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Allons-nous manger du sable du désert avant la fin de la manne pétro-gazière ? (2e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 12 - 2020


Par Kamel Khelifa(*)
Dans la première partie de cette contribution, nous avions abordé le volet des dépenses et des investissements publics, financés exclusivement dans le cadre du budget de l'Etat, en ayant, évidemment, recours au Trésor public, lequel puise 98% de ses ressources en devises dans la rente pétro-gazière.
Cette politique rentière exclut, de facto, tout autre prétendant à l'investissement dans des projets structurants, en dehors de petits projets dans les industries légères, notamment de transformation (conserveries de tomates, de pâtes alimentaires, des laitages, etc.) ; sauf aux «entrepreneurs», fabriqués de toutes pièces...
Dans cette deuxième partie, le volet des échanges extérieurs est abordé pour démontrer qu'il obéit à la même logique de l'Etat-patron, jamais démentie, en dépit de la prétention de nos dirigeants d'avoir (faussement) mis de côté l'économie administrée et ouvert (erronément) le pays à l'économie de marché, faite d'un peu d'économie de souk algérien, de bazar turc et de ji shi shùyû (bazar) chinois, où le marchandage et l'opacité sont quasiment la règle.
En réalité, le commerce extérieur de l'Algérie serait, à en croire moult affirmations sur la Toile, entre les mains d'une poignée de gens influents, au nombre de deux à trois cents, situés à tous les niveaux des centres de décision, ayant des facilités d'accès aux crédits et aux financements des importations de marchandises à l'étranger en devises fortes. Et parmi la légion d'importateurs (revendeurs de produits en l'état), nombre serait des hommes de main à qui des registres du commerce sont obtenus et des introductions aménagées auprès d'un certain nombre d'organismes financiers et autres de contrôle, afin de favoriser leurs business...
Ceci n'exclut pas d'autres registres obtenus par des importateurs nés à la faveur du copinage, le voisinage, la région et les différentes alliances et associations avec la bureaucratie.
Ainsi, toute gestion est sous haute surveillance, de sorte qu'aucune richesse ne puisse se réaliser à la régulière ; autrement dit, selon les règles de commercialité, de transparence des livres et des comptes, de l'orthodoxie managériale, etc., en matière d'investissements et de commerce extérieur, objet de cette deuxième partie. Un bon commerce est un commerce honnête, supposant le respect de plusieurs conditions que peu de commerçants remplissent aujourd'hui en Algérie...
L'étatisme, synonyme de pouvoir absolu et de gabegie sans limites
Il faut savoir que ce système de gestion de l'économie administrée, sous la houlette de l'Etat-patron, fut créé à l'aube de l'indépendance pour permettre au chef politique tout-puissant (Ben Bella, pour peu de temps, et puis Boumediène, pour longtemps, et enfin Bouteflika) de détenir les clefs de l'écluse économique du pays qu'il est seul à ouvrir et fermer à sa guise, comme tout le reste de la gestion du pays, qu'elle soit politique, sociale, culturelle, etc.
Ainsi, favorisèrent-ils l'émergence de la médiocratie, du clientélisme et du charlatanisme, au détriment de la compétence, de l'honnêteté et de l'intégrité qu'on laissera sur le carreau en Algérie quand une autre partie filera à l'étranger, tandis que le navire Algérie navigue à vue.
Nos compatriotes ne savent pas trop qu'avant la mise en œuvre de la révolution agraire en 1971, qui a sonné le glas de la suffisance alimentaire et des excédents habituellement exportables du pays, l'Algérie fut le premier exportateur des produits de la terre du Bassin méditerranéen, avec plus de 1 million de tonnes/an ; chiffre atteint par le Maroc seulement à la fin des années 2000...
En matière de commerce extérieur, il y avait moins de trafics et de corruption, dans les années 70-80, époque où il fut encore possible d'effectuer un dédouanement à l'import et à l'export sur simple déclaration douanière provisoire, assortie d'un délai de régularisation définitive, au même titre que les marchandises dangereuses dont le séjour au port est interdit, pour les stocker dans des parcs à feu ; ces mesures de facilitation n'empêchaient pas les contrôles inopinés des brigades des douanes au port et dans les locaux de l'importateur, tant que celui-ci n'a pas régularisé sa situation. Comme on peut s'en douter, généralement la corruption se nourrit à la source des interdictions et des verrouillages des activités et ce ne sont pas les «interdits» qui manquent en Algérie.
En effet, de nos jours, avec des contrôles systématiques par scanner, ayant coûté chacun la bagatelle de 10 à 12 millions USD et des délais de formalisation et d'apurement des documents se comptant en semaines, et autant de temps de souffrance des marchandises dans les ports, l'Algérie entière pétarade de partout, 40 à 50 jours avant les fêtes du Mawlid, alors que les fumigènes et autres feux d'artifice sont interdits à l'importation... C'est aussi à cela que l'on reconnaît les tours de magie de la corruption et/ou du pouvoir d'influence des issabate (bandes criminelles) qui ont pourri l'Etat et la société...
