Aussitôt les consultations avec une partie de la classe politique achevées, le président de la République annonce avoir pris trois décisions : remanier le gouvernement, dissoudre le Parlement et gracier des détenus d'opinion. Des annonces faites lors d'un discours à la Nation et qui interviennent après une période de statu quo imposée par la maladie du Président et qui signent le début de l'exécution de l'agenda présidentiel. Nawal Imès - Alger (Le Soir) - A peine rentré d'Allemagne où il était soigné, le président de la République reprenait l'initiative en recevant des chefs de partis politiques, avant de faire des annonces attendues par une grande partie de l'opinion publique. Jeudi, c'est dans un discours à la Nation que Abdelmadjid Tebboune faisait des annonces dont l'essentiel avait déjà fait l'objet de discussions avec les hommes politiques reçus la semaine dernière. C'est le cas de la dissolution de l'APN et de l'organisation d'élections législatives anticipées. Un traitement d'urgence imposé par la nécessité d'accélérer la cadence et de tenter de rattraper le temps perdu dans l'exécution d'un agenda présidentiel contrarié par la situation épidémiologique puis par son propre état de santé. Dans son discours à la Nation, Tebboune affirmait, en effet : «J'ai décidé de dissoudre l'APN dans sa composante actuelle. Nous allons passer, de suite, à des élections où l'argent, sale ou pas, n'aura point de place, des élections qui ouvriront leurs portes aux jeunes», promettant que «le Parlement sera élu et le contrôle sera assuré par l'instance indépendante dans les prérogatives de laquelle ne s'immisceront ni les présidents des APC ni les walis, ni même le président de la République, et nous ferons en sorte que nos institutions ne suscitent aucune suspicion». Pour permettre à une nouvelle classe politique d'émerger, le chef de l'Etat assure que «l'Etat œuvrera à aider les jeunes, notamment pour mener leurs campagnes électorales dont nous prendrons en charge une grande partie. De cette manière, nous aurons opéré un changement, en injectant du sang neuf dans les organes de l'Etat et le Parlement qui sera le porte-voix du peuple». Conséquence directe de cette décision, des élections législatives seront organisées sans qu'aucune date soit avancée pour leur tenue. Seconde annonce, le remaniement ministériel qui touchera, selon Abdelmadjid Tebboune, «les secteurs ayant enregistré, à notre sens et du point de vue des citoyens, des lacunes en termes de règlement des problèmes». Une décision motivée également par un mécontentement dont le président de la République dit avoir pris connaissance. A quelques jours de l'anniversaire du Hirak, c'est un geste dans le sens de l'apaisement qui est fait avec la libération d'une trentaine de détenus d'opinion ayant déjà été jugés et une soixantaine d'autres en attente de leur jugement. Sont concernés des manifestants arrêtés pendant les manifestations, tout comme des personnes accusées d'avoir porté atteinte à des institutions, à travers des publications sur les réseaux sociaux. Certains d'entre eux avaient pu rejoindre leur domicile dans la nuit de jeudi, alors que d'autres ont quitté leurs cellules hier. Par ces décisions, le président de la République entame officiellement la mise en œuvre de l'agenda qu'il avait tracé au lendemain de son investiture à la tête de l'Etat. Il affirme ainsi œuvrer pour un, «changement radical» qui passe par «un changement débouchant sur des institutions indiscutablement reconnues et admises comme revendiqué par le Hirak», mais aussi à travers des «nouvelles lois et institutions». Tebboune dit avoir «mené la bataille du changement des textes et des institutions, comme l'a revendiqué le Hirak», assurant que «lorsque les comportements et les mentalités changent, nous parviendrons à des institutions, indiscutablement reconnues et admises. Nous avons commencé par l'amendement de la Constitution dans laquelle nous avons inclus toutes les revendications du Hirak ». Dans son discours à la Nation, Abdelmadjid Tebboune a également évoqué la politique étrangère affirmant que cette dernière était «constante» concernant le règlement des conflits par des voies pacifiques et le dialogue, notamment ceux prévalant en Afrique, soulignant que le conflit au Sahara Occidental était une question de décolonisation qui doit être réglée à travers l'organisation d'un référendum d'autodétermination. N. I. Les réactions de la classe politique Le discours du président de la République n'a pas laissé la classe politique indifférente. Sollicités pour livrer leurs commentaires, des partis politiques s'expriment. D'autres ont réagi à travers des communiqués. Jil Jadid : «des décisions extrêmement importantes» Le numéro un de Jil Jadid, Djilali Soufiane, considère que «le président de la République a annoncé fidèlement les décisions qu'il avait déjà évoquées avec les chefs des partis politiques. Il a officialisé une série de décisions extrêmement importantes, tant pour le climat politique général que pour leurs effets immédiats et à moyen terme. Parmi les décisions importantes, celle de la remise en liberté des détenus d'opinion, ceux qui avaient un différend avec la justice pendant la période du Hirak. Il est important de comprendre que vivre un climat révolutionnaire peut toujours entraîner quelques déplacements mais il faut toujours les laisser dans leur contexte. Dans un esprit d'apaisement et de retour à la normale, il était absolument