Un nouveau nuage de poussière sablonneuse et rougeâtre a envahi, il y a quelques jours, une bonne partie du ciel européen et particulièrement la France. Venu des immensités désertiques du Sahara, ce nuage comporte surtout des particules radioactives des suites des essais nucléaires français en Algérie entre 1960 et 1966. La confirmation de cette hypothèse a été établie par des scientifiques français qui ont réalisé des analyses sur des échantillons prélevés dans la région de Rouen en Normandie, soit à près de 3 000 km des lieux d'origine de ce panache de sable. Les résultats sont sans appel, la présence de traces de Cesium-137.30 est bel est bien identifiée et attestée. Selon le laboratoire de l'Acro (l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest), « il s'agit d'un radioélément artificiel qui n'est donc pas présent naturellement dans le sable et qui est un produit issu de la fission nucléaire mise en jeu lors d'une explosion nucléaire». Le Cesium-137 est l'un des produits de division de l'uranium avec libération d'énergie et émission de neutrons et qui est souvent utilisé pour l'étude et le contrôle des niveaux de contamination d'un espace environnemental déterminé au lendemain du déclenchement de bombes atomiques ou d'essais nucléaires. Il émet des rayonnements bêta et gamma et peut, en cas d'absorption à forte dose, provoquer des troubles dans le système immunitaire et même l'apparition de pathologies d'ordre rénal et hépatique. Quatre fois plus puissante que la bombe de Hiroshima Et c'est précisément ce qui s'était produit un certain 13 février 1960 à Reggane dans le sud-ouest du pays. La France y avait fait exploser sa première bombe atomique, au moins trois à quatre fois plus puissante que celle de Hiroshima en 1945. Un « événement important» pour la France, lui permettant ainsi d'intégrer le club fermé des puissances nucléaires de l'époque, l'URSS, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais une véritable catastrophe humaine et écologique pour les Algériens. Coïncidence historique et météorologique, ce douloureux souvenir a fait l'objet, cette année encore, de commémorations pour dénoncer ce crime colonial qui n'a épargné ni les hommes, ni les animaux, ni la nature. Soixante années après ces essais, de nombreux habitants des régions de Reggane et d'In-Ecker près de Tamanrasset, continuent de présenter différents cas de cancer et des malformations congénitales causés par la radioactivité nucléaire. Comme un effet de boomerang, la France reçoit aujourd'hui sa part de contamination à la faveur de ces phénomènes météorologiques naturels. Et outre la France, c'est également plusieurs régions de la planète qui sont affectées par cette forme de dérèglement climatique. Dans sa dérive à travers les continents et les océans, cet immense nuage de poussière déverse, au gré des vents dominants, ses particules chargées de Cesium-137 sur les êtres humains, la faune et la flore. Les scientifiques rassurent L'avènement d'un tel phénomène est le résultat d'une conjugaison de plusieurs facteurs déclenchants, notamment le passage d'un front ou d'une dépression avec un vent qui décroche les poussières fines, des particules de sable, qui remontent ensuite dans l'atmosphère avant d'être transportés dans l'air par les différents flux et parfois sur de très longues distances. On a même relevé la présence de nuages sur des contrées aussi lointaines que l'Arctique, l'Amérique du Nord, l'Amazonie ou les Antilles. Des images surréalistes de sable saharien recouvrant des sites aussi improbables que Berlin, Paris, Londres, Helsinki ou les massifs enneigés de la chaîne des Alpes, ont fait le buzz sur la toile et la Une de la presse mondiale et des journaux télévisés. Ainsi, des anciennes traces de cet élément radioactif ont été déversées là où les courants les ont emmenées. Toutefois, les scientifiques rassurent. Cette invasion de particules de sable contaminées ne serait pas un danger pour la santé des populations. Ils expliquent, en effet, que le Cesium-137 perdrait de sa teneur radioactive tous les 30 ans et ce, « tout au long de 7 cycles de 30 ans ». Ces centaines de millions de tonnes de sable arrachées au désert algérien et africain auraient même des retombées positives sur l'environnement. Cette poussière contribuerait à la reconstitution et le renforcement des plages et aussi la fertilisation des sols de certaines forêts comme celle de l'Amazonie. Une page d'Histoire peu glorieuse Au-delà de ce phénomène naturel, ce nuage de poussière du Sahara vient, surtout, rappeler les graves crimes coloniaux commis par la France à l'encontre du peuple algérien et dont les essais nucléaires n'en sont que le funeste couronnement, après les massacres à grande échelle, les décapitations, les enfumades, le napalm... Ces grains de sable orangés ont, dans leur envolée, levé le voile sur cette autre facette peu glorieuse de l'histoire du pays de la liberté et des droits de l'Homme. Beaucoup de Français et aussi d'autres peuples du monde entier découvrent ou redécouvrent l'existence de ces essais nucléaires et leurs conséquences dramatiques sur les habitants des régions où ils ont été effectués. A Reggane et In-Ecker, les populations ont, depuis, vécu quotidiennement avec ces traces de césium-137. Soixante années plus tard, les sols y sont toujours fortement contaminés... Et on est loin des 70 kilotonnes dégagés par « Gerboise bleu» aux premières lueurs de ce 13 février 1960 et qui avaient soudain strié le ciel d'un intense éclair de lumière. B. Bellil