Par Dr Drouiche Nadjib(*) L'impact environnemental Les approvisionnements en eau douce dans les pays souffrant de stress hydrique sont insuffisants par rapport à la forte demande pour différentes activités humaines, ce qui fait du dessalement de l'eau saline une solution adéquate. Le dessalement pour produire de l'eau potable a été bien établi en tant qu'approvisionnement en eau non conventionnelle fiable. Cependant, le dessalement comme tout procédé industriel a de nombreux impacts sur l'environnement. La saumure (i.e. solution saturée en sel) chargée de produits chimiques rejetés dans l'environnement, ainsi que les émissions de gaz à effet de serre (GES) rejetées dans l'atmosphère, sont les impacts les plus importants. D'autre part, la pollution se produit en fonction du procédé de dessalement utilisé et de l'emplacement de l'usine. Pour les usines côtières, la pollution de l'eau est le principal problème. Pour les usines se situant loin des côtes (généralement pour les eaux saumâtres), il faut prêter attention à l'élimination du rejet de la saumure concentrée. Si ces installations sont de type thermiques (distillation MED ou MSF), des problèmes de pollution de l'air se posent. Dans les usines de distillation Flash multi-étages (MSF) comme celle que nous avons du côté de Arzew (Kahrama), de grandes quantités de carburant sont brûlées pour générer l'énergie nécessaire au dessalement. Les polluants atmosphériques sont du type à combustion de carburant, tels que le monoxyde de carbone, les oxydes d'azote, les hydrocarbures non brûlés et les oxydes de soufre. Les brûleurs de dessalement et les centrales électriques sont la principale source d'oxydes de soufre car des combustibles à haute teneur en soufre sont généralement utilisés. La saumure rejetée affecte la salinité et la turbidité de la mer, elle augmente sa température et provoque des courants d'eau. Outre cette pollution thermique et saline de la saumure rejetée, des effets toxiques sont également causés par l'utilisation de différents produits chimiques dans les processus de pré et post-traitement de dessalement. Les polluants gazeux issus du dessalement ont des effets graves sur la santé humaine. Le monoxyde de carbone (CO) est un gaz toxique qui prive les tissus du corps d'oxygène essentiel. Il se combine avec l'hémoglobine et forme la carboxyhémoglobine. Cela réduit considérablement la capacité de transport de l'oxygène dans le sang car l'hémoglobine a une affinité pour le CO de 240 fois plus par rapport à son affinité avec l'oxygène. Les études scientifiques indiquent que l'exposition pendant 8 heures ou plus à une concentration de 30 ppm (35 mg.m-3) de CO entraîne une altération des performances dans certains tests psychomoteurs. À 100 ppm, la plupart des gens éprouvent des étourdissements, des maux de tête et de la lassitude. L'exposition au CO peut entraîner la mort à des concentrations supérieures à 750 ppm. Le monoxyde d'azote (NO) et le dioxyde d'azote (NO2) sont les formes les plus importantes d'oxydes d'azote émis par la combustion de combustibles dans les usines de dessalement. Le dioxyde d'azote agit comme un irritant aigu et est plus nocif que le monoxyde d'azote. Les deux réagissent avec les hydrocarbures non brûlés en présence de la lumière du soleil pour former du smog photochimique. Les principaux produits de ces réactions photochimiques sont l'ozone, le nitrate de peroxyacétyle (PAN) et le nitrate de peroxybenzoyle (PBN). Ces oxydants photochimiques sont nocifs pour les humains, les plantes et les matériaux. Le dioxyde de soufre (SO2) agit comme un gaz piquant, suffocant et irritant. En cas d'exposition modérée, il représente un risque pour les voies respiratoires supérieures. Dans le cas des techniques membranaires de dessalement qui se caractérisent principalement par des exigences de prétraitement élevées, un taux de conversion plus élevé et une consommation d'énergie moindre signifient ainsi que la saumure sera d'une salinité plus élevée, induisant un impact environnemental supérieur à ceux rencontrés dans le cas des procédés de distillation. Concernant l'impact sur l'air, une étude de Heishel et coll. a rapporté que près de 96% des émissions de l'ensemble de l'usine de dessalement par