Par Sarah Raymouche Les algériens ont bien cultivé, au cours des deux dernières décennies, leur engouement pour le voyage. En fait, cette envie d'évasion a augmenté rapidement au cours de cette période, et la majeure partie des vacanciers a bénéficié de destinations «bon marché» : la Tunisie vient en tête de liste et moyennement la Turquie, sans compter le tourisme cultuel vers les Lieux saints. Pendant ce temps, le tourisme local végétait à cause d'une offre à la fois inadaptée et inabordable. Et puis... vint le Covid ! Après avoir passé la majeure partie de 2020 à la maison, de nombreux Algériens ont hâte cet été 2021 d'échapper, de sortir de leur hibernation et goûter à une relative normalité après une longue et inhabituelle année «d'enfermement». Pour beaucoup d'entre nous, partir en vacances à l'étranger est peu probable, alors que les restrictions sur les voyages internationaux sont toujours en vigueur. Cependant, la demande d'escapades «locales » monte en flèche, alors que les Algériens recherchent des options de vacances près de chez eux et à faible risque, et dans les limites de leur pouvoir d'achat. Qu'en est-il vraiment ? Ecoutons les premiers concernés. Asma, commerciale, réceptionniste dans un complexe touristique : «Nous affichons presque complet» Sur le littoral mostaganémois, aux Sablettes, l'une des zones touristiques qui comptent les plus récentes infrastructures d'accueil, tout le personnel s'affaire à préparer la saison estivale, dont le complexe d'apparts-hôtel & bungalows où travaille Asma, une réceptionniste et commerciale. Rencontrée fin mai, elle nous confie : «presque toutes les chambres et les bungalows sont complets pour les mois de juillet et août, avec paiement à l'avance.» Pour elle, «il y a un véritable engouement. C'est la première fois de toute ma carrière que je constate cela. D'habitude, les Algériens ne sont pas très prévoyants et n'ont pas le réflexe de la réservation. Je crois que le fait de savoir à l'avance que les frontières ne seraient pas rouvertes y est pour beaucoup». Et côté tarifs ? Asma nous répond tout de go : «L'année dernière nous avons beaucoup souffert de la fermeture et nous craignions une réédition cette année. Nous envisagions de faire des offres promotionnelles pour attirer la clientèle. Finalement, face à l'intérêt que nous avons commencé à ressentir juste après l'aïd, nous n'avons pas, certes, augmenté les prix malgré la hausse des coûts et les exigences de jauge et du protocole sanitaire, mais, nous n'avons pas été non plus contraints de les réduire. Pour nous, la saison s'annonce plutôt prometteuse. Maintenant, nous ne sommes pas à l'abri d'une décision de l'administration en cas d'aggravation de la situation sanitaire. Dans ce cas, les pertes seront doubles pour nous : rembourser les vacanciers et couvrir les frais de gestion et de préparation de la saison engagés.» Yacine, directeur marketing dans une agence de voyages : «Le touriste algérien est de plus en plus exigeant» Yacine souligne d'emblée : «L'année 2020 a été extrêmement difficile. Nous avons licencié beaucoup de personnes parce que nous étions totalement orientés vers deux destinations : Tunisie et Turquie. Avec l'allègement du dispositif, nous avons commencé à regarder le marché local, à l'exemple des excursions organisées, les stations thermales... Seulement, comme notre base clientèle est constituée de touristes algériens habitués à l'international, nous devons nous y adapter. En fait, si votre clientèle est passée des voyageurs internationaux à ceux qui recherchent des vacances plus près de chez eux, vous devez utiliser de nouvelles approches marketing pertinentes et ciblées sur une clientèle en constante évolution. Ces vacanciers cherchent au moins l'équivalent de ce qu'ils avaient à l'international, des séjours presque sur mesure. C'est un travail de récupération et de réorientation du client vers le tourisme local. Or, hormis les infrastructures hôtelières qui peuvent rivaliser en qualité d'hébergement, le produit touristique local ne suit pas encore. Le transport, l'hébergement et la restauration sont un minimum. Ce que veulent les différentes catégories de touristes, c'est vivre des expériences et des sensations uniques, se reposer et se ressourcer et repartir avec des souvenirs pleins la tête. Force est de constater que nous n'y sommes pas encore. A part l'hébergement et les sorties restos, on ne peut pas dire qu'il existe un produit touristique au vrai sens du terme ! Et encore, même si les hôtels sont aux normes sur le plan équipements, la qualité de service demeure insuffisante, et avec le Covid-19, l'exigence hygiénique est double.» Salim, commerçant : «J'ai réservé la peur au ventre» Salim, commerçant, tout aussi touché dans son domaine par la pandémie, fait partie de ceux qui ont pris l'option pour un séjour dans un complexe touristique. «J'ai fait une première réservation, dit-il, mais là, depuis quelques jours, je m'inquiète parce que des rumeurs font état d'une éventuelle fermeture des plages. Déjà que le couvre-feu à minuit n'arrange pas les choses. Si nous sommes contraints de rester dans nos chambres, ce ne sont plus des vacances mais un autre confinement. J'ai fait un repérage sur les lieux en question. Ils sont corrects pour le prix. Un bungalow F3 avec kitchenette, meublé et équipé est à 12 000 DZD/jour, y sont inclus une place de parking et l'accès à la piscine. Seul bémol... on n'est pas sûr que le bassin soit autorisé à la réouverture. Le gérant lui-même n'est pas au courant de ce qu'il adviendra de sa piscine. Il n'est pas certain de pouvoir obtenir l'autorisation nécessaire à son exploitation. Le comble, m'a-t-il avoué, juste à côté, un hôtelier ayant une piscine non déclarée accueillait les clients l'an dernier au vu et au su de tous ! Que voulez-vous qu'on fasse ? J'irai pour une semaine quand même. Les enfants ont besoin de souffler. Nous aussi !» S. R.