La vasque olympique s�est � nouveau embras�e � Sydney. Oh, juste pour le symbole et c�l�brer le 10e anniversaire de l�ouverture des Jeux olympiques organis�s dans la cit� de Nouvelle-Galles du Sud, du 15 septembre au 1er octobre 2000. Histoire aussi de f�ter � nouveau Cathy Freeman, l�h�ro�ne de ces Jeux olympiques qualifi�s de �plus grands jamais organis�s � par le d�funt Juan Antonio Samaranch, l�ancien pr�sident du Comit� international olympique. Dix ans jour pour jour apr�s avoir allum� le chaudron du stade olympique au milieu d�une spectaculaire fontaine de jets d�eau, Cathy Freeman, torche � la main, a r�cidiv�, en effet, pour l�occasion apr�s avoir inaugur� une plaque comm�morative rendant hommage � sa carri�re et � sa victoire sur 400 m � Sydney dans une tenue futuriste que personne n�a oubli�e. Ic�ne Dans l�histoire du sport et des Jeux olympiques, Cathy Freeman a une place � part, tout pr�s de Jesse Owens et Tommie Smith, athl�tes de l�gende devenus des ic�nes � travers le temps. M�me si elle n�a �t� qu�une fois championne olympique, l�Australienne a eu le grand m�rite de s�imposer le jour o� il le fallait pour passer � la post�rit� en l�absence de Marie-Jos� P�rec, sa rivale sur la distance, qui avait pr�f�r� prendre la poudre d�escampette dans une fuite rocambolesque � la veille de la comp�tition. Contrairement � Freeman, soumise � l�attente �crasante du peuple australien, P�rec avait craqu� sous la pression de l��v�nement que devait constituer leur duel, jug� par avance comme le sommet paroxystique de ces Jeux de Sydney. Et c�est le m�rite de Freeman d�avoir su triompher dans ces conditions infernales car il �tait quasiment de son devoir de conqu�rir la m�daille d�or pour soulager la conscience de l�Australie. Premi�re athl�te aborig�ne � avoir particip� aux Jeux olympiques, � Barcelone en 1992, Cathy Freeman courut, en effet, � Sydney avec le fardeau du poids de l�histoire de son pays et avec la charge de sa propre destin�e personnelle, tragique sous bien des aspects. Il y a 10 ans, les Aborig�nes repr�sentaient officiellement 2,1% des quelque 20 millions d�Australiens, mais ils furent bien au c�ur de ces Jeux Olympiques par le biais de Cathy Freeman qui avait donc la mission de r�concilier la nation tout enti�re et de prendre au passage une revanche pour toute sa famille. Histoire personnelle Alice, la grand-m�re maternelle de Cathy, avait huit ans quand elle fut arrach�e � ses parents et plac�e ailleurs. L'Australie du d�but du XXe si�cle estimait, en effet, que les enfants aborig�nes au teint clair (le p�re d�Alice �tait Syrien) pouvaient encore �chapper � leur soi-disant condition primitive et �tre �lev�s comme des Blancs dans des camps appel�s �missions �. Entre 1910 et 1970, quelque 100 000 m�tis furent ainsi d�port�s et rebaptis�s plus tard les �g�n�rations vol�es� (stolen generation). C'est dans la mission de Palm Island, dans le Queensland, qu'Alicia mit au monde Cecelia, la m�re de Cathy. A 18 ans, cette derni�re rencontra Norman Freeman. Une fois uni, le couple obtint le droit de quitter enfin le monde clos des missions. Les Freeman �lirent domicile � Mackay et eurent cinq enfants, dont Cathy n�e le 16 f�vrier 1973. A la d�tresse des missions succ�da l'enfer domestique. Norman devint alcoolique et violent et abandonna toute sa famille quand Cathy avait � peine cinq ans. Anne-Marie, la s�ur de la championne, handicap�e de naissance, qui ne pouvait ni parler ni marcher, d�c�da �galement tr�s vite. Et c�est pour Anne-Marie que Cathy se mit � courir sans jamais oublier