Le ministre des Affaires étrangères marocain l'a lui-même dit : il ne s'agit pas d'une normalisation, mais d'une reprise normale des relations entre le Maroc et Israël. Ce rapprochement récent n'a rien donc de surprenant. C'est le contraire qui aurait été une anomalie à bien des égards : le Maroc est le seul pays musulman reconnaissant sa part de judaïté dans sa Constitution. Durant la Seconde Guerre mondiale, le roi Mohammed V défendit sa communauté juive contre les lois antisémites du régime de Vichy, avec une détermination qui lui a valu la vénération des Juifs marocains. Aujourd'hui encore, et malgré la fermeture des bureaux de liaison au début des années 2000, les Juifs sont des sujets marocains à part entière. De nos jours, on estime que 800 000 Israéliens sont originaires du Maroc sur une population totale d'environ 6,2 millions. 156 500 personnes sont nées au Maroc et 336 000 en Israël d'un ou de deux parents marocains, le reste formant la troisième génération. Or, ces israélo-marocains ne se sont pas contentés d'entretenir une mémoire individuelle et familiale du pays natal dans l'espace domestique privé, ils sont également à l'origine de l'introduction à l'intérieur de l'espace public de symboles traditionnels du Makhzen. Il s'agit, par conséquent, de la consécration diplomatique de liens multiformes, anciens et forts entre le royaume alaouite et l'entité sioniste. Ces derniers, qui ont annoncé le rétablissement de leurs relations officielles, coopéraient déjà, dans un secret relatif, depuis plus de 60 ans, notamment en matière de renseignement, de sécurité, de défense et de diplomatie. Il est établi dans ce cadre que l'Etat hébreu a aidé le Maroc à obtenir des armes et du matériel militaire de pointe et a également contribué au développement du savoir-faire des FAR. On sait aussi que ce sont les Israéliens qui ont inspiré au roi Hassan II l'idée de la Marche Verte sur le Sahara Occidental. Et on n'ignore pas aussi que ce sont des muses israéliennes qui lui ont soufflé l'idée du Mur de protection dans les territoires du Rio de Oro et de Saguia El Hamra colonisés ensuite par le Maroc. De même, et c'est de notoriété publique, que des Israéliens ont aidé les Marocains à édifier le mur de sable inspiré de la ligne Bar-Lev, cette chaîne de fortifications militaires construites le long de la côte du canal de Suez après la conquête du Sinaï. Et, c'est également un fait admis, le Mossad a aidé le Palais royal à assassiner à Paris, avec la complicité des services français, Mehdi Ben Barka, chef de l'opposition tant redouté par le roi Hassan II, moins de cinq ans seulement après son accession au trône. En parallèle, Hassan II a autorisé l'émigration massive de Juifs marocains vers Israël (environ un million), et a permis à l'armée israélienne, de manière décisive, de remporter la guerre de 1967. Il a de même contribué activement à la normalisation des relations entre Israël et l'Egypte, et a essayé, en vain, d'aider le Mossad à tuer Oussama ben Laden avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Du point de vue chronologique, l'accession au trône d'Hassan II favorise un accord entre lui et le Premier ministre israélien David Ben-Gourion sur l'émigration des Juifs marocains alors que son père Mohammed V l'avait interdite en 1959. Dans le cadre de cet accord, Israël a rémunéré le Maroc pour chaque Juif autorisé à venir en Israël. C'est le début de l'opération Yachin. En contrepartie, Israël a livré des armes au Maroc qui ont servi contre l'Algérie en 1963, a assuré une formation de ses forces de sécurité et apporté son appui pour ses opérations de renseignement. En 1965, Hassan II permet au Mossad de mettre sur écoute les salles de réunions et les chambres privées des dirigeants arabes lors d'un sommet arabe à Casablanca, destiné à évaluer les possibilités d'une guerre contre Israël. Les Israéliens reçoivent alors des informations déterminantes qui leur ont permis de déclencher la guerre préventive victorieuse des Six jours en 1967. Les enregistrements gracieusement fournis par Hassan II aux espions du Mossad présents en masse à Casablanca ne révèlent pas seulement la division qui prévalait alors dans les rangs arabes, mais aussi que les pays du Moyen-Orient étaient peu préparés à la guerre. Ces détails ont été révélés en 2016 par le général Shlomo Gazit, ex-dirigeant des renseignements militaires israéliens, dans un entretien au Yedioth Ahronoth. Selon Ronen Bergman, journaliste d'enquête, essayiste et analyste militaire israélien pour le Yedioth Ahronoth et le New York Times, le Maroc a demandé qu'Israël lui rende la monnaie de sa pièce en l'aidant à éliminer Mehdi Ben Barka. Le Mossad avait précédemment averti le jeune roi d'une tentative de Ben Barka de le renverser – un plan auquel l'opposant avait demandé au Mossad de prendre part. Le service israélien a ensuite aidé le roi à localiser Ben Barka et à l'attirer à Paris, où les agents marocains l'ont tué, au vu et au su des services français qui ont laissé faire. Ronen Bergman a révélé ces détails dans un livre publié en 2018 et consacré à l'histoire des assassinats ciblés par les services secrets israéliens. Il a par ailleurs publié un article dans le New York Times résumant les liens entretenus secrètement entre le Maroc et Israël, au lendemain de l'annonce de la restauration de leurs rapports diplomatiques. En 1977, Hassan II joue un rôle essentiel en coulisses dans les pourparlers de normalisation entre Israël et l'Egypte, Rabat abritant plusieurs rencontres secrètes entre les conseillers de Menahem Begin et d'Anwar Sadat. Ces pourparlers ont abouti au tout premier accord de paix entre Israël et un Etat arabe, et a conduit les dirigeants israéliens à persuader la Maison-Blanche de consentir une aide militaire au Maroc, selon Ronen Bergman. Plus tard, en 1995, les services de renseignement marocains se sont efforcés – sans succès, comme déjà souligné plus haut, d'aider le Mossad à éliminer Oussama Ben Laden, qui deviendra le cerveau des attentats du 11 septembre 2001, indique Bergman. Le Mossad tente alors de recruter le secrétaire particulier marocain de Ben Laden pour pouvoir le localiser, mais échoue à le faire. Certains détails de cette opération ont été publiés par le Yedioth Ahronoth en 2006. N. K.