On la surnommait la «princesse de Moretti» ou la fille cachée de Abdelaziz Bouteflika. Elle avait surpris par son ascension sociale fulgurante, sa capacité à quitter en un rien de temps son univers de simple couturière de quartier, pour se projeter dans la cour des grands, avant d'être arrêtée et incarcérée pour obtention d'indus privilèges et transfert illégal de devises. Mme Maya a comparu hier au tribunal de Chéraga... Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Le procès débute en milieu de matinée, avec les traditionnelles interventions des membres de la défense qui soulèvent un très gros problème : Mohamed Ghazi, ex-ministre du Travail, inculpé et incarcéré, «n'est plus en possession de ses facultés pour répondre aux questions qui lui sont posées et donc se défendre», affirment ses avocats. Ils font savoir qu'il souffre de la «maladie de Parkinson, de troubles de l'équilibre, de sérieux troubles de la mémoire» et exigent une expertise urgente de son état de santé physique et mental. «Trois expertises en la matière avaient été effectuées, déclarent encore ces derniers, mais elles n'ont pas été versées au dossier». Le président de la cour écoute les doléances des avocats, puis se tourne vers le prévenu et lui pose la question de savoir s'il désirait être jugé. L'ancien ministre du Travail est au box des accusés, très amaigri, fatigué. Il répond «oui», mais ses avocats insistent sur le fait que celui-ci ne sait pas ce qu'il dit. Le magistrat décide de lever la séance pour trancher cette affaire. Une heure plus tard, il annonce sa décision d'accéder à la demande de la défense et de faire amener un médecin qui se chargera de l'expertise physique et mentale du prévenu. Pas question, pour autant, de renvoyer une nouvelle fois le jugement, le procès s'ouvre. Des montants astronomiques dévoilés Nechnach Zoulikha Chafika, surnommée Mme Maya, est appelée à la barre. La «blonde de Moretti», a la chevelure dissimulée sous un foulard blanc et le corps enfoui dans une longue djellaba. Après la lecture des charges retenues à son encontre, elle nie tous les faits qui lui sont reprochés, et tout lien particulier avec Mohamed Ghazi. «J'ai été dirigée vers Ghazi par l'ex-conseiller de la présidence de la République afin qu'il m'aide à acquérir un terrain à Chlef pour l'édification d'un parc d'attractions», dit-elle. Avant d'ajouter que Abdelaziz Bouteflika l'avait orientée vers Mohamed Rougab une seule fois. Le juge entame une série de questions. La première a trait au «trésor» trouvé à son domicile lors d'une perquisition effectuée par les services de sécurité. La prévenue garde le silence, le juge énumère : «Ils ont trouvé 9,5 milliards de centimes, 270 000 euros, 30 000 dollars et une quantité d'or.» Selon les éléments contenus dans l'enquête, il est noté que la perquisition avait permis de mettre la main sur vingt kilos d'or, évalués à vingt milliards de centimes. Nechnach Zoulikha Chafika hésite également dans ses réponses, lorsque le magistrat lui demande de s'exprimer au sujet de la garde rapprochée, mise à sa disposition par Abdelghani Hamel, ainsi que la multitude de caméras de surveillance placées dans sa maison. Mme Maya nie avoir fait l'objet de traitement particulier de la part de l'ancien responsable de la DGSN, et soutient que les caméras avaient été placées car sa maison avait déjà été cambriolée auparavant. «Hamel m'envoyait un policier pour dresser mon chien», ajoute la mise en cause. Nouvelle question du juge : «Vous êtes-vous présentée aux cadres du gouvernement comme étant la fille de Abdelaziz Bouteflika» ? La prévenue nie. Le magistrat relance : «Quelle était donc votre qualité pour entretenir des relations qui ont autant duré avec les cadres du gouvernement et de la présidence de la République ? Réponse de Mme Maya : «Je n'avais rien à voir avec le monde de la politique, ce qui me liait à eux, c'étaient les affaires.» Les filles de Mme Maya au juge : «ma mère souffre de troubles de mémoire» Les filles de la principale prévenue sont à leur tour appelées à la barre. L'une comme l'autre offrent l'image de jeunes femmes très éprouvées et craignant surtout pour la santé de leur mère. «Elle est épuisée nerveusement et souffre de troubles de mémoire. Elle oublie énormément, il y a risque qu'elle fasse des déclarations compromettantes sans savoir ce qu'elle dit», soutiennent-elles. Imène est interrogée au sujet du terrain inscrit en son nom à Chlef et sur lequel a été construit le fameux parc d'attractions. La prévenue affirme ne pas être en possession de tous les détails qui ont permis l'acquisition de cette parcelle de terre, mais indique au juge qu'elle avait «un associé qui s'est, par la suite, retiré, mais que Ghazi s'est chargé de lui trouver un autre associé. Il travaille dans les travaux publics». Imène est poursuivie pour blanchiment d'argent, transfert illégal de devises, infraction au change et obtention d'indus avantages. Lorsque le juge lui demande de s'exprimer au sujet des sommes d'argent trouvées dans leur domicile, elle reprend, à peu de termes près, la version livrée durant l'enquête. Sa mère avait, dit-elle, été sollicitée par une connaissance pour des projets d'ouverture de supérettes à Oran, et elle fait donc encore appel à Mohamed Ghazi qui affirmait considérer Abdelghani Zaâlane comme un frère. Ce dernier ne refuse pas de recevoir les personnes recommandées, au moment où il occupe la fonction de wali de Chlef. Quelques jours plus tard, Mme Maya reçoit la visite d'un voisin, Yahiaoui Mohamed, actuellement en fuite. Sa fille Imène l'accueille, il lui demande de prendre un carton contenant des marchandises. Le carton contient en réalité dix milliards de centimes, une offrande des entrepreneurs d'Oran, lui fait savoir, ensuite, Yahiaoui. Il quitte le domicile mais revient en début de soirée, fouille dans le carton et emmène avec lui une grosse somme d'argent. Il prétend qu'il s'agit là d'un emprunt et promet de revenir. «Il a ramené de l'argent mais ma mère l'a appelé pour lui demander de le reprendre. Yahiaoui a dit qu'il allait revenir le lendemain matin, mais le soir, ce sont les services de sécurité qui sont venus.» Les faits en question se sont déroulés en 2017. À cette époque, la mère et ses deux filles ont été interpellées et laissées en garde à vue durant neuf jours avant d'être relâchées. Le dossier a été rouvert en été 2019. Farah, la seconde fille de Mme Maya, est auditionnée à son tour. Elle nie tous les faits qui lui sont reprochés. Il est bientôt 18 heures. Le médecin assermenté auprès du tribunal de Chéraga a achevé la visite médicale du prévenu. Il fait savoir à la cour que l'état de santé de l'ex-ministre du Travail s'est détérioré depuis sa dernière visite. Le président du tribunal lève la séance, et des informations contradictoires circulent au sujet de la décision que pourrait prendre la cour au sujet de Ghazi. Des auditions importantes sont prévues durant la soirée. D'anciens ministres attendent leur tour : Abdelghani Zaâlane, ancien ministre des Travaux publics, Abdelghani Hamel, Mohamed Ghazi et son fils Chafik... L'affaire Mme Maya a valu de grosses pertes au Trésor public : 1 234 663 449 DA. Les indus avantages accordés aux prévenus par les anciens responsables cités sont évalués à 700 000 000 DA. Les pertes liées à l'infraction au change et transfert illégal de devises s'élèvent, quant à elles, à 1 234 663 449 08 DA. A. C.