La vie culturelle reprend progressivement en Algérie après une longue période d'hibernation due à la pandémie de Covid-19. Parmi les bonnes nouvelles de cette rentrée, la parution de deux nouveaux ouvrages chez Barzakh. Près de deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, les répercussions sur le secteur du livre sont nettement visibles à travers la raréfaction drastique des parutions en Algérie. Alors que la tenue du prochain Sila est pour le moins incertaine, les Editions Barzakh annoncent tout de même deux nouveaux ouvrages à paraître en octobre. Il s'agit de la réédition en Algérie du dernier recueil de nouvelles de l'écrivaine féministe Souad Labbize Glisser nue sur la rampe du temps, déjà paru en France chez les Editions Blast. Ce livre figure déjà dans le top 10 d'un site anglophone recensant les « livres féministes à ne pas rater ». Déjà autrice d'une percutante autofiction intitulée Enjamber la flaque où se reflète l'enfer (2019) où il est question de viol et d'omerta, Souad Labbize poursuit sa quête de catharsis et de réponses concernant la condition des femmes et les mécanismes de leur assujettissement à travers « des instantanés de la vie de sept femmes courage », lit-on sur la présentation de l'éditeur. Dans une interview accordée à France 24, l'autrice explique que ce récit en fragments met en scène sept personnages féminins dont chacun à sa manière résiste au fait patriarcal et réussit à le mettre en échec. La jeune maison d'éditions française Blast, fondée à Toulouse en 2018 par Karima Neggad et Solen Derrien, décrit l'ouvrage en ces termes : « Celles qui veillent en sentinelles passent la nuit à enfiler des éclats de songes avec des brins de soie. Et quand change le tour de ronde, le chapelet des rêves reconstitués passe de main en main, comme un témoin de relais.» Dans ce récit en fragments, des femmes reprennent le pouvoir qui leur a été confisqué par le patriarcat, le colonialisme ou la précarité. Dans un territoire pluriel se déploient sept tableaux comme autant de loupes sur des parcours individuels, considérés comme peu légitimes pour faire histoire mais ô combien partagés, porteurs et émancipateurs. De celle qui devrait se séparer de sa fille au cœur de la Seconde Guerre mondiale touchant aussi l'Algérie, à celle traversant la frontière pour aller avorter en pleine révolution tunisienne, en passant par celle qui soigne une femme syrienne ayant rejoint Tamanrasset, ses récits font résonner les voix de femmes renversant ce qui les astreint et les réduit pour y opposer le choix de leur liberté. Glisser sur la rampe du temps, c'est détricoter les mailles de l'hégémonie et observer jaillir la sororité et la puissance qui accompagnent ces vécus». Par ailleurs, les éditions Barzakh annoncent la parution d'un second ouvrage, un essai d'anthropologie sociale intitulé Crimes et compensations en Afrique du Nord signé Yazid Ben Hounet. Ce dernier y analyse les mécanismes de réconciliation et de compensation élaborés par les Etats au lendemain d'une guerre ou d'une période sanglante de l'histoire des pays. L'auteur s'y appuie sur trois exemples en particulier : l'Algérie et sa « Réconciliation nationale » survenue après la décennie noire, le Maroc et son Instance « Equité et Réconciliation » destinée à tourner la page des années de plomb (le règne de Hassan II), et le Soudan où des négociations de paix sont toujours en cours depuis 1989 pour mettre un terme aux conflits du Darfour et du Nord-Kordofan. Dans sa présentation de l'essai, Barzakh indique : « Au centre de ces mécanismes de réconciliation et pacification, se trouve une pratique : la compensation (monétaire) pour les crimes perpétrés. Quelles significations celle-ci peut-elle avoir lorsqu'elle vise à réparer des crimes ? Est-elle nécessaire, suffisante, admissible ? Comment peut-elle être mise en œuvre et acceptée par les victimes elles-mêmes et la société ? En articulant une comparaison entre niveaux national et local, cet essai vise à éclairer les significations de la compensation comme acte de réparation, mais aussi les raisons actuelles de son incomplétude. Par-delà, il se veut une invitation aux approches anthropologiques du crime, de la punition, de la réparation et de la réconciliation. Cette étude d'une brûlante actualité, tout en étant d'une grande rigueur scientifique, a, en outre, le mérite de placer l'humain au cœur des problématiques exposées, privilégiant même parfois ce parti pris de proximité et d'humanité, qualités qui font de sa lecture un grand moment de réflexion et d'émotion.» Paru ce mois-ci, Crimes et compensations en Afrique du Nord paraît simultanément avec un second essai de Yazid Ben Hounet chez les Editions Anep, intitulé Hirak et propagande médiatique en contexte postcolonial. Titulaire d'un doctorat de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris), cet anthropologue algérien occupe le poste de chercheur au CNRS. Il a coordonné plusieurs ouvrages et numéros de revues, en plus de la publication de deux essais en 2009 : Parenté et anthropologie sociale et L'Algérie des tribus. Le fait tribal dans le haut Sud-ouest contemporain. S. H.