Dans cet entretien, Zoubida Assoul, présidente de l'Union pour le changement et le progrès (UCP), donne son avis sur la révision de la Constitution et livre ses propositions pour sortir le pays de la crise. Liberté : Le président de République a proposé aux Algériens une révision de la Constitution. Que pensez-vous d'une telle démarche ? Zoubida Assoul : Premièrement, le Hirak qui est né le 22 février 2019 n'a jamais revendiqué l'amendement de la Constitution. En revanche, c'était une priorité durant la campagne électorale du candidat Abdelmadjid Tebboune. C'est donc une priorité du système, mais pas celle du Hirak. Deuxièmement, on ne peut pas réduire la crise qui secoue le pays à une simple révision de la Constitution. Rétrospectivement, cela fait partie des pratiques du système. À chaque fois qu'il y a eu une crise, le système recourt au changement de la Constitution. À peine arrivé au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika a commencé par dire que cette Constitution ne lui plaisait pas. Comme si tous les pouvoirs qui existaient dans cette Constitution ne lui suffisaient pas. Il a donc annoncé l'amendement de cette loi fondamentale. Il a commencé par lever le verrou limitant les deux mandats pour lui permettre de rester à vie au pouvoir. Il y a passé 20 ans. À travers plusieurs amendements, il a créé un pouvoir hyperprésidentiel. Il a dépouillé le Premier ministre de toute prérogative à tel point qu'il est devenu un simple coordonnateur du gouvernement. Cela a conduit le pays au blocage. Avec la maladie de Bouteflika, le pays est passé entre les mains d'un président malade, incapable de gouverner, à un pouvoir occulte qui n'avait aucune assise juridique et populaire. Ce dernier a organisé la dilapidation et la corruption. Durant son règne, Bouteflika a fait promulguer, en 2006, la loi sur la lutte et la prévention contre la corruption. On se rend compte que finalement, cette loi a été élaborée pour ériger la corruption en mode de gouvernance. Cette pratique s'est démocratisée et a atteint toutes les institutions de l'Etat. Sur le fond, que pensez-vous des amendements contenus dans le projet de la révision de la Constitution ? Le projet en question ne va pas régler la crise. Il n'y a pas une vraie séparation entre les pouvoirs, encore moins d'équilibre entre eux, l'indépendance de la justice n'est pas à l'ordre du jour, puisque M. Tebboune conserve la présidence du Conseil supérieur de la magistrature et il fait plus : il laisse 15 magistrats élus dans ce Conseil, mais, lui, en nomme 12, dont 4 sièges offerts aux deux présidents des deux Chambres du Parlement. La seule chose qui va changer, c'est que le Conseil constitutionnel deviendra la Cour constitutionnelle. Mais elle n'apportera rien en termes d'arbitrage et de conformité des lois avec la Constitution. Puis, le président de la République conservera la nomination du tiers des membres de cette institution dont son président et ne renverra pas vers la loi quant aux modalités de l'élection de six autres membres. De plus, la loi ne donne pas le droit aux citoyens de la saisir. À cela il faut ajouter le fait que les institutions consultatives sont toutes placées auprès du président de la République. C'est le cas du Cnes (Conseil national économique et social, ndlr), qui est censé être une institution indépendante, un contre-pouvoir qui critique les orientations du gouvernement sur les plans économique et social. C'est aussi le cas d'autres organes censés être indépendants. Avec d'autres partis, inscrits dans le PAD notamment, vous avez refusé le processus constitutionnel en cours. Pourquoi ? Bien évidemment ! Toutes les parties qui sont avec nous au sein du PAD sont fidèles aux revendications du Hirak, parce que nous en sommes partie prenante. Depuis la création de l'UCP en 2013, notre parti n'a pas cessé de dénoncer la gouvernance de Bouteflika ; sa manière de gouverner, l'absence de transparence dans la gestion des affaires publiques, l'absence d'égalité des citoyens devant la loi... Même dans le cadre des consultations pour l'amendement de la Constitution, en 2016, nous avions présenté un projet de Constitution entier qui assure un équilibre des pouvoirs, l'indépendance de la justice et la création des contre-pouvoirs. Malheureusement, nous sommes en face d'un pouvoir politique qui rejette toute idée qui peut redonner le pouvoir de citoyenneté à tous les Algériens de décider par eux-mêmes de leur devenir, de celui des générations à venir. Depuis le début du mouvement populaire du Hirak, le 22 février, le PAD a été en totale adéquation avec les revendications des citoyens. Nous sommes restés la seule force politique, unie, qui soutient avec constance les revendications du peuple. Lorsque le Hirak dit que le problème du pays n'est pas uniquement celui des hommes, mais plutôt du système, il faut passer par une solution pacifique et pas une solution surfaite comme celle que propose M. Tebboune actuellement en proposant un amendement de la Constitution. S'il avait une réelle volonté politique, il aurait pu juste appliquer l'actuelle Constitution qui est en vigueur et qui garantit un certain nombre de droits et de libertés aux citoyens. Au-delà