Que l'Algérie soit ciblée par les services marocains n'a rien de surprenant. Mais pour la France, amie et alliée du Maroc, le coup est rude. Les numéros de portable du Président Emmanuel Macron, de son ex-Premier ministre Edouard Philippe, de 14 autres membres du gouvernement détenteurs de fonctions sensibles, des journalistes et des personnalités de tout bord politique figurent sur la liste des cibles potentielles du logiciel israélien Pegasus, ce qui donne une toute autre ampleur politico-diplomatique aux révélations publiées par le consortium Forbidden Stories, l'ONG Amnesty International et 17 médias internationaux dont le Monde, le Guardian, le New York Times, le Washington Post... La question n'est pas de savoir s'ils ont tous été espionnés, mais le fait que grâce à ce logiciel ultraperfectionné, les services marocains disposent d'un mouchard, d'un « khbardji » y compris dans les lieux privés des personnes ciblées et ce même s'ils sont éteints, est pris très au sérieux, car il touche à la sécurité nationale d'un pays membre majeur de l'Otan. Paris est d'autant pris à revers que ce coup fourré ne provient ni de Russie ni de Chine que le pouvoir et les médias français ne cessent de pointer, mais du Maroc, pays ami et allié « indéfectible », à qui la France ne cesse de réaffirmer sa confiance, de vanter la coopération, un pays dont les services secrets sont loués pour leur aide dans la lutte antiterroriste, un pays que Paris n'a cessé de soutenir sur la scène internationale, notamment sur la question du Sahara Occidental. Cela dit, si dans une première réaction Paris a jugé que « si ces faits sont avérés, ils sont évidemment très graves », il ne faut pas s'attendre à une crise diplomatique, et ce, même si cette affaire, qui a jeté un coup de froid dans les relations entre les deux pays, est qualifiée par des observateurs et des politiques de tout bord comme un geste inamical, voire un acte hostile. Des explications ont dû être demandées au Maroc, dont le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a rencontré à Paris le 18 juillet son homologue français Jean-Yves Le Drian, en liaison sans doute avec cette affaire, rendue publique le jour même de sa visite. La tendance serait plutôt à désamorcer une crise qui a éclaboussé le Président Macron avant qu'elle ne prenne une tout autre ampleur. Et on attend du Maroc, qui se défend de tout mauvais coup contre la France, de plus amples explications, voire à faire le ménage dans ses services et à faire tomber des têtes. Une fenêtre de sortie est même offerte au roi Mohammed VI, puisque son numéro de téléphone et ceux de son entourage - son ex-épouse Salma Benani, son frère Moulay Ismaïl, son cousin germain en disgrâce Moulay Hicham et des personnalités du Makhzen – figurent dans le listing révélé par Forbidden Stories et Amnesty International et les 17 médias internationaux. Ce qui donne à penser qu'il aurait été une potentielle victime de ses services qui auraient outrepassé le cadre de leur mission, et partant de dédouaner Mohammed VI de ses responsabilités. Même si c'est un peu gros, Rabat tentera de vendre cette explication à ses amis français et il en compte beaucoup dans tous les milieux, notamment parmi ceux ayant un pied-à-terre à Marrakech aux frais du Palais. Ajoutons que des chefs d'Etat et des ministres de pays de l'Union africaine figurent aussi sur les tablettes des services marocains. Si les regards se dirigent vers le général Abdellatif Hammouchi (54 ans), patron de la Sûreté nationale et de la surveillance du territoire et homme de confiance du roi, on a du mal à l'imaginer dans le rôle du « Vizir Iznogoud, l'infâme » qui veut être calife à la place du bon calife Haroun el Poussah ( à savoir M6), les deux héros de la bande dessinée de René Goscinny ! Comme on a du mal à croire que « le renseignement marocain... s'autosurveille » (dixit le site marocain en ligne Le Desk) ! Et ce, pour la simple raison que le chef des services marocains ne fait rien sans l'aval du roi qu'il informait régulièrement, et qu'il supervise, dit-on, le processus de succession d'un monarque qu'on dit sérieusement malade et qui est souvent absent du Maroc. Autre personnage clé sur la sellette, le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita, qui agit de concert avec le patron des services marocains, l'un épaulant l'autre, notamment en ce qui concerne les relations et la coopération sécuritaire avec Israël et l'achat de matériel ultraperfectionné. Qui plus est, qui en dehors de Mohammed VI possède les cordonnées personnelles de Macron ? Sûrement pas Nasser Bourita ! Autres questions en suspens : qui a financé l'achat très coûteux du logiciel Pegasus ? Est-ce les Emirats et l'Arabie Saoudite qui possèdent le même logiciel espion et qui sont pour la marocanité du Sahara Occidental ? Et pourquoi aucun dirigeant américain n'a-t-il été ciblé ? Et quid de l'Algérie ? « L'Algérie très surveillée par le Maroc » titre le Monde.fr de mardi. Il y a de quoi nourrir des craintes. En effet, le voile a été aussi levé sur les cibles algériennes du logiciel Pégasus entre 2017 et 2019 et sans doute après. Les numéros de portable de quelque 6 000 personnes – l'ex-entourage de Bouteflika, des ministres, des officiers de haut rang dont certains sont sous les verrous, des diplomates, des personnalités politiques, Abdelaziz Rahabi en l'occurrence, des membres de la société civile et politique – figurent dans le listing révélé par le consortium Forbidden Stories et Amnesty International et les 17 médias internationaux ! Leurs portables ont-ils tous été espionnés ? La question se pose quand on sait que le logiciel Pegasus « peut en aspirer tout le contenu, messages, photos, contacts », de manière invisible, quel que soit le système d'exploitation – Android, IOS - et sans que l'utilisateur s'en rende compte, qu'il soit simple militant ou journaliste, ou situé au plus haut sommet d'un Etat ainsi qu'on l'a vu dans le cas de la France ? Qui plus est, armé d'un tel logiciel espion, on comprend pourquoi le Maroc, via son chef de la diplomatie, fait montre de tant d'arrogance et de suffisance à l'égard de l'Algérie. Comment Rabat va-t-il gérer tout ça et quelle sera la réaction d'Alger, de la classe politique, de la société civile et des acteurs du Hirak dont beaucoup – Fethi Ghares et d'autres – doivent être impérativement libérés ? H. Z.