Par Leïla Aslaoui-Hemmadi Le 2 janvier 2021, le tribunal militaire de Blida a jugé non coupables de : «Complot contre l'autorité de l'Etat et l'intégrité du territoire national», deux officiers supérieurs de l'armée, retraités, le frère de Abdelaziz Bouteflika et la secrétaire générale du Parti des travailleurs. Cette juridiction autrement composée (magistrats n'ayant pas connu l'affaire auparavant) a prononcé l'acquittement des personnes sus-mentionnées après cassation par la Cour suprême de la décision de la même juridiction qui les avait condamnées à quinze ans de réclusion criminelle. Aussitôt après le verdict d'acquittement, maître Farouk Ksentini, avocat de l'un des «ex-accusés», a exprimé, via les médias, sa satisfaction et son soulagement. Réaction somme toute normale. D'autant que ce même défenseur, bien avant la reprise du procès après cassation, avait déclaré via les médias qu'il était confiant et s'attendait à une décision d'acquittement. Poursuivant ses déclarations sitôt connu le verdict, maître Ksentini a entendu rendre hommage à la juridiction (tribunal militaire de Blida) qui est, selon lui, un exemple à suivre et dont devraient s'inspirer d'autres juridictions. Notamment celles qui ont eu à connaître — et auront à connaître — des affaires de corruption et autres infractions commises par d'anciens hauts responsables de l'Etat. «Le plus important serait de récupérer les biens et l'argent détournés. L'emprisonnement est inutile.» (Maître Ksentini). L'on ne saurait demeurer indifférent à ce qui ressemble à un dangereux amalgame entre l'affaire de Blida et les affaires de corruption qui ont vu défiler à la barre deux ex-Premiers ministres, des ex-ministres, des walis, des banquiers, des hommes d'affaires et autres... Dans l'affaire de Blida, il n'est pas nécessaire d'être grand clerc pour comprendre que le supposé «complot» était un règlement de comptes politique et seulement politique. Parfaitement résumé par l'un des ex-«accusés» ainsi : «C'est plutôt nous qui avons été ciblés par un complot.» (Bachir Tartag, général retraité). En optant pour la cassation, les magistrats de la Cour suprême, qui ont eu à examiner l'affaire, ont certes tranché en droit, mais sans le dire — car tel n'est pas leur rôle — ils ont eu le courage de dire que le dossier était vide. Pour cela, je leur rends personnellement hommage. Dossier vide, disais-je à l'instant, c'est-à-dire sans la moindre preuve sur les éléments constitutifs de l'infraction qualifiée de complot. Pourtant, le plus grand mal causé aux trois officiers supérieurs impliqués dans cette affaire est d'avoir offert aux islamistes-terroristes, blanchis par l'infâme réconciliation nationale de Abdelaziz Bouteflika, aux partisans du «qui-tue-qui ?» un cadeau qu'ils n'auraient jamais espéré. Celui de voir au box des accusés des officiers supérieurs de notre armée qui les avait combattus durant les années sanglantes pour préserver l'unité nationale et tout faire pour que l'Algérie ne sombre pas dans le chaos et l'obscurantisme du kamis et de la barbe. Outre, bien entendu, un acte d'accusation infondé, une incarcération arbitraire pour deux d'entre eux et un exil forcé pour le troisième (revenu au mois de décembre 2020 en Algérie). Qui pourrait oublier la médiatisation outrancière de ces deux ex-hauts responsables de l'armée lors de leur arrivée devant le tribunal militaire en mai 2019 ? Des images choquantes qui n'avaient laissé aucun doute sur le sort réservé aux deux officiers dans cette affaire ? Leur comparution devant la juridiction militaire n'a pas porté atteinte à leur seul honneur, mais également à celui de l'institution dont les membres partagent les mêmes valeurs. Hier, ceux que les partisans du «qui-tue-qui ?» avaient surnommés «janviéristes», «éradicateurs», «putschistes» (après l'arrêt du processus électoral de janvier 1992) ont évité à l'Algérie le pire qui aurait pu lui arriver : l'instauration d'un Etat théocratique. Aujourd'hui, l'Armée nationale est confrontée à l'intérieur et aux frontières à la menace terroriste-islamiste. Et des jeunes militaires en opération meurent, hélas, en offrant leur vie à la patrie. Comment imaginer des officiers supérieurs au-devant de la scène dans les années 1990, motivés par leur seul patriotisme, comploter contre leur pays, leur Etat et l'institution au sein de laquelle ils ont exercé durant de longues années ? Insensé ! Bien entendu, je sais que mes propos ne sont pas du goût de nombreux compatriotes puisque la mode — la seule tolérée — est d'insulter l'Armée nationale. Leur opinion, à vrai dire, m'indiffère totalement. Je ne changerai jamais de camp. J'ai cautionné l'arrêt du processus électoral de janvier 1992 et ne l'ai jamais regretté. Je demeurerai jusqu'à mon dernier souffle opposée à l'extrémisme religieux, car