Introduite dans les rouages du système par le président déchu qui l'a confiée à son secrétaire particulier, M. Rougab, Mme Maya s'est retrouvée au cœur d'un vaste réseau d'affairisme et de corruption. Le procès de l'énigmatique Mme Maya, la "gâtée" de Bouteflika, impliquant d'anciens dignitaires du régime, s'est ouvert, hier, sans la garantie d'un témoignage fiable de l'ex-ministre du Travail Mohamed Ghazi et en l'absence du principal témoin, Mohamed Rougab, secrétaire particulier de l'ex-président déchu. Le lobbying de cet homme-clé de la Présidence, sur ordre de Bouteflika, a permis à Nachinachi Zoulikha-Chafika, surnommée par les pontes du système Mme Maya, d'amasser une fortune colossale. Les indus avantages accordés à cette dernière ont causé au Trésor public un préjudice de 700 millions de dinars dont 100 millions de dinars uniquement dans le cadre de l'acquisition de biens immobiliers et du terrain du parc d'attractions situés à Chlef, auxquels s'ajoute 1,5 million d'euros de transferts illicites à l'étranger et 200 millions de dinars représentant la valeur de 25 kg d'or détournés. Dans un document dont nous détenons une copie, l'avocat du Trésor public réclame un dédommagement de l'ordre de plus d'un milliard de dinars de la part de l'ensemble des accusés, à savoir Nachinachi Zoulikha-Chafika, ses deux filles, l'ex-wali de Chlef et ancien ministre du travail Mohamed Ghazi, son fils Chafik, l'ancien wali d'Oran et ex-ministre des Travaux publics Abdelghani Zaâlane et l'ex-DGSN Abdelghani Hamel. Assorti de la saisie de l'ensemble de leurs biens. Le préjudice moral entraîné par les interventions de Mohamed Ghazi et d'Abdelghani Zaâlane en faveur de Mme Maya est, par ailleurs, estimé par le Trésor public à un million de dinars pour chacun. Dès l'ouverture du procès, la défense de Mohamed Ghazi a plaidé son inhabilité à être jugé. Atteint de la maladie de Parkinson, l'ex-wali de Chlef souffre aussi de perte de mémoire. Le juge demande à Mohamed Ghazi s'il consent à être jugé et obtient immédiatement son approbation. Me Hadjouti Salim intervient : "Il n'a pas la capacité de prendre cette décision. Quand je lui rends visite à la prison et qu'on discute de son dossier, il oublie 10 jours après de quoi on a parlé", proteste l'avocat qui réclame une copie de deux expertises neurologiques et une psychiatrique ordonnées par le conseiller instructeur de la Cour suprême, qui ont curieusement disparu du dossier judiciaire. Mohamed Ghazi, 83 ans, n'a pas quitté l'infirmerie de la prison d'El-Harrach, selon sa défense, depuis son incarcération dans le cadre de cette affaire en 2019. Au bout de plusieurs heures de délibération, le magistrat accepte de convoquer au tribunal la psychiatre, qui confirme la dégradation de l'état de santé de l'ex-ministre, soutenant qu'il ne "récupérera jamais à 100%". Appelée à son tour à la barre, Mme Maya, 66 ans, apparaît vêtue d'une djellaba noire et la tête couverte d'un châle blanc en dentelle. Son allure tranche avec la réputation de la femme influente, à la porte de laquelle, des hommes d'affaires et des commerçants se bousculaient pour solliciter une intervention auprès des hauts fonctionnaires de l'Etat. À la question de savoir comment elle a pu cumuler une si grosse fortune en un laps de temps très court, elle réplique d'une voix à peine audible : "Ce n'est pas interdit de travailler et de gagner de l'argent", avant de concéder que l'ex-président Bouteflika a chargé, en 2004, son secrétaire particulier Mohamed Rougab de l'introduire auprès de Mohamed Ghazi pour bénéficier d'une parcelle de terrain devant accueillir un projet de parc d'attractions à Chlef. Elle a, par la suite, maintenu le contact avec ce dernier pour régler certains écueils bureaucratiques. Hors de ce cadre, elle nie avoir eu un traitement de faveur. Pourtant, elle reconnaît que l'ex-DGSN Abdelghani Hamel lui envoyait régulièrement un policier pour dresser son chien de garde et l'a aidée à placer des caméras de surveillance dans sa villa à Morreti, après un vol dont elle a été victime. Elle ne répond, toutefois, pas explicitement à la question du magistrat qui, lui, demandait si Hamel lui assurait une garde reprochée. "Je n'avais aucune relation particulière avec lui. Il est venu seulement une seule fois chez moi quand j'ai été cambriolée." Même réponse évasive sur les deux femmes de ménage employées par le ministre du Travail qui venaient s'occuper de sa maison. "Je leur donnais un peu plus de 30 000 DA", se contente-t-elle de dire. Elle n'est pas davantage prolixe quant au butin trouvé chez elle, lors de la perquisition opérée par les gendarmes en juillet 2019 : 9,5 milliards de centimes, 270 000 euros et 30 000 dollars, lui rappelle le magistrat. Interrogée sur ses liens avec les membres du gouvernement et les cadres de la Présidence sous le règne de Bouteflika, Mme Maya affirme qu'elle évoluait "hors du cercle politique et qu'elle entretenait avec eux seulement une relation de business". S'exprimant exclusivement en français, Mme Maya se faisait constamment souffler ses déclarations par sa fille aînée. Le magistrat proteste et rappelle la jeune fille à l'ordre. "Maman ne comprend pas l'arabe", se justifie-t-elle. Interrogée à son tour, celle-ci fond en larmes, soutenant que sa famille est victime d'une "cabale féroce". Et d'ajouter : "J'ai signé des PV sans les lire sous la contrainte, juste pour qu'on m'autorise à voir ma mère." Le procès se poursuit aujourd'hui avec l'audition du reste des accusés et témoins. Nissa H.