osmose inverse proviennent du secteur électrique. Les valeurs approximatives des émissions de carbone ou de l'empreinte carbone pour le processus de dessalement sont respectivement d'environ 0,4 à 6,7 et 0,1 à 2,4 kg d'équivalent CO2/m3 pour le dessalement de l'eau de mer et des eaux saumâtres, en fonction du carburant utilisé et de la technologie de production d'électricité et de l'efficacité de l'usine. Une autre étude menée par Beery et coll. a réalisé une analyse détaillée de l'empreinte carbone d'une installation de dessalement d'eau de mer par osmose inverse comprenant un prétraitement par ultrafiltration. Ils sont parvenus à démontrer que 74% des émissions provenaient de la pompe haute pression, suivis de 7% pour les pompes de rétrolavage. Cela dit, l'empreinte carbone du dessalement thermique est plus élevée en raison d'une demande énergétique plus élevée en termes d'énergie thermique et électrique. En ce qui concerne la saumure, le rapport saumure/alimentation peut varier de 1 à 2 pour le dessalement par osmose inverse représentant ainsi un effet significatif sur le milieu marin au point de rejet. Les impacts environnementaux liés à l'élimination de la saumure sont dus aux facteurs suivants : salinité, température, pH, produits chimiques résiduels, sous-produits de réaction et métaux lourds. La salinité et la température de la saumure sont considérées comme les principaux paramètres ayant un impact sur le milieu marin ; la salinité de la saumure peut atteindre une concentration en sel variant de 65 à 85 g / l et la température dans une gamme comprise entre 45 et 50° C. L'autre impact environnemental majeur associé à la saumure est attribué aux produits chimiques utilisés pendant le prétraitement tels que les biocides et les séquestrants de biocides ainsi que les sous-produits de désinfection, qui présentent une certaine écotoxicité. Des coagulants tels que le sulfate d'aluminium et le chlorure ferrique ainsi que des floculants sont ajoutés pendant le prétraitement pour améliorer l'élimination des particules en suspension, ces produits finissent par être éliminés via la saumure. Des antitartres sont également utilisés pour contrôler l'entartrage en raison de la présence de sels peu solubles dans l'eau de mer, permettant ainsi de maintenir la productivité de l'usine, en particulier pour des taux de conversion élevés qui peuvent atteindre les 47%. De ce fait, la saumure peut contenir des traces de métaux lourds comme le cuivre, le chrome, le nickel, le fer, le molybdène, etc. Le rejet de cette saumure a un effet énorme sur l'environnement marin local au point de rejet, car ils ont introduit un flux relativement intrusif, c'est-à-dire de la saumure. Le flux de saumure a généralement une salinité et une température plus élevées et est chargé de produits chimiques utilisés pendant le dessalement, ce qui peut affecter considérablement l'environnement marin. Cela provoque la migration des poissons tout en renforçant la présence d'algues, de nématodes et de petits mollusques. Parfois, des microéléments et des matières toxiques apparaissent dans la saumure rejetée. Comme conclusion, le dessalement joue un rôle crucial dans le développement de la vie humaine car il résout le défi de l'approvisionnement en eau dans les zones où l'eau est rare. Le dessalement représente 17% de l'approvisionnement en eau domestique en Algérie. Les technologies de dessalement thermique et membranaire ont presque atteint des niveaux de maturité avec une faisabilité technique et économique éprouvée. Cependant, le dessalement pose de nombreux impacts environnementaux (IE) qui doivent être soigneusement évalués. L'évaluation de l'impact sur l'environnement (EIE) joue un rôle important dans la prise de décision concernant le dessalement car elle évalue son impact sur les différents éléments de l'environnement. Les stratégies d'atténuation et de contrôle (M&CS) pour les différents impacts environnementaux associées au dessalement sont nécessaires. De bonnes pratiques pour la gestion de la saumure existent dans les pays ayant un recours intensif au dessalement pour faire face à la pénurie d'eau. A titre d'exemple, en Californie, a adopté en 2016 un amendement sur le dessalement, qui a renforcé