Par Kamel Bouchama, auteur J'emprunte ce titre au quotidien Le Soir d'Algérie qui, sous la plume de Abla Chérif, nous renvoie à notre réalité avec un article, non moins éloquent, sur cette «caisse de résonance» qui est présentement aux mains des monarchies arabes. La journaliste a tout à fait raison de poser carrément la question, en termes crus, qui peuvent s'adapter aisément au lâchage de ces «Khaleejis», en ces temps de défection, d'abandon, voire de reniement de principes, si tant est que ces principes aient mérité d'être accolés à leurs personnes. Ainsi, pour aborder son écrit, elle dit clairement : «L'Organisation – en parlant de la Ligue arabe, bien sûr – est transformée en outil aux mains des monarchies du Golfe.» Ensuite, elle s'interroge: «Que faire de la Ligue arabe ?» (1) Son exposé, qui explique la situation actuelle de cette «caisse de résonance», comme je l'appelle couramment et habituellement dans mon langage politique, fait état de «positions qu'affichent aujourd'hui un grand nombre de pays arabes à l'égard des événements en cours au Sahara occidental et qui font inévitablement ressurgir la cruciale question de la présence de l'Algérie au sein des organisations arabes». En effet, et pour être franc, je me pose, moi aussi, cette autre problématique : que faisons-nous avec cet organisme inconsistant et plus qu'absent, de même qu'avec des soi-disant frères — terme tellement galvaudé —, ces frères qui, sans retenue aucune, sans pudeur, sont allés se jeter, tête baissée, dans les bras de celui qui a décidé de mener «une agression, tout en la présentant comme un acte de défense, pour la préservation d'un territoire occupé par la force et sous contrôle des Nations unies, une institution auprès de laquelle les deux parties en conflit ont signé un accord interdisant strictement tout déplacement de civils et de militaires dans cette zone» ?(2) Compte tenu de cette réalité de notre monde — arabe ? — qui se présente, avec son aréopage d'institutions, en deçà des aspirations de son peuple, hier fier de son Histoire ancestrale et de son patrimoine millénaire, ne doit-on pas clamer nos fautes et nos faiblesses, tout en les reconnaissant courageusement à travers le temps ? Oui, nous devons dire aux jeunes ce qui nous reste des principes ou de l'illusion de notre contenance ou, carrément, de notre force, notamment celle de cette Ligue baptisée pompeusement... «arabe», et dont les membres ont paradé, lors de sa création, dans le style des vainqueurs et dans «un certain esprit de solidarité, de l'émergence du courant panarabe et du désir des Etats membres de réaffirmer leur indépendance face au colonialisme»...(3) De belles promesses, dirait le citoyen lambda qui, collé aux médias officiels – sources d'abrutissement en régime totalitaire – va très vite voir ses illusions s'évanouir au contact de résultats négatifs et par trop aberrants. Et là, la déception, s'accompagnant d'amertume, s'amplifie et gagne du terrain pour laisser place à la perte de confiance qui va dans le temps et l'espace. Et comment alors le citoyen verrait-il ce monde arabe et sa Ligue qui se mouvaient autour de lui, dans l'excitation ou l'indolence — c'est selon — si ce n'était dans une atmosphère de ressentiment ou... de dégoût, purement et simplement ? Oui, car depuis la fondation de la Ligue le 22 mars 1945 au Caire et ses «premières préoccupations qui furent les luttes d'indépendance, la décolonisation et la lutte contre les ingérences britanniques et françaises...», que peut-on cerner, en termes de résultats concrets, de l'agitation de ce monde qui se situe aujourd'hui, incontestablement, à côté de la plaque ? Ne serait-ce, d'abord, que pour son silence «assourdissant» concernant notre pays, et ce depuis des lustres, pendant ces moments où nous avions tellement besoin de ce soutien qui nous aurait servi à atténuer un tant soit peu le poids de notre fardeau du temps de la lutte de Libération nationale. Mais rien n'y fit. Alors que pendant ces moments d'indifférence, voire d'impuissance de la Ligue arabe, qui nous appartient hélas, la «Question algérienne», la nôtre, a été débattue chez les autres, à Bandoeng, en avril 1955, sous les auspices de vingt-neuf pays africains et asiatiques, en présence de Nasser, Nehru, Soekarno et Chou En-Laï. Le FLN était représenté par M'hamed Yazid et Aït Ahmed, qui ont été admis comme observateurs. Le communiqué final a apporté son soutien inconditionnel à l'Algérie. De même que