de la dénonciation et du refus du processus, certains vous reprochent l'absence de propositions concrètes... Cela est vraiment une manière de faire le procès des partis du PAD et des militants que nous sommes. C'est d'abord une contrevérité. Depuis l'avènement du Hirak, l'UCP a proposé, depuis mars 2019, une feuille de route pour régler la crise politique. Nous disions que nous étions devant une crise politique et qu'il fallait aller vers un dialogue inclusif et une conférence de dialogue national avec un agenda qui déterminera les voies et les mécanismes qui permettront de changer ce système et de proposer un nouveau système basé sur la transparence, sur le respect de la volonté et de la souveraineté populaire, mais aussi d'assainir la situation. Au sein du PAD, dès le 26 juin 2019, et lorsque nous avons vu qu'un seul parti ne pouvait pas faire face seul à ce système, nous avons décidé en toute connaissance de cause de faire une alliance avec des partis politiques, mais aussi avec des associations et des personnalités, des activistes et des gens des médias, pour présenter une alternative politique qui consiste à dire qu'il faut aller vers un processus constituant qui respectera à la fois la souveraineté populaire pour assainir et aller vers des élections crédibles et indépendantes. Les alternatives existent et elles sont là. Mais nous sommes en face d'un pouvoir qui ne veut écouter ni l'opposition, ni l'UCP, ni le PAD, mais encore moins les millions d'Algériens qui sont sortis, pendant plus d'une année, pacifiquement, pour demander le changement de ce système. Ce dernier dit donc qu'il ne reconnaît pas le peuple, il ne reconnaît même plus les partis politiques puisqu'il a pris une option claire dans son projet d'amendement en voulant travailler avec ce qu'il a appelé "la société civile", dont la majorité est recyclée du système Bouteflika. Cela est une nouvelle manœuvre dans la mesure où la société civile, à travers le monde, est censée être apolitique. Elle ne peut en aucun cas se substituer aux partis politiques. Or, dans son option, M. Tebboune dit clairement qu'il veut travailler et encourager la société civile à se présenter aux législatives pour avoir une majorité à lui avec la "société civile". Cela est une dérive grave parce qu'on ne construit pas une démocratie sans partis politiques. Une année et demie après le début du Hirak, à travers le tableau que vous dépeignez, ne pensez-vous pas que ce mouvement a connu plutôt un échec ? Pas du tout. Le mouvement populaire a fait ce qu'il avait à faire. Il a crié, scandé ce qu'il attendait du pouvoir : l'application des articles 7 et 8 de la Constitution, donc de la souveraineté populaire. Il a demandé un dialogue sérieux et une conférence nationale de dialogue, ce que le pouvoir a rejeté. Il a demandé un assainissement et des mesures d'apaisement pour réunir les conditions pour des élections libres et indépendantes. Le Hirak a fait son devoir jusqu'au bout. Il est resté sur sa démarche première qui est le pacifisme. On a reproché au mouvement populaire de ne pas avoir de représentants. Or, le mouvement n'est pas organisé en tant que parti politique. Mais je pense qu'après plus d'une année, surtout avec l'avènement de la Covid qui a été exploité par le pouvoir pour casser le Hirak, les hirakistes convaincus continuent de croire qu'à côté du retour des manifestations populaires, qui sont garanties par la Constitution, il faut aller vers la concrétisation et l'élaboration d'une feuille de route politique. C'est ce que nous nous attelons à faire au PAD. Mais aujourd'hui, il n'y a pas un seul débat contradictoire concernant ce projet d'amendement. La classe politique et les citoyens sont interdits des médias publics et privés. La preuve est que le président de l'Anie, organe anticonstitutionnel, a indiqué vouloir lire les messages des partis politiques avant leur diffusion. C'est une atteinte grave à la liberté d'expression. En plus d'être une femme politique, vous êtes avocate. À ce titre, vous défendez beaucoup de détenus d'opinion. Quel bilan faites-vous de la situation des droits de l'Homme ? Franchement, je suis inquiète quant à la situation des libertés. On pensait qu'avec Bouteflika, on avait atteint le summum des atteintes aux libertés. Mais avec M. Tebboune, on se rend compte que le pouvoir a dépassé toutes les limites. Il s'acharne contre les partis politiques. L'exemple du RCD est édifiant : l'administration du ministère de l'Intérieur lui a reproché même d'accueillir des réunions du PAD. Ensuite, on nous a interdit l'accès aux salles à chaque fois qu'on a voulu faire des activités. Aujourd'hui, ils sont montés d'un cran. Ils ont déchu Mohcine Belabbas de son immunité parlementaire juste pour pouvoir lui monter un dossier judiciaire. Certains craignent même qu'il fasse l'objet d'un mandat de dépôt, comme l'ont été les Rachid Nekkaz, Ali Ghediri, Karim Tabbou, Louisa Hanoune et d'autres politiques, ainsi que des journalistes à l'image de Khaled Drareni. Ce sont des choses que nous n'avons pas vécues du temps de Bouteflika. De simples citoyens, comme le poète Tadjadit qui fait des poèmes sur le Hirak, se retrouvent en prison avec neuf chefs d'inculpation.