C'est une boule de nerfs et un volcan de rires. Cet enfant de soixante-dix ans est, comme tous les fils de son pays, un paradoxe. À l'image de l'Algérie, qui affichait sur ses placards publicitaires qu'il était un pays de contrastes. Les concepteurs de ce spot des années quatre-vingt ne savaient pas si bien dire ! Rédha Cheikh Bled est né, il y a sept décennies, à Sidi-M'hamed-Chérif, au cœur de la Casbah d'Alger. Sa mère est de Tizi Ghennif, ce qui lui octroie une parcelle d'identité kabyle dont il se dit très fier. Son père, lui, est un qasbadji pur sucre. On l'appelait Cheikh el-Bled, ce qui correspondait à l'époque au titre de gouverneur de la ville blanche. Les ancêtres de Rédha auraient secondé le dey pendant la régence turque. Ce n'est pas ce qui préoccupe notre artiste qui a été élevé à la dure, dit-il. «Dès la crèche, à Bab J'did, j'ai commencé à recevoir mes premières claques. Après l'école Sarrouy et Dordor à Cadix, toujours à coups de pieds dans le derrière, j'ai fait le lycée Emir-Abdelkader, un bac lettres puis l'Epau (l'Ecole d'architecture d'Alger).» La mère voulait qu'il devienne médecin, avocat, ingénieur... Enfin, vous connaissez l'histoire... Lui dessinait, c'est à peine si en ce temps-là, on ne prenait pas les artistes en herbe pour des homos en devenir ! L'Algérie vue du ciel est belle ! Vue du ventre, elle dégage d'irrespirables relents.... Mesquine, c'est un dessinateur, quelle honte ! «Les Algériens ont oublié que tout le papier monnaie dont ils usent et surtout abusent a été dessiné par des peintres, notamment Issiakhem et Temmam. Ça sert tout de même à quelque chose, les artistes... Aujourd'hui, un footeux est pris pour un roi, un peintre n'est rien. Ce n'est qu'un sebbagh !» Rédha, qui vit son Algérie comme nous la vivons tous, ne supporte plus les apostrophes du style : «Ouachrak l'artiste ?» Il pense que ce sont des interpellations injurieuses, d'autant, dit-il, qu'il ne comprend pas pourquoi lorsqu'on rencontre un policier, on lui sert du «aslama si Brahim !» «Si j'avais choisi cette voie, j'aurais deux boîtes de chique sur les épaulettes, aujourd'hui !» Auteur et réalisateur et donc seul sculpteur de la statue de Raïs Hamidou qui orne le front de mer d'Alger. La maquette d'Alger, cette ville qui n'était que la Casbah puisque, le reste a été réalisé par les Français et leurs affidés, pour eux, est exposée au Musée central de l'armée (sous le monument Houbel). Jamais le nom de celui qui l'a réalisée n'a été cité devant les nombreux diplomates et visiteurs qui ont tenu à la voir. Pourtant, tous leurs hôtes ont, à chaque fois, tenu à montrer à leurs visiteurs cette œuvre stupéfiante de réalisme. Rédha est sûr que cette génération qui ne couche pas, qui ne se couche pas va finir par gagner. Le rêve de Rédha, mon rêve : prendre , aujourd'hui, un avion . Atterrir à Dar-el-Beïda. Nous faire attendre par les amis. Ne pas nous faire arrêter. C'est possible, monsieur le Président ? Non, notre rêve : qui va sauver la Casbah ? M. O.