le combat de notre peuple a été fortement évoqué le 30 septembre 1955, en Assemblée générale de l'ONU, dans sa XIe session, et notre décolonisation a été inscrite officiellement à son ordre du jour. Ainsi, le 15 février 1957, après plusieurs sessions au siège de Manhattan, l'ONU a reconnu le droit du peuple algérien à l'autodétermination. En ce temps-là, la Ligue arabe était out ! Effectivement out, et elle marquera son absence, depuis sa création, dans d'autres événements arabes, laissant ses Etats et monarchies se disputer la palme de l'inféodation aux grandes puissances pour «taper sur les leurs» ou simplement pour leur prêter main-forte au cours de leurs opérations agressives dans leurs territoires... arabes. Et ainsi, ces événements qui marquent cette soumission pour plaire, en soutenant des programmes belliqueux élaborés dans les officines étrangères contre leurs propres frères, sont nombreux. C'est dire que les Arabes et leur Ligue — et c'est dommage d'en parler sur ce ton — n'ont pas pensé une seule fois qu'il faille entreprendre, avec tous les moyens qu'ils possèdent, des programmes intéressants au profit de leur communauté, c'est-à-dire pour son avance dans tous les domaines, notamment ceux de la science et du progrès, au lieu de faire dans la forfaiture et l'abandon des leurs. Que dalle ! Et cette situation a persisté et persiste encore, jusqu'à ces derniers temps, à travers deux aspects. Primo, à cause de l'atomisation et de l'obsolescence du monde arabe, qui vit constamment de discordes, de divisions et d'alliances contre nature, pendant qu'il se prétend être en quête, de par les discours emphatiques de ses dirigeants, de son hypothétique unité. Secundo, à cause de sa Ligue, cet organisme fragile et inexistant dans le concert des nations où toutes ses rencontres, organisées dans un style pompeux qu'on appelait dans un langage abusif «Sommets arabes», ne se sont pas terminées dans le concret. Parce que, tout simplement, celle-ci qui est chargée de fédérer les Etats arabes en un bloc uni face au reste du monde pour défendre les intérêts communs de ses membres démontre, depuis sa création, une vulnérabilité accrue, du fait qu'«elle n'a jamais pu s'exprimer d'une seule voix, ni faire ses preuves face aux puissances internationales». Mais pour comprendre tout cela, vous attendez que je vous donne des faits concrets... et vous êtes dans votre droit ! Ainsi, je vous fais grâce de l'abondance de mes écrits — je voulais dire mes critiques acerbes mais justes, concernant la Ligue et l'Unité arabes —que vous trouverez, tout simplement dans la «caverne de Hadj Google». Mes contributions sur ce sujet brûlant de notre actualité datent des années 1990, pour être plus précis. Et, de ce fait, pour ne pas terminer ce présent écrit dans les généralités, je me propose de l'accompagner d'histoires réelles dans mon vécu de responsable. Ainsi, je me permets de témoigner mon indignation face aux comportements des dirigeants dans cet ensemble hétéroclite du monde arabe et de sa déficiente Ligue, qui ne font que de la figuration navrante et pitoyable pendant les conflits qu'on nous impose sur nos territoires, devenus, hélas, des champs d'expérimentations pour diverses stratégies du chaos... Suivez-moi pour plus d'informations. Sofia, 1968 Le 9e Festival mondial de la jeunesse et des étudiants s'est déroulé à Sofia, en Bulgarie. Ce même festival allait avoir lieu trois années avant à Alger, mais n'a pu se tenir à cause du coup d'Etat du 19 juin 1965. Cela m'amène à évoquer, dans le même chapitre, cet autre revers, qui n'était pas pour honorer le monde arabe et, encore moins, ses dirigeants. En effet, plus de 200 délégués algériens à ce festival se trouvaient à pied d'œuvre, en un séminaire de préparation, à l'Ecole normale des instituteurs de Bouzaréah. Il y avait de tout dans cette délégation composée de trois groupes : politique, sportif et culturel. Cependant, si tout était prêt sur les plans politique et logistique, son départ restait improbable, à moins d'une semaine de l'ouverture du festival. Un vent de doute, en effet, soufflait sur cet événement, après tant d'assurances données aux responsables de la jeunesse algérienne par les chefs de mouvements de jeunesses arabes et africaines et certains mouvements latino-américains, que nous avons invités à Alger pour arrêter une position commune dans l'hypothèse de la participation d'une délégation de l'Etat sioniste. La participation de notre