Le spectacle, s'il n'est pas insolite, relève du film catastrophe et dans ce cas, c'en est un. Comment pourrait-on fermer les yeux devant ces jeunes hommes et ces femmes, leur bébé sur les bras, ces enfants qui tentent désespérément de s'agripper à la pointe rocheuse de cette enclave espagnole, Ceuta, à l'histoire tumultueuse, située au demeurant en plein territoire du Maroc ? Les Espagnols en ont pris possession il y a de cela des lustres. Sans exagération aucune, il y a de quoi faire fondre les cœurs les plus durs au regard de ces escouades de policiers fonçant dans le tas à grands coups de matraque. Ces migrants marocains, ils n'iront pas au Paradis – Ceuta, porte de l'Europe, qu'ils rejoignent parfois à la nage, à leurs risques et périls. Ils seront tous renvoyés d'où ils viennent sans une autre forme de procès. Ils n'ont pas plus de chance avec les forces de sécurité de sa majesté Mohammed VI qui les attendent au pays, là aussi, ironie du sort, de pied ferme. Tous ces migrants ignorent qu'ils sont les dindons de la farce dans le jeu du Makhzen qui les utilise comme moyen de pression afin de faire adhérer l'Espagne –ancienne puissance coloniale au Sahara Occidental — à son expansionnisme. Le niet de Madrid fait rager Rabat qui va jouer la carte d'un lâcher de migrants à grande échelle sur l'ennemi du jour. L'opération est hautement dangereuse et l'effet boomerang n'a pas tardé. Mauvais calcul, le Maroc se retrouve dans de sales draps et s'expose aux foudres des organisations humanitaires du monde qui dénoncent le chantage par migrants pris en otage, ballottés entre la carotte et le bâton. Dans l'ignorance la plus totale des enjeux et du jeu de massacre dont ils sont victimes. Si le Makhzen parvient à imposer le black-out sur ses pertes en vies humaines et matérielles dans la guerre au Sahara Occidental, les médias ont vite fait de lever le voile sur les conséquences de cet afflux de migrants marocains. Dimanche dernier, en soirée, la chaîne française LCI du groupe TF1 a mis les pieds dans le plat, abordant directement le sujet de la migration clandestine. Du Maroc, Nasser Bourita, le serviteur servile de sa majesté, était invité à « s'expliquer ». De propos lénifiants à des louvoiements, ce dernier, hanté par le Sahara Occidental, s'est livré à une gymnastique qui lui est habituelle, afin de faire porter la responsabilité de cet afflux brusque de migrants à l'Espagne parce que ce pays a admis dans l'un de ses hôpitaux le « criminel » (ce sont ses propres mots à l'antenne) Brahim Ghali, le chef du Front Polisario en lutte pour l'indépendance du peuple sahraoui. Le gentleman bonimenteur clamait, face à ses hôtes incrédules, que son pays, le Maroc, a de tout temps coopéré à juguler ce phénomène migratoire pour protéger ainsi l'Europe de l'invasion de tous ces affamés. Sur ces entre-faits, le Français Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères et de l'Europe, vient à la rescousse du représentant de son protégé, le Maroc. Les yeux fuyants, il agitera lui aussi la menace de l'invasion de masse des populations africaines déferlant sur les villes d'Europe, déjà malmenées par la crise sanitaire. Il ne soufflera mot sur les vraies raisons de la crise provoquée par le Maroc. Touche pas à mon royaume, pourrait-il dire. Comme quoi être bonimenteur, c'est une question de métier ! B. T. [email protected]