Alors que les spéculations sur le décès du Président Idriss Déby Itno continuent, les manœuvres de fond prennent le relais quant à l'avenir du Tchad, pays pièce maîtresse dans le contexte géopolitique du Sahel. Libye, Niger, Soudan ont déjà exprimé leurs inquiétudes. En effet, sous la conduite du défunt, le Tchad s'est placé aux avant-postes de la lutte antiterroriste soutenu pleinement par la France, présente dans ce pays à travers une base militaire de la force Barkhane, à N'Djamena, la capitale. À l'annonce de la mort « au combat » du défunt Président, Emmanuel Macron et son éminence grise, le ministre des Affaires étrangères Le Drian, renseigne on ne peut mieux sur la place traditionnelle du Tchad dans la politique africaine de la France, dans cette région en particulier. À tout le moins, l'activisme français n'est pas vu comme une ingérence dans les affaires intérieures du pays, bien au contraire, le Président Déby en avait fait un axe central de sa politique de proximité avec la France, à laquelle il doit surtout sa longévité à la tête du pays, outre le fait que l'ancienne puissance coloniale l'avait « aidé » à se débarrasser de son rival Hissène Habré. Si Emmanuel Macron a été le premier à accourir dans la capitale tchadienne, c'est que pour lui, il n'est nullement question de perdre un « allié » de premier plan dans la région que la France a soutenue jusqu'à son dernier souffle. Et déjà, les conseils sous forme d'injonctions déguisées quant au futur politique du pays sont ouvertement prodiguées par le ministre français, parlant de transition et d'élections. Le Président français a appelé le Conseil militaire de transition (CMT) à promouvoir la «stabilité, l'inclusion, le dialogue, la transition démocratique». Dans l'oraison funèbre, il a souligné que «la France ne laissera jamais personne, ni aujourd'hui, ni demain, remettre en cause la stabilité et l'intégrité du Tchad». Il n'est donc ni plus ni moins que de reprendre la main après cet intermède malheureux de la mort d'Idriss Déby. Son fils et successeur saura à quoi s'en tenir d'autant qu'il aura à faire face à une crise interne de légitimité d'une part, et de l'autre, à une rébellion armée qui revendique la mort « au front » de son père. À ce propos, le chef des rebelles tchadiens, Mahamat Mahadi Ali, qui mène depuis deux semaines une offensive contre le régime, a assuré qu'ils étaient «disponibles à observer un cessez-le-feu», et s'est dit en faveur d'une solution politique. Mais le chef du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT) a aussi affirmé que ses troupes continuaient de se faire bombarder par l'armée tchadienne. La dernière fois samedi, en début de matinée. «Ce sont des rebelles, c'est pourquoi on les bombarde (...) On fait la guerre, c'est tout», a déclaré Azem Bermandoa Agouna, le porte-parole du Conseil militaire de transition (CMT), présidé par Mahamat Idriss Déby. Le fils du défunt Maréchal Déby, Mahamat Idriss Déby, général quatre étoiles à 37 ans, et jusqu'alors commandant de la Garde républicaine, la garde prétorienne du régime, est le nouvel homme fort du Tchad, entouré de 14 des plus fidèles généraux de son père. Il dispose des pleins pouvoirs et il a promis de nouvelles institutions après des élections «libres et démocratiques» dans un an et demi. Cependant, depuis la prise de pouvoir par le CMT, les partis d'opposition et la société civile crient au «coup d'Etat institutionnel», et réclament l'instauration «d'une transition dirigée par les civils à travers un dialogue inclusif». «Recul très grave de la démocratie» «Nous refusons les faits accomplis et dénions à la junte militaire la légitimité politique de gérer le pays, pour cause de prise de pouvoir par la force, contraire au droit national et aux engagements africains et internationaux du Tchad (...) Les forces vives entendent par dialogue inclusif l'implication et la participation de tous les acteurs qu'ils aient ou non pris les armes pour conquérir le pouvoir», ont ainsi déclaré samedi plusieurs associations de la société civile et partis politiques regroupés au sein du collectif «Wakit Tama». «Dans une transition civilo-militaire, la tête doit être civile, et les militaires doivent s'occuper des questions sécuritaires», selon un des opposants les plus farouches du régime, reprenant le terme utilisé par Emmanuel Macron. La Confédération indépendante des syndicats du Tchad (CIST), regroupant les principales associations syndicales des enseignants, s'est également élevée samedi dernier contre «un recul très grave de la démocratie», avec la prise de pouvoir de la junte militaire, et ont exigé «un retour à l'ordre constitutionnel» avec «la tenue d'un forum national inclusif regroupant toutes les couches sociopolitiques de la nation». L'ordre des avocats du Tchad «désapprouve», pour sa part, cette transition «mise en place au mépris total des textes et règlements en vigueur». Par ailleurs, le Niger, le Soudan et la Libye ont d'une seule voix appelé les Tchadiens à préserver l'unité de leur pays, en instaurant un dialogue national. Les trois pays réunis affirment leur « profonde inquiétude » vis-à-vis de la situation au Tchad. Dans un communiqué, ils considèrent qu'une « réunion urgente du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine est nécessaire ». B. T.