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Le maître de la peinture moderne
50E COMMEMORATION DE LA MORT DE MAMMERI AZOUAOU
Publié dans L'Expression le 05 - 10 - 2004

Que ce soit à Alger ou au Maroc, l'artiste a toujours été guidé par un seul leitmotiv : l'exaltante envie de peindre...
«Ce refus de la concession à l'effet facile, au banal pittoresque, on le retrouve dans toutes les oeuvres de Mammeri. Sobriété et vérité, telle est sa formule, ses portraits sont d'une calme réflexion, d'une studieuse et profonde psychologie». C'est ainsi que définit Louis-Eugène Angéli dans Les maîtres de la peinture algérienne, la peinture de Mammeri Azouaou, ce dernier considéré notamment par son fils Azwaw, lui-même artiste, ce «scribe des sèmes» comme le «précurseur de la peinture moderne au Maghreb et en Afrique, contemporain de Matis». De sa Kabylie natale au Maroc où il a vécu, à l'Espagne dont il exposait des vues de Tolèdes et de Grenade, Mammeri Azouaou a laissé une oeuvre considérable, inestimable et autant de vide au coeur de ceux qui l'ont connu et aimé, en particulier son fils Mammeri Madjid qui fut longtemps conseiller auprès des ministres qui se sont succédé à Alger jusqu'à sa retraite en 1992. Dans cette vieille maison où nous avons été accueillis à Bordj El Kiffan, le passé semblait ressurgir spontanément dès que notre regard a happé ces différents tableaux du grand-père, sortis de leur cachette, rien que pour nous. C'est un miracle qu'ils soient échappés à la main dévastatrice du tremblement de terre qui a secoué le pays le 21 mai de l'année dernière. La maison, elle en a fait les frais sans que les éléments du CTC viennent inspecter les lieux. C'est à croire que cette maison fait partie du décor naturel et dont le temps a fini par jeter dans les oubliettes. Jaunie comme une feuille d'automne, elle ressemble à ses vieux documents ternis, dont le père Madjid Mammeri nous tend fièrement. Plongé dans les souvenirs impérissables du haut de ses 78 ans, il nous raconte fier, mais ployé sous une affligeante émotion, la saga familiale et l'histoire de ce père exceptionnel...Nous apprîmes que Mammeri Azouaou avait pris le soin de raconter son aventure artistique en mars 1950 dans son fabuleux Comment je suis venu à la peinture. Ancien pensionnaire de la villa Abdelatif, ayant bénéficié de la bourse de Casa Velasquez, Mammeri Azouaou avait obtenu le grand prix artistique de l'Algérie en 1958 à l'image de Mohamed Racim, le père de la miniature.
Une oeuvre considérable
Nous guidant à travers les chambres et montrant du doigt les tableaux qui y sont accrochés, nous fîmes connaissance de ces deux certificats placés sous verre, représentant respectueusement deux grandes distinctions, l'une française, le faisant Chevalier de la légion d'honneur le 18 août 1950 et l'autre marocaine, datant de 1939 et délivrée à Rabat, au rang d'Officier du Wissam alaouite chérifien, comme un témoignage de respect et destiné à l'artiste auprès de Sa Majesté Mohammed V. Instituteur à Gouraya, puis professeur de dessin à Fez, ensuite inspecteur régional des arts indigènes à Rabat, il fut à partir de 1929 nommé inspecteur des arts marocains à Marrakech. Il y restera jusqu'à la retraite en 1948. Ses réalisations de ce temps-là ne se comptent plus. Son temps, il le passait à organiser entre autres le Musée Dar Si Saïd où il a habité à Marrakech en passant par des musées locaux à Mogador, Safi, Ouarzazate, Chichaoua. Son goût pour l'artisanat marocain ira crescendo. Artiste dans l'âme et dans la main, il crée aussi une école de musique andalouse et de chants berbères, dont les orchestres se produisent régulièrement à Radio Maroc. Sa passion pour le folklore berbère le poussa à collaborer comme conseiller technique à la réalisation du film documentaire Danses berbères. La mort a eu raison de lui au moment où il mettait la dernière touche sur une toile. Il fut surpris par un ictus cérébral le 9 septembre 1954. Il succombera huit jours après à Taourirt Mimoun, au milieu des siens.