pays, donc, se conjuguait au mode de l'incertitude, tant qu'Israël persistait à être présent à ce regroupement mondial. Nous avons demandé, avec insistance, que l'on fasse le maximum pour partir en rangs organisés, avec l'ensemble des jeunesses du monde, éprises de paix et de liberté, «pour barrer la route aux sionistes, qui saisiront l'occasion de ce rassemblement international important pour semer davantage des idées pseudo-progressistes afin d'occulter l'usurpation de la terre de Palestine, et la tragédie de son peuple qui lui est imposée jusqu'à ce jour». Nous avons signé des accords, et nous nous sommes entendus pour qu'«un seul drapeau doit flotter au nom des Palestiniens dans ce festival, c'est l'emblème palestinien, quand bien même y aurait-il dans la délégation palestinienne... de nombreux juifs. Ils ne seront, pour tout le monde, que des Palestiniens ! Et puis, n'avons-nous pas toute latitude de prendre des positions qui répondent à notre politique arabe, régionale, continentale et internationale» ? Mais le jour de l'ouverture, la jeunesse algérienne était absente à la cérémonie d'ouverture du festival, dans une capitale envahie par les chars, de peur d'un autre «Printemps de Prague» à Sofia(4). Cent quarante-deux délégations du monde, soit toutes les délégations attendues, à l'exception de celles de l'Algérie et de la Corée du Nord, s'étaient donné rendez-vous à Sofia, avec la délégation d'Israël représentée par les communistes du «Rakah»(5). Toute cette histoire du Festival de Sofia, que nos responsables d'alors avaient suivi pas à pas avec les responsables de la jeunesse, je la raconte pour expliquer la défaillance de nos frères arabes, censés être plus concernés par le combat du peuple palestinien. C'est à partir de ces faits, dans la cohérence du raisonnement, que nous ne pouvions suivre ces responsables arabes qui se fourvoyaient, allant droit dans le mur, voire à la capitulation, en se montrant plus enclins aux alliances contre nature qu'aux luttes pour le recouvrement de la dignité. New York,1970 New York et Manhattan, où se déroulait, au siège des Nations unies, le 1er Congrès mondial de la jeunesse. La délégation algérienne profitait de ce rassemblement historique pour se placer au hit-parade du mouvement de solidarité. La délégation a proposé en Assemblée générale le départ des représentants fantoches de Séoul, Saigon, Phnom Penh et Taïwan, ensuite le boycott des délégations sionistes, dans ce vaste rassemblement pour la paix. Beaucoup de pays progressistes ont adhéré à cette vision qu'ils trouvaient juste et conforme à leur position anti-impérialiste. Les délégations arabes, elles, ont souligné que notre délégation était illogique dans ses propositions et, mieux encore, elles étaient parmi celles qui n'ont pas accepté qu'un Palestinien soit membre du steering committee du Congrès mondial. En tout cas, les délégations fantoches, énumérées déjà, et les nombreuses autres délégations venues d'Israël — elles étaient sept — n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer librement et publiquement. Elles ont été chahutées par l'ensemble des délégations présentes qui ont su donner à la solidarité sa propre résonance. Revenons à notre Palestinien, proposé par l'Algérie et refusé par toutes les délégations arabes, ainsi que par le délégué de la Ligue arabe auprès de l'ONU, pendant les réunions de coordination avec le «groupe arabe». Je me rappelle, ce jour-là, le mois de juillet 1970, quand j'ai proposé au nom de l'Algérie le frère Fawez Nadjiae, un Palestinien bien né, d'une famille de combattants, au Comité directeur du Congrès. Une tempête s'en est suivie et chaque représentant arabe se devait d'intervenir pour légitimer la position de son pays en l'étoffant avec des explications qui n'en finissaient pas. Quant à moi, je campais sur mes positions, au nom de l'Algérie, jusqu'au moment où je sentais qu'il n'y avait aucun terrain d'entente, puisque le représentant de la Ligue arabe s'en est mêlé pour me convaincre que la proposition du Palestinien était inopportune et qu'elle n'avait aucune chance d'aboutir. Là, j'ai quitté la réunion, non sans leur faire savoir que leur langage m'était inaudible, et qu'il ne me restait qu'à aller voir d'autres pays progressistes qui, eux, étaient plus enclins à comprendre le malheur des frères palestiniens et de tous ceux qui luttent pour leur liberté. Je ne vais pas raconter dans les détails la suite de cette passionnante mission, mais