Par Pr Zohra Hadj Aïssa(*) En abordant le syncrétisme des différentes cultures musicales – dans ce livre qui se lit aisément – le docteur Mouloud Ounnoughène utilise une approche qui m'a interpellée aussitôt, et c'est de cela que je voudrais parler ici : une approche originale, récente et efficiente qui permet de faire réémerger cette interaction – avec son continuum – dans le temps et dans l'espace – qui traverse, influe et nourrit les différents genres musicaux. Ceci permet d'emblée, dès le début du livre, d'adopter un nouveau paradigme pour mieux comprendre certains morceaux et partitions, mieux apprécier leur portée et leur essence, voire les vraies origines parfois occultées (in) consciemment, découvrir les fusions et/ou les inspirations non révélées mais tellement présentes : en un mot, mieux cerner les compositions musicales. Au-delà de l'exemplification qui est très riche, ce qui interpelle c'est la méthode utilisée par l'auteur pour démontrer comment les différents chefs d'orchestre de renommée ont eu recours à des inspirations venant des noubas et mâqams, des différents folklores, de fusions musicales, de thèmes ou mélodies berbères ou autres, et qui ont impacté les musiques du monde entier. Cette étude très riche m'a permis de me remémorer certaines compositions au fur et à mesure que je lisais, comme elle invite également à combler des vides, répondre à des interrogations préliminaires parfois restées sans réponse ; et enfin à regarder avec une nouvelle lorgnette toutes ces partitions où se nichent tellement de secrets perçus mais non déclarés. Les explications données aussi sur les instruments de musique ne sont pas en reste. Mais je reviens à l'approche qui est intéressante, car elle met en reliance toutes ces connaissances et ces découvertes sur ce dialogue des cultures musicales qu'il faut ré-initier et accepter avec une ouverture d'esprit et une vision scientifique et intelligente sans tout ramener forcément à soi, en se refermant dans une espèce d'autarcie qui fait le déni de l'autre et de ce qu'il m'a apporté. Je crois qu'avec l'auteur, on découvre avec plaisir cette ouverture, cette invitation et cette posture enfin réconciliante d'une musique universelle : mais est-ce un mythe seulement ? Ou peut-elle devenir une réalité ? C'est aussi une question pertinente que se pose l'auteur dans le titre de son livre. Le docteur Mouloud Ounnoughène plante déjà le décor et nous invite à réfléchir différemment la musique, à revenir aux multiréférentialités qu'imposent les nouvelles approches. On est dans les nouveaux paradigmes de la pensée et de la recherche où tout doit être repensé de façon réticulaire, interdisciplinaire, et dans les flux du temps qui parfois n'est pas seulement linéaire, mais aussi circulaire. Les nouveaux processus de compréhension et de construction des savoirs sont invités dans cette étude, et surtout une construction de sens avec déjà le mot dialogue mot d'origine grecque formé de : dia : à travers/entre, et logos : discours, parole, mais ce philosophème est beaucoup plus complet et complexe car il renvoie à l'entendement de la Création et tout ce qu'elle renferme d'immatériel et d'intelligible à la fois), ce serait donc le discours tenu entre les différentes personnes, ou ici par métaphore : entre les différentes cultures musicales tel que le propose l'auteur de cette étude qui s'ouvre sur une vision du monde plus holiste. Quelle belle manière d'aborder – au-delà de la syntaxe et de l'étymologie du terme – cette étude sur les cultures musicales. Et c'est dans ce dialogue conçu et compris ainsi (et non comme la co-présence de plusieurs monologues qui se succèdent ou co-existent) qu'on peut changer une vision de la musique universelle dans toutes ses variantes et ses manifestations. Le Dr Mouloud Ounnoughène pense et propose un dialogue qui s'inscrit entre l'herméneutique de Hans Gadamer et la déconstruction de Jacques Derrida considéré comme théoricien abscons, et ces deux approches retrouvent dans ce livre toute la portée nécessaire et la posture pour aborder des thèmes de telle ampleur. Deux écoles très importantes sur la théorie de l'interprétation avec toute la polysémie de ce terme. Mais c'est surtout la déconstruction (inspirée de Heidegger et revisitée par Derrida) qui se déploie dans ce cheminement réflexif et interprétatif des données que propose l'auteur pour ré-interpréter les cultures musicales et les prendre dans leur aspect polyfacétique. Ici le verbe déconstruire prend toute sa dimension sémantique dans le sens de cette mise en dialogue des différentes musiques universelles. En lisant et en découvrant toutes ces explications, je ne pouvais m'empêcher de repenser à ces deux herméneuticiens qui posent le problème du rapport à l'altérité et surtout celui des interactions indissociables entre tous les éléments qu'il faut aborder et