mon islam est fait de tolérance. Il n'a rien de commun avec les diktats des barbus et leur hypocrisie. Il ne s'agit pas là de digression. J'ai entendu évoquer ces faits pour dire qu'aucun amalgame ne saurait exister entre des officiers supérieurs de l'Armée nationale, impliqués injustement dans une pseudo-affaire de «complot», et des individus anciens responsables de l'Etat reconnus coupables de graves affaires de corruption. L'acquittement prononcé par le tribunal de Blida honore la justice, mais en aucun cas il ne saurait être une source d'inspiration ou un modèle à suivre par d'autres magistrats ayant en charge les dossiers de corruption. (Juridictions civiles). Et ce, pour une raison évidente : il n'a jamais été question de corruption, de détournement de deniers publics devant le tribunal militaire de Blida. Ceci est tellement vrai que le frère de Abdelaziz Bouteflika, acquitté dans l'affaire de «complot» par la juridiction militaire, a été maintenu en détention et transféré vers une prison civile, pour des faits de corruption pour lesquels un mandat de dépôt lui a été décerné par le tribunal de Sidi-M'hamed. Bien entendu, je n'évoquerai nullement les affaires non encore jugées. Par contre, celles dont la presse dans son ensemble a rendu compte avec force détails m'autorise à dire que tant en première instance qu'en appel ceux qui ont été condamnés — et pour certains d'entre eux dans plusieurs affaires — l'ont été au vu de preuves tangibles et solides. Ces hauts responsables ont même entraîné — pour certains — leur progéniture. Pour quelles raisons ? Parce qu'ils bénéficiaient d'une totale impunité sous le règne de Abdelaziz Bouteflika et étaient convaincus que cela durerait encore de longues années. Ce sont des milliards et des milliards qui se sont évaporés. Des chiffres qui donnent le tournis. Comment donc faire l'amalgame entre l'affaire de Blida et ces individus dont l'unique motivation de hauts responsables de l'Etat fut de se servir et non de servir. Ce sont ces individus à l'égard desquels il faudrait avoir de la compassion ? Les peines légères dont ils ont écopé grâce à la loi du 20 février 2006 portant lutte contre la corruption, et qui a correctionnalisé les faits qui leur sont reprochés, ne sont-elles pas suffisamment clémentes ? Des peines, faut-il le préciser, le plus souvent confirmées en appel. Comment donc croire à leur innocence lorsque l'un d'entre eux condamné dans plusieurs affaires avait justifié l'énorme montant d'un de ses comptes bancaires par des cadeaux offerts par ses amis ? Comment croire à leur innocence lorsqu'un autre haut responsable déclare au magistrat qui l'interroge sur l'acquisition de logements sociaux pour sa fille et qui répond : «Sans doute ai-je sollicité le wali mais c'était sur le ton de la plaisanterie» ? Je connais des citoyens qui attendent un logement social depuis vingt et trente ans et ne considèrent pas ce sujet amusant. Ces individus jugés par des magistrats compétents ne méritent ni grâce ni remise de peine. Et sur ce point, le président de la République, monsieur Abdelmadjid Tebboune, avait été très clair dès le début de son mandat : la lutte contre la corruption est une priorité de l'Etat. Quelle relation entre ces individus et des officiers de l'armée impliqués injustement dans une supposée affaire de complot ? Aucune. Mieux encore, l'on se souvient que l'affaire de l'autoroute Est-Ouest avait été découverte par les services du DRS au temps où l'un des officiers supérieurs acquittés dans l'affaire de Blida en était le responsable. Et l'on se souvient aussi que l'ancien ministre des Travaux publics, cité tant par les accusés que les avocats, n'avait nullement été inquiété. Aujourd'hui incarcéré et condamné, il répond enfin de ses actes parce que la protection dont il jouissait dans le «royaume» de Bouteflika et de sa fratrie n'existe plus — ce ne fut pas trop tôt. Parce que surtout dans l'Algérie nouvelle qui verra le jour avec des institutions fortes, un Parlement où des députés ne paieront plus leurs sièges. (Tliba qui a déclaré devant la justice que des députés avaient payé sept milliards et condamné à sept années). Un Parlement loin de l'image ternie dont il faut reconnaître qu'elle lui colle à la peau. Une Algérie nouvelle où les Patriotes ne sauraient être confondus avec des corrompus et quels corrompus ! Voilà pourquoi l'affaire de Blida est certes un exemple à inscrire dans les annales judiciaires. Mais cet exemple ne saurait être étendu à des condamnés pour des affaires de corruption, trafic d'influence, abus de fonction, indus avantages accordés à des tiers, etc. Quand bien même la Cour suprême connaîtra certainement ces affaires, elle tranchera en droit. Cependant, les faits demeureront tels quels. Alors je le redis : non à l'amalgame. L. A.-H.