je pense qu'il est utile de souligner que le Palestinien proposé par l'Algérie a été non seulement plébiscité – après un sérieux travail de notre part – par l'ensemble des organisations amies qui avaient confiance en notre pays, mais il a eu aussi l'insigne honneur de diriger la plus importante Commission du Congrès mondial, la «Commission de la paix» qui était suivie, à l'intérieur des Nations unies, par plus d'un millier de grands diplomates et de hauts fonctionnaires internationaux et, de l'extérieur, par la Maison-Blanche et tout le lobby sioniste. Le Président des Etats-Unis, Richard Nixon, était relié directement au siège du Congrès et suivait régulièrement les travaux de cette grande Commission que présidait le Palestinien Fawez Nadjiae. Ainsi, il a dirigé d'une main de maître, loin de ses «frères arabes», plutôt de ses frères-ennemis, cette Commission aux côtés des Michel Jouet, SG de la FMJD(6), et des délégués de la Guinée, du Pakistan, de Cuba et de la RDA que la délégation algérienne avait proposés. Sans commentaire ! Après ces témoignages qui racontent notre faillite sur tous les plans, de l'organisation à la gestion de nos affaires, à nos relations avec nous-mêmes et les autres, comment répondre à la sempiternelle question : «Que faire de la Ligue arabe» ? Eh bien, je fais mienne cette sagesse du chantre andalou qui disait en un seul ver de poésie, et je n'ai pas trouvé mieux : «Peut-elle s'améliorer la situation du pays tant que le souverain est injuste... ? Et l'ombre, peut-elle être droite, quand le bâton est tordu ?» Bel exemple par cette figure de style, pour décrire cette Andalousie en décadence ! Ainsi, très jeune à l'époque quand je m'essayais aux arcanes de la politique, j'avais compris, tout en étant convaincu, qu'avec des comportements pareils le monde arabe ne pouvait aller très loin... Et vous donc — tout comme moi —avez-vous bien compris où se situe le mal... ? Alors, il faut franchir le Rubicon ! Il faut aller vers une révolution audacieuse, claire et menée à pas de charge, pour rattraper le temps perdu... Au loin les atermoiements ! Ainsi, je dis que notre unité ne sera proche de la concrétisation que si nos gouvernants décident de franchir le pas pour pénétrer d'autres «horizons», autrement plus clairs, des horizons qui arpenteront inévitablement le chemin des réformes, dans tous les domaines. Les systèmes arabes sont érodés — tous les systèmes, sans exception — par rapport aux exigences des temps nouveaux. Il ne faut pas se voiler la face. Et donc, ce n'est vraiment pas avec les programmes – loués indéfectiblement aujourd'hui dans ces mêmes médias officiels – et qui n'ont aucune attache avec la réalité du terrain, que nous pouvons avancer dans ce troisième millénaire. Il faut plus de démocratie, que dis-je..., l'application de la véritable démocratie, pas celle de façade qui s'est érigée en «faire-valoir» dans tous les pays arabes... Il faut, enfin, plus de sérieux, plus de travail, plus de solidarité entre nous, il faut réunir tous nos cadres, leur donner la chance de s'exprimer, chez nous, de montrer leur compétence et leur savoir-faire... Il faut les mettre là où il faut et se départir de cette ambiance de népotisme, de favoritisme et de clanisme qui existe dans tous nos pays. Ainsi, en mettant, «l'Homme qu'il faut à la place qu'il faut», nous n'aurons pas peur d'aller vers cette unité tellement attendue par le peuple arabe, ni même de nous mettre face à ces «Grands» qui dirigent le monde, et de les regarder dans le blanc des yeux ! Alors, armons-nous de courage et prenons des décisions qui feront honneur à notre jeunesse, en lui donnant ce qui doit l'exalter et lui permettre d'espérer en l'avenir. A cet effet, les chefs arabes et leur Ligue doivent faire leur toilettage – absolument – pour être dignes devant l'Histoire et le monde qui avance, à grands pas. K. B. Notes 1- Abla Cherif, Le Soir d'Algérie du 21-11-2020 2- Ibid. 3- Fiche-info 152, publiée en avril 2012 4- «Le Printemps de Prague» : en janvier 1968, le réformateur Alexandre Dubcek remplace Antonin Novotny à la tête du Parti communiste tchécoslovaque (PCT). 5- Rakah, parti communiste israélien. 6- Michel Jouet a été secrétaire général de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD, pendant plusieurs années. Une fonction qu'il a menée avec passion, en jouant un rôle déterminant pour rassembler les organisations de jeunesse des cinq continents dans la lutte anti-impérialiste.