Il est parti mais son souvenir reste vivace. C'est pourquoi ses deux fils et ses petits-enfants, ont tenu à honorer sa mémoire en présentant pour la première fois au Monde des arts et de la culture, la publication de son livre qu'il a écrit en mars 1950, intitulé Comment je suis venu à la peinture. Cet ouvrage qui se lit comme une confidence, est en effet un précieux document qui devrait être préservé ainsi que toute son oeuvre picturale. La ministre de la Culture s'en soucie-t-elle? Tout le long de son récit, révèle Madjid Mammeri, «il parlera de ses premiers débuts difficiles et timides, de sa volonté farouche de franchir tous les obstacles pour réussir, sans oublier de remercier tous ceux qui ont contribué à son plein épanouissement». Et d'expliquer: «Il rêvait de traduire la vie des formes et des gestes et pour cela, il était tenté et attiré par la couleur, il s'acharnait pendant des mois et des mois à faire et à étudier les mélanges et le jeu des couleurs, à découvrir seul les mystères dont il avait le secret. Il fera avec le maximum de soin ses premiers mélanges sur une palette de noyer (...)». Et de poursuivre avec, à chaque pause, des larmes aux yeux: «Un jour, il apprit par le bulletin mensuel de l'école qu'il existait un cabinet de dessin auprès du Rectorat d'Alger, dirigé par l'inspecteur de l'enseignement artistique en Algérie, M. P. Ricard. Ce fut une ambiance de confiance et d'enthousiasme qui prévaut dès qu'il lui prit la petite toile représentant l'école de Toudja qui lui avait tendu (...). 1916 sera pour lui décisive. Tous les maîtres de la peinture qu'il aura côtoyés, reconnaîtront en lui un génie en la matière à tel point que le dernier en date, Léon Carré, lui dira tout simplement : Ce que vous avez fait durant ces derniers huit mois, c'est ce que la plupart des artistes font en plusieurs années à l'école des Beaux-Arts. Au mois d'octobre de la même année, rompant avec le passé, il traversera la frontière marocaine attiré par le Maghreb, pays neuf, dont on chantait tant de louanges, pour y exercer les fonctions de professeur de dessin». Le reste de son parcours a déjà été cité plus haut.
Un patrimoine à sauvegarder
Ici ou ailleurs, l'artiste Mammeri Azouaou a toujours été guidé par un seul leitmotiv : l'exaltante envie de peindre. «Grand artiste, animateur infatigable, ami de la France, il n'aura pas eu cette joie dernière d'assister à l'inauguration du buste de Prosper Ricard, son protecteur, ancien élève comme lui à l'Ecole normale de Bouzaréah et dont il était le président du comité. Son souvenir se perpétuera dans l'Ecole par une de ses oeuvres qu'il a offert en 1938 à cette institution de sa jeunesse», affirme toujours L. E. Angéli dans Les Maîtres de la peinture algérienne. Monsieur Madjid se souvient encore de la phrase de Si Omar Racim, accompagné de son épouse lors de la rétrospective qui a été donnée sous les auspices de l'Unap en 1966 à la galerie Pasteur. «J'ai revu pour la dernière fois Si Mammeri à l'exposition qu'il avait donnée en 1952 à la galerie ex-Bosco à Alger, je garde de lui le souvenir de l'un de nos plus grands maîtres qui a joué un rôle de tout premier ordre sur la scène internationale. C'est dommage, vraiment bien dommage, qu'il ne soit plus là pour inaugurer en personne cette rétrospective dans l'Algérie indépendante». Né présumé en 1890 et décédé le 17 septembre 1954, qui se souvient de lui après 1966? Il est temps aujourd'hui de réhabiliter un pan de notre culture en commémorant comme il se doit sa mémoire et en honorant sa famille, garante du temple...
Un autoportrait datant de 1918 trône au milieu du salon de cette maison qui respire le calme et la sérénité. Cette maison abrite des chefs-d'oeuvre soigneusement protégés. Mais il convient de souligner que c'est à l'Etat de s'occuper de la protection du patrimoine. Ces tableaux, sont à ne point en douter, en lieux sûrs. Cependant, un musée sera à même de conférer à ces joyaux picturaux toute leur valeur et pérennité. Nous quittâmes cette magique demeure comme extirpé d'un mystère pour replonger dans un monde nouveau, non sans avoir discuté cette fois-ci à bâtons rompus avec l'autre artiste de la maison, Azwaw, toujours bouillonnant d'idées et de projets, plein la tête. Et nous nous joignâmes à la famille pour souhaiter à Mammeri Kaoula Karima, chirurgien-dentiste, née un 17 septembre, jour de la mort du père Mammeri Azouaou, tous les voeux de bonheur et une longue vie...


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