l�ensemble de sa communaut�. Victorieuse de la finale du 400 m des Jeux du Commonwealth en 1990 � 17 ans, Cathy effectua ainsi son tour d�honneur en brandissant � la fois le drapeau australien et l'�tendard rouge, noir et or du peuple aborig�ne. Le lendemain, le chef de la d�l�gation australienne publia un communiqu� officiel la rappelant � l'ordre. Mais au pays, les r�actions furent moins stupides. Le Premier ministre de l'�poque, Paul Keating, envoya m�me une lettre de f�licitations � la descendante de la g�n�ration vol�e. La c�r�monie d�ouverture et la victoire des Jeux de Sydney consacr�rent cette r�conciliation de fa�ade. �Ce qui est arriv� ce soir est un symbole, c�est vrai, d�clara Freeman le soir de son succ�s qui eut un impact consid�rable � travers le monde. Quelque chose va changer pour les Aborig�nes, l�attitude des gens dans la rue, les d�cisions des politiques� Je sais que j�ai rendu beaucoup de gens heureux, quelle que soit leur vie, leur histoire, et moi aussi je suis heureuse d�avoir accompli cela.� Le racisme persiste Dix ans plus tard, que reste-t-il de ce moment de gr�ce ? Ces Jeux de Sydney ont-ils fait avancer la cause des Aborig�nes en Australie ? Voil� quelques mois, j�ai rencontr� Cathy Freeman � Melbourne lors d�un reportage pour L�Equipe Magazine. Le malheur venait encore de la frapper avec la mort de Norman, son fr�re, dans un accident de la route. Son sentiment restait mitig�. �Il y a toujours tellement de m�fiance de part et d�autre, du gouvernement ou de cette communaut�, que rien n��volue assez vite, constatait-elle. Je ne suis pas s�re qu�ailleurs on sache vraiment ce qu�a �t� l�oppression subie par les Aborig�nes en Australie. Ma m�re, par exemple, a �t� une domestique, une servante, une esclave. Eh bien, il a fallu qu�elle atteigne l��ge de 70 ans pour toucher les salaires qu�elle aurait d� percevoir � l��poque de sa jeunesse. C�est arriv� il y a un mois ou deux. Voil� o� nous en sommes encore aujourd�hui. Parfois, j�ai eu envie d�abandonner ce combat tant le d�fi est �crasant. A la fondation que j�ai cr��e, on a � faire � des jeunes qui ne croient plus dans le syst�me, qui sont confront�s au racisme tous les jours, qui ont la rage.� Cette fondation Cathy Freeman existe depuis quatre ans et vient en aide aux enfants indig�nes � qui elle essaie de donner des moyens pour s��duquer. Elle se concentre principalement sur la communaut� aborig�ne de Palm Island, tellement li�e � l�histoire de sa famille. �80% des gens qui vivent l�-bas sont au ch�mage et la moiti� de la population a moins de 20 ans, ajoutait Freeman. C�est un chaos qui ressemble � celui des ghettos des grandes villes. Il y a beaucoup de criminalit�, de probl�mes de drogues, d�alcoolisme, de violence� Les entreprises ne sont pas tr�s encourag�es � venir s�y installer. Les mentalit�s sont peut-�tre en train de changer, mais c�est tr�s lent.� Au cours des dix ann�es �coul�es, un pas important a cependant �t� fait le 13 f�vrier 2008 lorsque Kevin Ruud, Premier ministre alors nouvellement �lu, s�est excus� pour la premi�re fois, au nom du pays, aupr�s des �g�n�rations perdues �, ce que ses pr�d�cesseurs avaient refus� de faire avant lui. �J�ai pleur� devant ma t�l�vision, pleur�, tellement pleur�, souriait Cathy Freeman. J�ai pens� � tous mes anc�tres. Cette trag�die n�aurait jamais d� arriver, mais c�est arriv�. C��tait un discours tr�s important, mais il faut d�sormais passer aux actes parce que le d�fi premier reste le racisme qui existe entre les deux communaut�s. Dix ans apr�s Sydney, il reste tant � faire.