étudier dans cet esprit – précisément – de logos ou de connaissance initiale et ultime à la fois. On peut parler presque d'«idéalité» de la Recherche lorsque celle-ci questionne, cherche, transgresse pour mieux affirmer, relie et trouve, en déconstruisant, les données existantes, et tous les éléments spatiaux et temporels pour proposer des réponses qui feront encore mieux dialoguer les cultures musicales : quelques fois dans une osmose presque parfaite comme certaines fusions, des variantes singulières d'autres fois, et parfois avec des «éclats de vérité» qui (re)viennent enrichir les unes et les autres dans une espèce de reconnaissance mutuelle et d'enrichissement respectif. C'est là que les invariants de l'âme humaine reprennent leur droit, et émergent aussi des particules de ce logos car la musique est l'une des premières expressions de celui-ci : n'était-elle pas, par excellence, le langage de l'âme ? En lisant ce livre intitulé : Dialogue des cultures musicales : Mythe ou Réalité j'ai d'abord fait l'expérience intéressante – tout au long de la lecture – de ré-écouter quelques œuvres musicales citées par l'auteur pour voir la différence ; je les ai (re) découvertes avec une compréhension nouvelle et une attention particulière car j'avais acquis des données jusqu'alors méconnues.Dans ce livre, on sent d'emblée une organisation des connaissances (juste le nécessaire, pour ne pas surcharger le lecteur profane) qui permet d'informer dans un premier temps de découvertes pour la lecture, mais l'auteur nous offre aussi des capacités à mieux contextualiser et globaliser des phénomènes et des données complexes dans leur appréhension, mais qui permettent précisément de tisser entre eux tous les renseignements glanés un peu partout au détour des livres consultés, des bibliothèques fréquentées, ou des lectures effectuées. Cette capacité métacognitive qui gagnerait à être développée – dans tout type de recherche – permet bien évidemment d'avoir une vision plus juste, plus complète, et plus intéressante pour comprendre les thèmes étudiés, avec une nouvelle perspective holistique. C'est comme un chercheur-réseau qui permet de questionner un peu les nouveaux principes qui régissent l'acquisition de la connaissance musicale, ici, et mieux comprendre enfin toutes ces musiques du monde qui ont traversé le Temps et l'Espace. Cette recherche que j'ai beaucoup appréciée, surtout pour l'approche, répond parfaitement à l'émergence de nouvelles formes de pensée qu'on gagnerait à adopter et pratiquer : la transversalité, les reliances et les formes de description connexes (inter/pluri/multi), la prospective, le dialogique, la réflexivité. Il est temps d'arrêter de tourner le dos à cette interaction permanente qui régit tout (même si nos analyses ne le captent pas encore dans son entièreté et sa dynamique permanente), et accepter l'idée plus intéressante d'une cartographie cognitive sous forme d'itinéraires reliant sans cesse des éléments qui renvoient à un Espace, voire un Temps parfois virtuel et imaginaire (lorsque les données ne sont pas toutes exploitées) et d'autres fois réel. C'est exactement ce que fait l'auteur dans son livre qui invite à fréquenter et adopter ces principes cognitifs supérieurs parce que complexes face à de nouvelles situations épistémiques qu'il faut intégrer et mettre en pratique. Cette pensée en réseau qu'adopte, dans son livre, le Dr Mouloud Ounnoughène, est une pensée connexionniste, plurivoque, et multidimensionnelle. En ce qui concerne également la construction du savoir musical dans ce cas précis, l'auteur pose avec acuité la nécessité de changer les méthodes unidimensionnelles de la recherche, pour s'ouvrir à une réflexion plus riche avec une espèce de fractatisation des savoirs, qui créera à son tour des connaissances reconstructibles pour chaque lecteur, à son rythme et selon sa curiosité. Le Dr Mouloud Ounnoughène donne envie de changer de posture avec cette approche, et c'est ce que nous explique très bien – aussi – Jean de Rosnay dans L'Homme symbiotique quand il dit qu'il faut toujours transformer nos expériences en science avec conscience, et faire en sorte de créer une harmonie entre la pragmatique, l'épistémique, et l'éthique. Certes, l'approche est difficile et complexe, mais avec des résultats concluants lorsqu'on s'y astreint. Pourquoi ne serions-nous pas des Sysiphes heureux comme disait Albert Camus, et même si on retombe à chaque fois du rocher (comme dans le mythe), c'est peut être parce que nous n'avons pas encore trouvé le moyen de tout comprendre et saisir la portée de la vraie Recherche en son entièreté comme le fait très bien le Dr Mouloud Ounnoughène dans son livre. Et en ce sens, l'auteur nous offre effectivement une petite clé intéressante pour une vision plus heureuse de ce Sisyphe. Z. H. A. (*) Linguiste et interprète. Université Alger 2.