les réglementations relatives à la prise d'eau et à l'élimination de la saumure. L'amendement exige entre autres que les nouvelles stations de dessalement ou celles où des extensions sont prévues, doivent utiliser les meilleures mesures disponibles, en termes de site, de conception, de technologie et d'atténuation, afin de minimiser la mortalité de toutes les formes de vie marine tout en tenant en compte des facteurs économiques, environnementaux, sociaux et technologiques et de la possibilité d'accomplir quelque chose avec succès dans un délai raisonnable. Concernant l'empreinte carbone du dessalement, la stratégie de l'usine de dessalement de la ville de Perth en Australie pourrait servir comme modèle. En effet, des dirigeants municipaux de la ville de Perth, consciencieux de l'effet néfaste des émissions des gaz à effet de serre, ont décidé d'atteindre la neutralité carbone dans cet effort, en compensant la consommation de l'usine de dessalement en utilisant de l'électricité 100% renouvelable achetée directement d'un parc éolien situé à 200 km au nord de la ville. L'impact social L'impact visuel du dessalement fait référence à l'influence esthétique qu'une usine de dessalement peut avoir sur ses voisins immédiats. Cela diffère généralement selon le type de technologie mise en œuvre. Parmi les technologies de dessalement à grande échelle, l'osmose inverse (OI) a été caractérisée comme ayant le plus faible impact visuel. Les technologies thermiques, en revanche, sont considérées comme ayant un impact visuel plus élevé. Alors que les impacts visuels peuvent être réduits pour des technologies telles que l'osmose inverse (construction d'usines OI), cela est irréalisable pour les centrales thermiques en raison de la taille énorme des unités thermiques, de la tuyauterie et des hautes cheminées qui accompagnent leurs centrales électriques à vapeur co-localisées. La construction de ces usines de dessalement entraîne des modifications permanentes de l'aspect du paysage. La zone d'influence d'une usine de dessalement thermique est généralement difficile à déterminer, mais en général, elle peut atteindre plusieurs kilomètres de son emplacement. De plus, comme les usines de dessalement d'eau de mer sont presque toujours construites sur des sites côtiers, où le tourisme est important, la beauté architecturale et visuelle aux alentours pourrait être considérablement affectée. L'impact du bruit sonore est une autre faiblesse des usines de dessalement. Le bruit dans une usine d'osmose inverse peut facilement atteindre les 100 décibels notamment dû à l'utilisation de pompes haute pression et de dispositifs de récupération d'énergie. Les changements d'utilisation des terres sont un autre impact négatif à multiples facettes des usines de dessalement. Dans une première dimension, les activités de construction d'usines de dessalement peuvent entraîner une perte de biodiversité et une modification des caractéristiques du sol. Dans une deuxième dimension, les usines de dessalement pourraient affecter négativement la valeur des propriétés immobilières à proximité. La valeur environnementale et économique des terres varie d'un endroit à l'autre en fonction de la densité de population. L'Algérie s'apprête à recourir de nouveau au dessalement de l'eau de mer pour faire face à la pénurie d'eau qui l'affecte. Il serait donc opportun d'impliquer toutes parties prenantes notamment les académiciens, le ministère des Ressources en eau et de la Sécurité hydrique, le ministère du Tourisme, de la Pêche, de l'Environnement et de l'Energie dans le choix des nouveaux sites devant abriter les futures usines de dessalement afin de préserver notre environnement et nos ressources halieutiques des effets néfastes du dessalement. D. N. (*) Centre de recherche en technologie des semi-conducteurs pour l'énergétique (CRTSE). Références https://www.waterboards.ca.gov/water_issues/programs/ocean/desalination/ https://e360.yale.edu/features/as-water-scarcity-increases-desalination-plants-are-on-the-rise Khaled Elsaid, Mohammed Kamil, Enas TahaSayed, Mohammad Ali Abdelkareem, TabbiWilber forcef A.Olabi. Environmental impact of desalination technologies: A review. 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