C'est la dernière phrase prononcée par Krimo, notre frère et confrère, devant Nacéra, sa femme, quelques heures avant sa mort sur un lit de la clinique El Azhar de Dely Brahim. Une question lourde de sens. Avant de s'éteindre, il voulait savoir si les amis qu'il avait aimés et qui l'avaient aimé étaient venus voir sa chandelle chanceler. L'accompagner sur la sente qui mène vers l'éternité, cette grande inconnue... «Il y en a eu très peu. On pouvait les compter sur les doigts d'une seule main, se rappelle sa veuve.» Difficile d'admettre, quatre jours après la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, qu'un vieux et brillant journaliste puisse partir de ce monde nimbé de silence. Dans un anonymat quasi total... Il était encore conscient à l'heure de fermer les yeux. Quelle a été sa dernière pensée ? La nôtre, pour l'heure, est dédiée à sa mémoire et à celle de ses frères de plume - 123 journalistes et travailleurs de la presse - assassinés entre 1993 et 1997, en Algérie. Krimo est une victime collatérale de la décennie noire et du règne de Bouteflika ! Longtemps militant politique au sein du PAGS clandestin et journaliste de terrain au magazine L'unité, avant d'entamer une longue carrière à Algérie Actualité aux côtés de grands du journalisme et de la littérature algérienne dont il serait fastidieux de faire la liste, ici, Djilali, après avoir dirigé AA, dont il était un des piliers, entre 1992 et 1994, s'est retrouvé au chômage. L'Algérie, l'ancienne et la nouvelle, ne s'embarrasse jamais de scrupule pour jeter aux orties ses talents, une fois toutes leurs substances créatives extraites ! Il s'est consolé avec l'amour et le dévouement de sa femme, Nacéra, une «fahla» et de sa fille, Selma dont la mort l'a séparé, alors qu'à 22 ans, elle rentrait dans l'âge adulte. C'était le 8 mai 2017. Ça fera quatre années après-demain, samedi. Du cimetière de Garidi où il repose, je suis sûr que l'enfant de Bab-el-Oued et accessoirement de Djelfa qu'il est, a vibré, du moins son âme, aux sons et soubresauts du Hirak. Après avoir publié trois livres dont Les chercheurs du désert qui illustrait son fol amour pour le Sahara, Krimo a rejoint Canal Algérie où il a exercé comme consultant, producteur et animateur. Il a donné à cette occasion quelques bijoux à la télévision algérienne, à l'instar de cette belle enquête sur la grève des étudiants algériens de 1956. Lui qui ne s'est jamais pris pour un chef, il aimait trop la vie pour cela, a raconté à Nacéra qu'il avait vu plusieurs de ses amis, travailleurs de l'ENTV, mourir subitement d'un arrêt cardiaque sur les tables de la cantine qu'il fréquentait assidument. C'était au temps de Bouteflika, de son frère et de sa bande de malfrats qui exerçaient une étouffante oppression sur tous ceux qui leur semblaient honnêtes dans le pays. Abdelkrim Djilali, emporté par un ultime accident cardiaque, une anévrose de l'aorte, le 8 mai 2017, avait passé les sept années précédant son décès entre cliniques, hôpitaux algériens et parisiens et terrain lorsqu'une rémission le permettait. Tout cela a coûté les yeux de la tête. Jamais une prise en charge de la Cnas ne lui a été proposée. Ses séjours à l'hôpital Georges-Pompidou, dans l'Ouest parisien, ont valu une fortune qui a été réglée par des donateurs qui ont tenu à rester anonymes. Il y avait subi un quadruple pontage coronarien, avant de perdre l'usage de ses deux reins. Pendant qu'il galérait pour trouver des fonds qui lui auraient permis d'accéder à une greffe, notre chère Khalida Toumi lui a proposé une mission non rémunérée pour le compte de son ministère. La culture, l'éducation, la presse, les libertés... Vous pensez ! Puisque nous sommes dans le mois qui célèbre la liberté de la presse, il serait peut-être utile de rappeler qu'au cours de ces dix dernières années 957 journalistes ont perdu la vie de par le monde. 3 étaient encore emprisonnés à la fin de l'année 2020. Quant aux disparus, comment les compter ? Menteurs, les journalistes ? Combien de professions peuvent décliner autant de victimes ? La plume qui devait se porter au cœur de la plaie n'en finit pas de se retourner contre celui qui la tient ! M. O.