Ameziane Ferhani lui a dit un jour : «dans cette famille-Mammeri, il est difficile de se faire un prénom !» Il y avait beaucoup de vrai dans cette assertion. Farid est né empaqueté dans le texte, la poésie et les arts, la peinture plus précisément. C'est son grand oncle, Azwaw, artiste peintre qui eut son heure de gloire, parmi le gotha mondial, au siècle dernier, qui a relancé tout l'artisanat marocain à la demande du roi Mohammed V ! Ancien producteur et animateur de la Chaîne 3, Farid est né dans la maison parentale de Taourirt-Mimoun, chez les Ath- Yenni. Après une escale à Tamda, puis à Tizi-Ouzou, où le père était receveur des postes, le déjà brillant élève Farid débarque à Alger, rue de Mulhouse, à deux pas du tunnel des Facultés, l'épicentre du Hirak. un clin d'œil du destin ? À son âge, dix ans, le Farid Mammeri naissant avait déjà un bon coup de pinceau et une affection particulière pour la poésie et la musique. Il faut dire que ses maîtres de l'époque, messieurs Terzi, Mahiout, ou encore madame Hassan, n'étaient pas les zombies d'aujourd'hui qui ont mis les cerveaux des enfants d'Algérie en friche ! Le lycée El-Mokrani de Ben Aknoun, où son grand cousin, l'illustre Mouloud Mammeri, enseignait le latin et le grec — et oui, ça existait la culture universelle...—, lui ouvre ses portes. Comme c'était la dernière année de Da l'Mouloud au lycée, Farid ne l'a pas eu comme prof. Une petite frustration dont il n'est sans doute pas encore revenu. Quand on pense aux illuminés qui professent les ténèbres, aujourd'hui, à nos élèves, on ne peut que jalouser les générations qui ont eu des Mammeri comme enseignants ! On en est même arrivé à faire passer des substantifs pour des adjectifs dans des copies d'examen, de quoi faire dérailler le plus éveillé des petits Algériens ! Le néant abyssal dans lequel l'arabo-islamisme schizophrénique a plongé l'Algérie n'a pas toujours existé. Au sortir de la guerre et durant les deux décennies qui ont suivi l'indépendance, le pays a dansé, chanté, travaillé et rêvé. Où sont passées les odeurs du jasmin, des roses, des pivoines et du mesk ellil ? Où sont les terrasses de Tantonville, du Novelty, du Coq hardi, de la Cafet, du Kenko ? Que sont devenues ces belles jeunes filles aux jupes et débardeurs irisés qui les peuplaient ? Quelle malédiction s'est abattue sur ce pays plein de vie qui baignait dans l'espérance et qu'on a fini par transformer en bagne ? Sorti avec un diplôme de l'Institut des sciences économiques d'Alger, Farid travaille quelque temps à l'Inped puis à la Snic avant de faire une rencontre, celle de Benamara, un animateur radio, qui va donner une autre tournure à sa carrière. À sa vie tout court. Benamara, pressentant le talent de Farid, lui propose de le rejoindre à la Chaîne 3. Peu de temps après, Farid présente le pilote d'une émission projetée sur deux ans, à Rachid Boumedienne, le directeur de l'époque. «Chronique des arts» ouvre son micro dès 1977 à Idir puis Bachtarzi, Khadda, Boudjedra et tant d'autres Nait. En 1980, en plein mouvement berbère, il crée avec Safy Dassine, aujourd'hui disparu des radars, comme tant d'autres enfants de ce pays, la quotidienne «Esquisse», une émission centrée sur l'écriture et qui donne la parole aux poètes les plus maudits. D'un courage inoui dans un pays allergique à la parole libre Farid, qui a toujours aimé les mots, peint beaucoup aussi. Sa première exposition a eu lieu en 1973 à la galerie des Quatre colonnes, devenue, aujourd'hui, le siège de l'Assemblée nationale, à Alger. Il tenait, à ne pas en douter, le gène de la peinture de son grand oncle, Azwaw (1890-1954), Exposé à ce jour à l'Institut du monde arabe à Paris, au musée national des Beaux-Arts d'Alger, au musée d'Orsay, au Clevland museum of art dans l'Ohio et j'en passe... En 1987, nous nous trouvons à Casablanca, un émissaire du palais royal se présente à notre hôtel pour inviter Farid à la cour. Cet égard particulier était dû au fait que son grand oncle Lounes, un médersien, trilingue et érudit, a été le précepteur des rois Mohammed V et Hassan II ! Un sacré destin. Farid qui a échappé à deux attentats terroristes, rue de Mulhouse, est arrivé en France en 1993. Verni, il gagne dès sa première semaine dans l'Hexagone, deux millions d'anciens francs au Keno. De quoi mettre le pied à l'étrier... Depuis, il n'a plus remis les pieds au pays auquel il reste pourtant rivé. Il croit beaucoup au Hirak qui «doit perdurer, dit-il, il faut qu'on continue à leur dire qu'on est là ! Il faut qu'on combatte le pourrissement». Farid a, enfin, ce petit mais dense mot pour les enfants de son pays : O moineaux d'Algérie, il y a des barreaux dans vos têtes et pas une lime sur le marché ! M. O.