Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a rencontré, vendredi, à Addis-Abeba, les envoyés spéciaux chargés par l'Union africaine (UA) d'une médiation dans le conflit au Tigré, au lendemain du lancement annoncé de l'offensive finale contre Mekele, capitale de cette région dissidente du nord du pays. M. Abiy a ordonné jeudi à l'armée de lancer la «dernière phase» de l'opération militaire déclenchée le 4 novembre contre le Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), parti qui dirige la région et dont les dirigeants sont retranchés à Mekele, désormais encerclée par les forces fédérales. La communauté internationale, inquiète des conséquences d'un assaut sur Mekele pour ses 500 000 habitants, tente de faire pression sur M. Abiy. Mais celui-ci a fermement rejeté toute «interférence dans les affaires internes» de son pays. Entre autres initiatives, l'UA, dont le siège est à Addis-Abeba, a nommé trois envoyés spéciaux, les anciens Présidents mozambicain Joaquim Chissano, libérienne Ellen Johnson-Sirleaf et sud-africain Kgalema Motlanthe, arrivés mercredi dans la capitale éthiopienne. Le gouvernement éthiopien s'est engagé à les rencontrer «par respect» mais avait par avance décliné poliment cette offre de médiation, comme toutes les précédentes. Vendredi, le Premier ministre a ainsi exprimé dans un communiqué sa «gratitude» envers le chef de l'Etat sud-africain Cyril Ramaphosa, qui assure la présidence tournante de l'UA, et envers les envoyés spéciaux, pour leur engagement à proposer «des solutions africaines aux problèmes africains». Mais il a aussi rappelé que son gouvernement avait «la responsabilité constitutionnelle de maintenir l'ordre (au Tigré) et à travers le pays», soulignant la patience dont il a longtemps fait preuve face aux «provocations» et à «l'agenda de déstabilisation» du TPLF. Jeudi, le ministre éthiopien des Affaires étrangères Demeke Mekonnen avait parallèlement continué la tournée diplomatique entamée il y a une dizaine de jours pour défendre la position du gouvernement, en rencontrant à Paris le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. À l'issue de cet entretien, M. Le Drian a déclaré dans un communiqué condamner les «violences à caractère ethnique et réitérer la demande de mise en place au plus vite de mesures de protection des populations civiles». Il a également exprimé le soutien de la France à l'initiative de l'UA. Vendredi matin, 24 heures après l'ordre donné à l'armée fédérale, il n'était pas possible de savoir si l'offensive contre Mekele avait effectivement commencé. Le Tigré est quasiment coupé du monde depuis le début du conflit, ce qui rend difficile la vérification sur le terrain et de source indépendante des affirmations de l'un et l'autre camp. Aucun bilan précis des combats au Tigré n'est jusqu'ici disponible, mais au moins plusieurs centaines de personnes ont été tuées, et plus de 40 000 Ethiopiens se sont refugiés au Soudan voisin pour fuir le conflit. Jeudi, la télévision officielle éthiopienne EBC a affirmé que les dirigeants du TPLF étaient retranchés dans divers lieux de Mekele, dont une cimenterie, un musée et un auditorium, communiquant «par radio militaire». Fer de lance de la lutte armée contre le régime militaro-marxiste du Derg, renversé en 1991, le TPLF a ensuite contrôlé l'appareil politique et sécuritaire de l'Ethiopie durant presque 30 ans. Progressivement écarté du pouvoir à Addis-Abeba par M. Abiy à partir du moment où celui-ci est devenu Premier ministre en 2018, le parti continue de dominer son fief du Tigré. Les tensions entre M. Abiy et le TPLF n'ont cessé de croître, culminant en septembre avec l'organisation au Tigré d'un scrutin régional qualifié «d'illégitime» par Addis-Abeba, puis avec l'attaque, début novembre, selon le gouvernement, de deux bases de l'armée fédérale par les forces du TPLF, ce que dément ce dernier.