie de 1,8 et 16 hectares. Les enquêteurs se sont aussi arrêtés sur les nombreux crédits bancaires qui leur ont été accordés. Les exemples sont légion : SPA Nutris (crédit de 39 018 millions de DA), Spa Unihuile (1 127 100 000 DA), Mobilink (200 819 500 DA et 3 661 000 000 DA). Le montant des crédits accordés à la Sarl KOUGC est de 1 309 983 millions DA, 20 689 544 933 00 DA à SPA sans garanties. La Sarl Ferial et Monetix ont, à elles seules, pu obtenir 34 997 266 900 DA. Certains projets, comme celui de la huilerie, ont eu des ajouts de 1 100 000 000 DA qui ont transformé la somme totale à 1 985 077 360 DA, sans rien changer au niveau des délais d'exécution. Aïn-Oussera, 0,24% de travaux achevés et Ksar-el-Boukhari 11, 5 travaux achevés après 16 mois. Le dossier Kouninef contient aussi l'affaire Mobilik. Il s'agit d'une convention de raccordement des cabines téléphoniques Hourria au réseau Algérie Télécom, un accord qui a connu, comme on le sait, des anomalies dans l'application des clauses. Selon les éléments fournis par l'enquête, ce projet a causé de grands torts à AT qui a été contrainte de verser 2 813 377 54 268 DA à Mobilink. Interrogé sur le sujet, Réda Kouninef a déclaré : «L'argent nous a été versé huit mois après.» C'est autour de tous ces projets et avantages obtenus qu'ont été interrogés les témoins ce jeudi. Leurs réponses se limitent à des explications techniques. Le volet politique est totalement occulté, les témoins affirmant ne rien savoir sur la question. Au premier jour du procès, le juge et le procureur ont tenté d'amener à plusieurs reprises Réda Kouninef à dévoiler la nature de ses relations avec Saïd Bouteflika, mais ce dernier s'est limité à déclarer qu'il s'agissait uniquement d'un ami et qu'il ne l'avait jamais aidé dans ses affaires. Il a nié aussi toute intervention d'anciens ministres de Abdelaziz Bouteflika en leur faveur. L'enquête, elle, démontre l'inverse. Selon les relevés des écoutes téléphoniques, la liste des personnalités avec lesquelles les Kouninef étaient en contact est très longue : Saïd Bouteflika, Ahmed Tartag, coordinateur des services de sécurité, Mokhtar Reguieg, directeur du protocole à la présidence, le wali d'Alger, Abdelkader Zoukh, Mahdjoub Bedda, alors ministre chargé des Relations avec le Parlement, Abdelghani Zaâlane, alors ministre des Travaux publics, le P-dg des Douanes et de Sonatrach, Zemali Mourad, ministre du Travail. La liste complète des anciennes personnalités concernées transmise à la Cour suprême, seul organisme compétent à enquêter sur le sujet en raison de la qualité des mis en cause, est la suivante : Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Temmar Abdelwahid, Abdeslam Bouchouareb, Amar Tou, Houda Feraoun, Amar Ghoul, Necib Hocine, ex-ministre des Ressources en eau, Arkab Mohamed, Baraki, ex-P-dg de l'Agence nationale des barrages, Loukal Mohamed, ex-ministre des Finances et ex-P-dg de la BEA, Ould Kaddour, ex-P-dg de la Sonatrach, Abdelkader Zoukh, Bederisi Ali et Far Bachir, anciens walis Farouk Bahmid, ex-P-dg des Douanes. À plusieurs reprises, les avocats des Kouninef ont interpellé le tribunal en lui demandant de ne pas dissocier les dossiers de ces personnalités des Kouninef et de les juger ensemble car les raisons pour lesquelles sont jugés leurs clients sont liées à des décisions venant de ces ministres et hauts responsables. A. C.