On l'a constaté, le huitième Président de la Vème République française a fait un peu mieux que son prédécesseur socialiste dans la qualification et la reconnaissance des faits inhérents au massacre à grande échelle, sur Seine, à Paris, le 17 octobre 1961. Mais il n'a pas, fait indéniable, reconnu le crime d'Etat en le cas d'espèce. Le communiqué de l'Elysée, après la cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre d'Algériens pacifiques, est un parfait exercice d'équilibrisme sémantique, mémoriel et, par extension, politique. La gauche en France et les critiques en Algérie y ont trouvé assez de matière pour fustiger un chef de l'Etat réservé, voire timoré, qui ne va pas assez loin, c'est-à-dire au juste niveau, celui de crime d'Etat. Tandis que la droite française, elle, trouve dans les termes du communiqué un accès de « repentance », ce qui n'est, du reste, pas le cas. Une analyse de contenu du communiqué en question, à travers le sens évocateur des mots-clés utilisés avec une précision horlogère, éclaire assez bien les réactions contradictoires, ici et là. Les divergences de points de vue, dans le contexte français et le contexte algérien, partent des différences des mémoires et de leur poids et, in fine, des contextes politiques, notamment en France où la conjoncture est marquée par la prochaine élection présidentielle en point de mire. De quoi parle donc le communiqué de l'Elysée et pourquoi il pose finalement des questions ? D'abord, le texte établit un constat des faits. Il note que douze mille Algériens ont été arrêtés et transférés vers différents points de regroupement. Il constate ensuite que la répression fut « brutale, « violente », « sanglante ». Qu'il y a eu de nombreux blessés et que plusieurs dizaines de personnes furent jetées dans la Seine, ainsi que de nombreux disparus. Suit le constat un hommage du Président Emmanuel Macron « à la mémoire de toutes les victimes ». Après le constat, la minute de silence symbolique et l'hommage, surviennent la qualification des faits, la définition des responsabilités et leur imputation. De ce point de vue, le chef de l'Etat français s'appuie, pensant se montrer le plus objectif possible, le plus distancié possible, sur les historiens qui « ont établi de longue date ces faits et les ont inscrits dans un engrenage de violence durant plusieurs semaines ». Dans l'enchaînement, intervient après le fait que la démarche du président soit la seconde du genre dans le domaine de la qualification et de la reconnaissance des faits. Avant lui, François Hollande avait admis en 2012 une « sanglante répression». En reconnaissant des faits tangibles, le Président Emmanuel Macron se place d'abord à un degré supérieur par rapport à son prédécesseur. Il reprend ensuite à son compte l'inscription par les historiens des faits incriminés « dans un engrenage de violence durant plusieurs semaines ». On en comprend qu'ils seraient le résultat d'un simple « engrenage de la violence ». Qu'ils ne seraient donc pas la conséquence d'ordres donnés par l'autorité préfectorale, appuyée elle-même par l'autorité politique supérieure, ou en tout cas, au vu et au su de cette dernière qui aurait couvert de fait les actes barbares. D'ailleurs, le communiqué souligne que les crimes ont été « commis sous l'autorité de Maurice Papon » (préfet de police de Paris, Ndlr). Sous-entendu, ils seraient le fait d'un haut fonctionnaire qui aurait alors agi seul et à sa seule initiative, sans couverture politique et à l'insu de sa hiérarchie gouvernementale et de la présidence de la République. Il est donc clair et entendu que le Président Emmanuel Macron a pris soigneusement le soin de ne pas imputer le massacre du 17 Octobre 1961 à l'Etat français pour ne pas avoir à le qualifier de crime d'Etat. Le cas échéant, une telle qualification n'aurait pas manqué d'avoir des conséquences politiques, avec des répercussions électorales. C'est-à-dire, du point de vue des pertes et des gains électoraux escomptés, et en termes de points dans les baromètres d'opinion en France où les mémoires de la colonisation sont traduites, politiquement et électoralement, par des lobbys et en intentions de vote. On voit bien que la reconnaissance d'un crime d'Etat apparaît comme un plafond de verre, un horizon indépassable pour le moment. Autre signe en est, cette autre phrase du communiqué qui souligne que « la France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités dûment établies », sans pour autant dire qu'elles sont celles de l'Etat. Sauf à avoir choisi la formule de « crimes commis sous l'autorité de Maurice Papon ». Et à affirmer que ces mêmes crimes sont « inexcusables » pour la République ». Dans les dictionnaires linguistiques, l'adjectif « inexcusable » signifie impardonnable, injustifiable. Dans le sens du droit français, la « faute inexcusable » se définit comme une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative, et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel. (Chambre sociale 28 février 2002, pourvoi : n°99-17221, Legifrance). On note donc, que si les crimes commis « sous l'autorité de Maurice Papon » sont « inexcusables pour la République », il n'existerait donc pas un « élément intentionnel » qui aurait amené le Président Emmanuel Macron à les imputer à l'Etat, mais plutôt à un individu agissant seul et de son fait. Par « définition », un acte isolé malgré son amplitude. Pour ne citer qu'elles, à titre d'exemple, les réactions politiques en France ne s'y sont pas trompées. L'historien Benjamin Stora, auteur du fameux rapport sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d'Algérie, est un des rares à trouver que «pour la première fois, un chef d'Etat en exercice reconnaît la responsabilité de l'Etat dans un massacre considéré comme un crime ». Mais, en réalité, les mots rigoureusement pesés du locataire de l'Elysée sont loin d'avoir fait l'unanimité, à droite comme à gauche. À gauche, les responsables politiques et autres députés regrettent qu'Emmanuel Macron ne soit pas allé plus loin, en reconnaissant « un crime d'Etat ». Chez les écologistes d'EELV qui réclament la reconnaissance du « crime d'Etat », Julien Bayou, le secrétaire national du parti, relève que Papon, le responsable direct des massacres, « est resté en place » jusqu'en 1967. Cette reconnaissance est également demandée par la France insoumise. Le député LFI Alexis Corbière appelle le Président Emmanuel Macron à « reconnaître le massacre des Algériens pour ce qu'il a été: un crime d'Etat ». Le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, a souligné, pour sa part, « des avancées bienvenues » tout en regrettant « la frilosité d'Emmanuel Macron » et sa « politique des petits pas » prudents. « Le chef de l'Etat va plus loin que Hollande dans la précision des faits ». Et par ailleurs le « crime est réduit à la responsabilité de Maurice Papon » qui « n'était pas un Etat dans l'Etat », car « il y avait bien un chef du gouvernement et un chef de l'Etat qui décidaient qui était préfet de police ». Mais si d'aucuns estiment que le Président français ne fait pas juste ce qu'il faut, et a raté ainsi l'occasion de reconnaître le « crime d'Etat », d'autres, à droite et à l'extrême-droite, estiment qu'il en fait trop. D'aucuns dénoncent des « repentances à répétition » qui « deviennent insoutenables et attentent à l'image de la France », selon Marine Le Pen. Enfin, Eric Ciotti, l'un des candidats des Républicains à la présidentielle de 2022, stigmatise « la propagande victimaire anti-française du Président Macron ». Pour sa part, Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, tout en concédant «une tragédie», met cependant sur un pied d'égalité le vaste massacre d'Algériens et les 22 policiers français qui ont perdu la vie dans des attentats FLN, cette même année 1961». Au final, on pourrait comprendre un peu l'exercice de funambule sur le fil du rasoir auquel s'est adonné le Président Emmanuel Macron au sujet du grand massacre de la Seine. N. K.