nécessaire de prendre ce genre de mesures. La dissolution de l'APN est également un geste très important. Les Algériens étaient sortis le 22 février 2019 pour réclamer des changements profonds, tant institutionnels que par rapport à la classe politique qui gérait le pays. Donc cette dissolution ouvre la voie à un renouvellement. C'est maintenant au Hirak de profiter de cette occasion pour que l'esprit de la révolution du sourire, qui était dans la rue durant une année, doive rentrer dans les institutions pour se les réapproprier et commencer réellement à assumer la volonté de changement. Parler du changement, critiquer une situation et assumer le changement et le faire de ses propres mains, plutôt que de continuer à faire des récriminations dans l'espace virtuel. Il est impératif que les jeunes, les universitaires et les gens qui ont une compétence et qui veulent voir une nouvelle Algérie dans la pratique, prennent la suite des événements.» Front de libération nationale : «de grandes réalisations» Le porte-parole du FLN assure que « la dissolution du Parlement fait partie des promesses déjà faites par le Président et qui était attendue l'année dernière et cela a été retardé en raison de la situation sanitaire. Avec l'amélioration de la situation sanitaire, on se dirige vers des élections législatives pour avoir une nouvelle APN loin des accusations de fraude. Au FLN, nous sommes prêts. Nous avons des cadres et des jeunes qui sont loin de l'argent sale qui a terni l'image des parlementaires. On applaudit la décision de la libération des détenus. Cela va dans le sens de l'apaisement. C'est une grande réalisation. Cela permettra d'asseoir un climat serein pour pouvoir s'occuper de la reconstruction, qu'il s'agisse de politique ou d'économie». Le Pacte pour l'alternative démocratique (PAD) : «la demande de changement radical est loin d'être entendue» Dans un communiqué rendu public, le PAD «constate, hélas, après le dernier discours du chef de l'Etat, que la demande populaire de changement démocratique radical est loin d'être entendue et que la contre-révolution autoritaire ne lâche pas prise. Il enregistre avec révolte la persistance obstinée du pouvoir à imposer un agenda visant à restaurer le système autoritaire par un nouveau coup de force électoral, adossé à de multiples subterfuges clientélistes et étroitement encadré par le dispositif policier habituel. Les forces du PAD considèrent que le salut de l'Etat national et du peuple ne saurait découler de l'alignement des organisations de la société civile et des partis politiques sur une feuille de route qui vise à perpétuer le système autoritaire en place, et reconduire les mêmes procédés et méthodes qui ont ruiné le pays». Mouvement Ennahda : «des décisions très attendues» Le porte-parole du mouvement Ennahda a considéré que «l'ensemble du peuple algérien attendait l'intervention du président de la République. Beaucoup étaient inquiets d'abord par rapport à l'état de santé du Président, mais aussi par rapport aux décisions qu'il pouvait prendre. Le pays était à l'arrêt. Pour nous, le discours est positif. La dissolution du Parlement est tardive mais elle est la bienvenue. On l'attendait juste après la présidentielle, c'est un cours normal du Hirak mais mieux vaut tard que jamais. C'est un message au Hirak pour la concrétisation de ses revendications. On attend de voir ce que donnera le remaniement du gouvernement. La libération des détenus va dans le sens de l'apaisement». Mouvement El Islah : «grande satisfaction» «Le mouvement El Islah a accueilli avec beaucoup de satisfaction le discours du président de la République, notamment en ce qui concerne la libération des détenus, ce qui permettra d'apaiser les tensions et améliorer le climat politique et la concrétisation de l'Etat de droit. Le discours du président de la République a été rassurant pour une grande majorité d'Algériens. On note une volonté de concrétiser les promesses électorales, notamment en ce qui concerne l'amélioration du pouvoir d'achat. El Islah note l'existence d'une volonté politique de parachever les chantiers de l'Algérie nouvelle à commencer par les réformes politiques qui visent un renouvellement des institutions pour aboutir à des institutions fortes et légitimes. Cela se concrétise à travers la dissolution de l'APN. El Islah note également la réaction favorable face aux manquements enregistrés au niveau de certains départements ministériels à travers le remaniement ministériel.» Abdelkader Bengrina, Mouvement El Binaa : «un contenu positif» «Nous avons accueilli favorablement le discours du président de la République, notamment la libération des détenus du Hirak. C'est un pas favorable qui permettra d'apaiser les Algériens. Le contenu du discours est très positif avec des décisions politiques importantes qui augurent une réforme profonde. Il concrétise des promesses déjà faites notamment la dissolution du Parlement dont la légitimité était entamée en raison de la fraude. Nous attendons la dissolution du reste des assemblées élues et l'organisation d'élections locales anticipées. Le mouvement applaudit également le remaniement ministériel.» Front El Moustakbal : «un nouveau départ» «Le porte-parole du Front El Moustakbal, Raouf Maâmeria, a estimé que «les décisions annoncées par le président de la République sont le signe d'un nouveau départ. Nous avions déjà ressenti une grande volonté et de bonnes intentions chez le président de la République.» N. I.