Dans un discours prononcé vendredi soir, le roi du Maroc a accusé, sans les nommer, certains pays européens de «porter atteinte à la respectabilité des institutions nationales». Mohammed VI faisait essentiellement référence à l'Allemagne, pays considéré par le Makhzen comme ayant une position «hostile» envers le Maroc. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - C'est un monarque coupé de la réalité qui s'est adressé, vendredi 20 août, à ses sujets à l'occasion de 68e anniversaire de la Révolution. Dans un discours aux contours obscurs, Mohammed VI a surtout démontré qu'il a la rancune tenace. En effet, il a vivement critiqué certains «pays européens» qui comptaient parmi les «partenaires» du Maroc. «Quelques pays, notamment des pays européens comptant, paradoxalement, parmi les partenaires traditionnels du Maroc, craignent pour leurs intérêts économiques, leurs marchés et leurs sphères d'influence dans la région maghrébine. Certains de leurs dirigeants ne saisissent pas encore que le problème ne réside pas dans les régimes des pays du grand Maghreb, mais bien dans les leurs, toujours teintés d'un passéisme désespérément rétif aux évolutions du temps (...) Ainsi, ils nous voudraient façonnés à leur image et, pour porter atteinte à la respectabilité de nos institutions nationales, pour saper leur autorité, ils les accusent de bafouer les droits et les libertés et déploient, à cet effet, des arguments fallacieux contre elles», a-t-il lancé. Le roi n'a pas désigné ces pays, mais une grave crise oppose depuis plusieurs mois un pays européen en particulier : l'Allemagne. Il faut dire que les relations entre les deux Etats se sont dégradées depuis plusieurs mois. Berlin avait ouvertement dénoncé la reconnaissance par Donald Trump de la «marocanité» du Sahara Occidental et avait demandé, quelques jours plus tard, la convocation d'une session du Conseil de sécurité de l'ONU. Responsabilités US Au terme de cette réunion, l'ambassadeur d'Allemagne aux Nations-Unies, Christoph Heusgen, avait rappelé la responsabilité des Etats-Unis, au sein du Conseil de sécurité, dans la gestion du dossier du Sahara Occidental. «Être porte-plume vient avec de la responsabilité. Cela s'accompagne d'un engagement fort pour résoudre un problème, il faut être juste, il faut être impartial, il faut avoir à l'esprit l'intérêt légitime de toutes les parties et il faut agir dans le cadre du droit international.» De son côté, Rabat a dénoncé «l'activisme antagonique» de l'Allemagne suite à cette reconnaissance de Donald Trump, première phase d'un deal qui a conduit le Maroc à reconnaître officiellement Israël. Le 6 mai, le palais décide de rappeler son ambassadeur à Berlin. «La République fédérale d'Allemagne a multiplié les actes hostiles et les actions attentatoires à l'égard des intérêts supérieurs du royaume», avait précisé le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué de presse. Le département de Nacer Bourita avait également dénoncé «l'acharnement continu de l'Allemagne à combattre le rôle régional du Maroc, notamment sur le dossier libyen». Lors de la crise migratoire provoquée par les autorités marocaines dans l'enclave de Ceuta, afin de faire pression sur l'Espagne qui avait accueilli le Président sahraoui Ibrahim Ghali, l'Allemagne avait fait partie des Etats européens qui avaient dénoncé cette opération. Dans un entretien au journal El Pais, le ministre d'Etat allemand chargé de l'Europe, Michael Roth, avait déclaré : «C'est cynique. L'UE ne doit pas permettre qu'elle soit soumise à un chantage.» «L'UE aide des pays comme le Maroc à donner une perspective à leurs jeunes, à créer des emplois. Mais j'ai l'impression que les jeunes sans perspectives deviennent une monnaie d'échange politique pour les dirigeants», avait-il ajouté. Autant de faits qui viennent expliquer la rancune de Mohammed VI. Ce n'est pas tout, dans son discours de vendredi, le roi a également fait référence au «déploiement d'impressionnants dispositifs d'influence». «Bien plus, plutôt que d'appuyer les efforts du Maroc dans le cadre d'un équilibre souhaité entre les pays de la région, des rapports ont franchi toutes les limites de l'acceptable, allant jusqu'à recommander que soit freinée la dynamique de développement de notre pays, au motif captieux qu'elle crée une dissymétrie entre les Etats maghrébins.» Là encore, c'est l'Allemagne qui est pointée du doigt, non pas les autorités officielles mais plutôt des universitaires indépendants. Il cible essentiellement le travail effectué par l'Institut allemand d'études internationales et de sécurité (SWP). Ce think tank avait exhorté l'Union européenne à «relativiser les ambitions hégémoniques du Maroc tout en favorisant la coopération avec le reste des pays du Maghreb». Justifier l'injustifiable Bien sûr, ce discours était également l'occasion de s'en prendre aux «ennemis de l'intégrité territoriale». Mais il est également allé jusqu'à justifier l'alliance tissée avec son partenaire stratégique : Israël. Un alliance qui répond, selon lui, à la préservation «de ses intérêts supérieurs». «D'aucuns prétendent que le Maroc est ainsi assailli parce qu'il aurait changé son orientation politique et stratégique, ainsi que son modus operandi dans le traitement de certaines questions diplomatiques. Il n'en est rien. Le Maroc a effectivement changé mais pas dans le sens souhaité par ses détracteurs. Il a changé parce qu'il n'accepte pas que ses intérêts supérieurs soient malmenés.» T. H.