Les divas du Taguerabt, ce court-métrage documentaire de Karim Moussaoui disponible sur Youtube, nous plonge dans un univers quasi-inconnu du grand public : celui de l'ahellil des grottes ou l'opéra des femmes zénètes. D'abord, nous sommes dans un appartement algérois. L'écrivaine Hajar Bali, baignée dans une lumière pâle, farfouille dans sa bibliothèque à la recherche d'un livre sur l'opéra. On comprend qu'elle avait assisté la veille à un spectacle donné par l'Opéra d'Alger dont elle garde une impression mitigée. Karim Moussaoui s'interroge sur l'utilité de ce luxueux édifice d'une capacité de 1 400 places offert par la Chine à l'Algérie. À quoi ressemblerait un opéra algérien ? Se demande-t-il. Alors, la romancière lui parle de ce séjour à Timimoun, dans les années 1990, où on lui fit découvrir dans une grotte les chants polyphoniques des femmes, l'ahellil, qui pourrait correspondre à de l'opéra. L'ahellil du Gourara est un genre musical déjà très connu, inscrit en 2008 au patrimoine immatériel de l'humanité. Il s'agit d'un chant choral féminin qui se pratique dans la région de Timimoun à l'occasion des fêtes et dont le répertoire poétique varie, lui aussi, entre le spirituel et le terrestre. Or, ces réunions nocturnes se déroulant dans les grottes, à l'abri des regards des non-initiés et des touristes, sont peu ou pas du tout connues. Karim Moussaoui décide d'aller à Timimoun, en compagnie de son équipe de tournage, et filme avec sa sensibilité habituelle les étapes du voyage, l'attente, le doute sur l'existence même de ces femmes... Jusqu'à ce qu'on se retrouve, avec lui, à l'entrée de cette immense caverne où dansent les flammes d'un feu de camp et où se révèle d'abord par bribes une présence physique et sonore qui nous captive immédiatement. C'est tout simplement l'indicible et l'impalpable qui prend forme sous nos yeux : une quinzaine de femmes drapées de blanc, tapant dans les mains ou sur les pierres, disséminent dans l'espace-temps des voix, des gammes et des mélodies qui tantôt se superposent, tantôt se confondent pour enfin fusionner dans une incroyable mosaïque chorale. Ce sont les divas du Taguerabt que Karim Moussaoui a eu la lumineuse idée de filmer uniquement avec la distance et la pudeur qui traduisent non seulement son émerveillement, mais aussi sa volonté de ne pas troubler la parfaite harmonie du spectacle et de préserver la pureté et la sacralité du tableau. Ce court-métrage, commandé par l'Opéra de Paris, n'en est pas moins une œuvre cinématographique à part entière tant Karim Moussaoui y affine ses talents déjà connus, et nous fait le cadeau d'un cinéma dépouillé, spectral et néanmoins riche en émotions et en frissons. S. H.