Lors d'une rencontre avec la presse, le Président Abdelmadjid Tebboune a rappelé à son homologue français les actes commis par la colonisation. Le chef de l'Etat a précisé que les autorités n'ont jamais exigé de «repentance» de la part de la France, mais une «reconnaissance» des crimes coloniaux perpétrés en Algérie. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Le dossier «France» a été longuement évoqué par Abdelmadjid Tebboune lors d'une rencontre télévisée avec des journalistes. Une occasion pour le Président de répondre pour la première fois à son homologue français suite aux propos qu'il a tenus lors d'un déjeuner avec des étudiants à l'Elysée puis au micro de la radio France Inter. C'est sur le registre du passé colonial français qu'Abdelmadjid Tebboune a choisi de s'engager pour répliquer aux remarques au promoteur d'un «regard apaisé» sur cette période de l'Histoire. « Nous avons des problèmes avec la France. La France nous a colonisés 132 ans. Durant cette période, des crimes horribles ont été commis dans ce pays. Des crimes qu'on ne peut pas effacer par des mots doux. Des tribus entières ont été exterminées. Demandez ce qui s'est passé à la mosquée de Ketchaoua. 4 000 fidèles se sont regroupés à l'intérieur de la mosquée pour s'opposer à sa transformation en une église. Ils ont été tous tués, tombés en martyrs. La mosquée a été encerclée et bombardée par des mortiers. C'est de cette manière que se comportait l'armée coloniale. Elle ne faisait pas de cadeau. Des personnes ont été gazées à Laghouat après avoir été mises dans des sacs », a martelé Abdelmadjid Tebboune. Il a souligné qu'il était inconcevable de «pardonner» tout en rappelant la position de l'Etat algérien sur la question de la «repentance». «Nous n'avons jamais demandé la repentance, nous avons demandé la reconnaissance. Le Président Macron a reconnu que ce qui s'est passé en Algérie est pire que la Shoah. En Algérie, il y a plus de 5,6 millions de morts.» Les propos d'Emmanuel Macron sur «la rente mémorielle» et l'absence «d'un Etat algérien avant la colonisation française» ont été à l'origine d'une crise entre les deux pays qui a conduit Alger à rappeler son ambassadeur pour consultation et interdire le survol de son espace aérien aux appareils militaires français. «Le retour de l'ambassadeur est conditionné par le respect de l'Algérie, respect total de l'Etat algérien », a indiqué Abdelmadjid Tebboune dimanche soir ajoutant qu'il faut désormais oublier «que l'Algérie fut un jour une colonie de la France. C'est un Etat débout avec tous ses piliers. Un Etat puissant avec son armée, avec une économie qui se renforce de plus en plus et avec son peuple vaillant qui ne se soumet qu'à Allah». Selon lui, la fermeture de l'espace aérien à l'aviation militaire française est également le résultat «d'attitudes agressives et gratuites» de la part de Paris. Il citera l'exemple de l'affaire des 7 000 Algériens en situation irrégulière en attente d'expulsion par les autorités françaises qui a conduit à la réduction de l'octroi des visas. Tebboune n'a pas hésité à pointer du doigt Gérald Moussa Darmanin, le ministre français de l'Intérieur, qu'il a accusé de «mensonge». «Moussa Darmanin a construit sa décision sur un gros mensonge. «Il n'y a jamais eu 7 000 Algériens. Jamais la France ne nous a parlé de plus de 94 Algériens. Nous avons reçu une liste en 2020 et trois autres en 2021. En tout, cela donne 94 cas dont 21 ont été réadmis en Algérie et 16 ne seront jamais autorisés à entrer en Algérie parce qu'ils sont liés au terrorisme, sont venus de Syrie ou d'ailleurs, d'autres radicalisés en France et d'autres sont des binationaux ou n'ayant pas de familles en Algérie », a-t-il insisté. Pour ce qui est des visas, il a reconnu que cette question «relève de la souveraineté de tous les Etats» mais a cependant appelé la France à respecter les accords d'Evian et les accords de 1968 qui dictent certaines mesures. Pour Abdelmadjid Tebboune, il n'est pas possible de traiter ce dossier dans un cadre global en incluant les trois pays du Maghreb. «Ces choses-là ne se règlent pas par le biais de la presse (...) Je ne vais pas pérorer dans un journal pour le populisme et la campagne électorale», a-t-il ajouté. Le Président algérien n'a pas fermé toutes les portes, estimant «qu'il n'y a rien d'irréversible dans les relations diplomatiques entre les Etats». «Actuellement, nous sommes agressés dans notre chair, dans notre Histoire, dans nos martyrs, nous nous défendons comme nous le pouvons. Si les choses se dissipent, il n'y aura plus de problèmes.» Avant de terminer sur cette note pessimiste en faisant référence à la phrase prononcée par Nicolas Sarkozy : «Ce n'est pas avec les adeptes du karcher que les relations algéro-françaises redeviendront calmes.» T. H.