Notons également qu'avant la monopolisation frénétique des activités portuaires, la gestion de certains ports (Béjaïa, Mostaganem, etc.) fut dévolue aux chambres de commerce respectives et les autres ports, dits autonomes (Alger, Oran, Annaba, etc.), relevaient de la compétence des ponts et chaussées, à charge pour chaque unité portuaire de payer aux Domaines la concession du plan d'eau, du matériel et des outillages portuaires ; le staff de commandement disposait d'une gestion autonome (d'où leur nom de port autonome), statut permettant à chaque port de dégager régulièrement des marges bénéficiaires.
À la fin des années 50, et ce jusqu'à la veille de l'avènement des monopoles de l'Etat sur les activités portuaires, dès l'année 1971, trois ports algériens (Mostaganem, Ténès et Béjaïa) furent classés parmi les ports «à forte productivité du Bassin méditerranéen», selon un rapport d'une conférence maritime France-Maghreb de l'époque, au temps des portefaix (el hâamel). Aujourd'hui, avec la mécanisation avancée, en matière de productivité portuaire, tous nos ports font globalement partie des «lanternes rouges»...
Force est d'admettre également qu'avec la permanisation (démagogique) des dockers en 1971, on a «cassé» les bras du portefaix algérien dans les ports qui découvrit à la longue de nouvelles habitudes : «regda ouet mangi», dit-on dans le charabia algérien pour signifier : ça dort et ça mange.
Dans nos échanges avec l'étranger, les importateurs algériens sont les seuls opérateurs économiques au monde à avoir laissé toute latitude à leur fournisseur-exportateur de prendre en charge le transport principal et annexes, jusqu'à destination, en achetant systématiquement en coût et fret (CFR), voire livraison à domicile. Et lorsqu'ils doivent à l'occasion exporter un produit cela se fait généralement en FOB aux ports algériens ; autrement dit, on vend un produit dans notre propre port, sans escompter la moindre valeur ajoutée pouvant être obtenue par l'utilisation de notre propre logistique.
À partir de ce constat peu reluisant, il y a nécessité de fédérer les opérateurs économiques algériens honnêtes en regroupements, desquels les nervis seront exclus d'eux-mêmes, dès lors qu'ils n'accepteraient jamais de jouer franc-jeu, en évoluant dans la transparence...
De l'intérêt des regroupements des opérateurs économiques algériens
La finalité de ces regroupements (comme cadre de concertation et force de proposition think tanks et non en tant que syndicats) est de fédérer autour de conseils les corps de métier intervenant dans le commerce extérieur, les infrastructures, les transports et la logistique, pour sortir l'opérateur algérien de cette léthargie dans laquelle il se trouve, en l'espèce de constater, impuissant, la chaîne des valeurs de son commerce lui échapper totalement. Se fédérer, c'est donc commencer par réfléchir ensemble, tel qu'évoqué dans la 1re partie, aux différents modes d'intervention dans les investissements en infrastructures (excluant tout recours au Trésor), dans le commerce extérieur, à l'effet de faire prendre conscience aux opérateurs économiques des pertes subies du fait des achats systématiques en coût et fret (CFR), comme évoqué plus haut.
Et lorsque nos opérateurs économiques doivent exporter cela se fait généralement en FOB ports algériens ; autrement dit, on vend un produit dans notre propre port, sans escompter la moindre valeur ajoutée, pouvant être obtenue par l'utilisation de notre propre logistique. Concrètement, cela se traduit par une exportation au plus près de chez soi et une importation également se faisant chez soi, alors qu'il faut faire l'inverse, pour majorer la chaîne des valeurs et conforter la balance des paiements de notre pays.
Dans de précédents écrits, j'attirais l'attention de l'opinion publique sur les manques à gagner, dans la logistique des transports et des ports, variant de 5 à 7 milliards USD/an, selon l'importance de la facture de nos importations de l'étranger et je formulais des recommandations sur la façon d'économiser une partie de ces coûts et surcoûts...
Lorsqu'un certain nombre de conditions seront réunies, l'opérateur algérien sera susceptible de contrôler l'ensemble de la chaîne logistique par ses propres moyens ou par des sous-traitants, choisis par lui-même et non par des intervenants désignés par ses fournisseurs.
Cette proposition de recourir au logisticien algérien, par exemple la SNTR ou d'autres opérateurs privés, passe nécessairement par l'adhésion pleine et entière de l'Etat et de la Banque d'Algérie pour le règlement en devises du prestataire national à l'étranger. Ces opérateurs logistiques algériens doivent être préalablement agréés par un conseil des chargeurs algériens (public et privé), à créer impérativement...
Le conseil des chargeurs algériens, composé d'importateurs/exportateurs, existant dans le monde entier, doit être accompagné de la création d'une communauté portuaire véritable, qui serait l'émanation (non de l'administration portuaire ou centrale du ministère) mais des usagers et des utilisateurs des
ports ; outre l'élaboration de fascicules d'orientation du commerce extérieur, élaborés et établis par des conseils en commerce international, à travers des séminaires et des stages interentreprises ininterrompus, en raison de l'évolution des métiers dans un univers océanique en perpétuelle mutation. Une autre condition réside dans le renforcement du pavillon national dont le taux de couverture, dans le commerce extérieur, est passé de 33% dans les années 80 à 12% en 99, à 7% en 2009 et aujourd'hui il se situe, grosso modo, à 2 ou 3%.
Comment dans de telles conditions réguler les taux de fret et permettre à notre pays de limiter les transferts outranciers de devises sans aucune possibilité de contrôle ?
Au risque de me répéter, tant ce message passe mal, mon propos exclut volontairement le recours au Trésor public pour financer l'acquisition d'une flotte (navires et aéronefs), en dehors des interventions autres que régulatrices de l'Etat. Dès lors, il reviendrait à la puissance publique d'encadrer seulement les opérateurs algériens, afin de faciliter leur organisation en consortium d'investisseurs potentiels dans le commerce, dans la logistique des transports des marchandises et des passagers, des ports et aéroports, grâce à des encouragements fiscaux incitatifs...
Pour ce faire, les capitalistes intéressés doivent s'organiser en souscripteurs, pour reconstituer une flotte marchande, en revendiquant l'accès à une partie du capital de la Cnan, d'Air Algérie et pourquoi pas de l'ensemble des entreprises publiques, rachetées en partie, suivant le système dit du quirataire (prise de participations par des opérateurs publics et/ou privés dans des activités) ; l'Etat se contentant de garder le tiers du capital, constituant la minorité de blocage, mais les 2/3 doivent être cédés à des opérateurs intéressés.
Cette proposition permettrait à l'Etat d'engranger dans la foulée des milliards de dinars, en ces temps de vaches maigres, tout en se débarrassant de ces éléphants blancs budgétivores, à l'exemple de 90% des entreprises publiques algériennes.
Entre d'autres mains que celles de l'Etat, je suis convaincu que les entreprises algériennes retrouveraient le chemin de la rentabilité. De là, la nécessité de sortir au plus vite du système de l'Etat-patron, à l'origine des dérives du pays dans nombre de domaines, pendant qu'il est encore temps ; les ministères de tutelle technique se contenteront de faire de la politique, c'est leur rôle principal, chacun dans son secteur respectif, et de veiller au bon usage du capital marchand de l'Etat, placé ici et là... C'est la seule façon de mettre fin : au népotisme ravageur dans la gestion économique du pays ; la corruption au sein des couches de la société professionnelle ; la gabegie dans la gestion des entreprises publiques ; les recrutements inconsidérés de personnels pléthoriques et sans niveau, constitués généralement de pistonnés, appartenant parfois à un ou deux douars, jusqu'au prochain changement du staff de management...
Avec l'ouverture du capital à un maximum de capitalistes publics et privés locaux et internationaux, y compris dans le management des ports, cette nouvelle race d'entrepreneurs imposerait des nouvelles règles d'orthodoxie managériale et de transparence dans la gestion à eux-mêmes et aussi à la bureaucratie... Un ministre ne pourrait plus, du haut de sa tutelle politique, placer des petits copains et autres gars de son village à la tête d'une entreprise publique, en partenariat avec des tiers, sans risque de se voir opposer le veto des représentants des actionnaires et non moins détenteurs des capitaux associés à l'Etat.
Enfin, avec le modèle de gestion proposé, à travers ces lignes, nul ne se porterait candidat à un poste de gestion s'il ne se présente pas muni d'un business plan, passé au peigne fin par des experts dûment choisis par les conseils d'administration des actionnaires et du comité de supervision de l'entreprise... C'est la situation prévalant désormais dans le monde entier et il appartient à notre pays d'adopter cette voie, tant qu'il est encore temps, sans quoi, nous allons manger le sable du désert, tel que je l'ai titré dans ma précédente contribution.
K. K.
(*) Auteur-essayiste, spécialiste dans les échanges internationaux, les transports et la logistique, expert auprès d'organisations internationales (ONU, UE, etc.). Diplômé de 3e cycle de l'enseignement supérieur (France) en transport, logistique et commerce international ; fondateur du journal des transports et de la logistique Le Phare ; auteur d'ouvrages économiques et essais de géopolitique ; ancien membre du Comité d'experts de l'ONU (Uneca) ; consultant international auprès de bureaux d'études de l'UE ; membre de l'IEM (Institut euro-méditerranéen) Barcelone.


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