Sans illusion aucune, le chœur des lamentations partisanes savait bien que l'incompréhensible censure des candidatures proposées allait s'effectuer sans fléchir et dans un black-out méprisant à l'opposé des moindres possibilités de recours. Ainsi donc, en dépit de toutes les humeurs grincheuses caractérisant la critique des partis, la fameuse Anie ne modifiera pas d'un iota les listes raturées qui leur étaient renvoyées. Autrement dit, d'ici là et jusqu'au jour du scrutin du 27 novembre, rien de particulier ne viendra perturber le calendrier rituel en dehors évidemment des anecdotiques passes d'armes des tribunes de campagne dont les journaux rendront compte. Secondaires dans l'ordre des priorités politiques de nos scrutins faussement démocratiques, ces élections générales, concernant à la fois les édiles communaux (APC) et le Conseil consultatif (APW), cachent cependant la promotion de la charrette des sénateurs laquelle exigera un second recours aux urnes. Car, dans la foulée de l'installation des nouvelles APC et APW se profilera inévitablement le renouvellement partiel des sièges au sein de la « Chambre haute ». Comme quoi, un train de mesures électorales modestes peut toujours cacher un autre : celui de l'ascension sénatoriale qui se suffira de la fameuse aristocratie des vrais-faux élus locaux pour promouvoir l'un d'entre eux. En somme, l'on envoie un « primus inter pares » grâce à des urnes doublement douteuses. C'est de la sorte que des mandataires, triés à partir de critères obscurs et parmi la multitude retenue grâce au vote supposé massif, passeront du statut d'intermittents de la politique à celui de « chouyoukh » aux responsabilités nationales. Encore faut-il à ceux qui ambitionnent pour cette carrière de posséder quelques atouts dans la manche. Ce qui consiste à faire d'abord partie d'une bonne écurie parmi les partis auxquels furent octroyés 30% des voix et de fait accaparent non seulement un bon tiers de sièges mais surtout les moyens matériels pour soudoyer les désormais « grands électeurs ». En effet, ceux-là seuls composent ce fameux corps électoral exclusif afin de conquérir le très rémunérateur maroquin. En somme, il s'agira dans cette perspective d'accéder sans peine à une sinécure qui flatte l'ego et ouvre devant soi les horizons d'une retraite dorée après une valorisante visibilité sociale. Ce sera donc une discrète bourse des voix qui, dès le lendemain du scrutin local, se mettra en ordre de bataille pour plaider la cause de celui qui reçut le blanc-seing du palais. Et pour cause, car le renouvellement de la « haute » Chambre ne peut s'effectuer que sur la base d'un « turn-over » parmi un personnel politique préalablement formaté. À ce propos, elle est toujours loin l'idée que l'on peut se construire sur les possibilités de l'entrée au Sénat d'un courant politique dont la notoriété tranche avec les orientations générales du régime. D'où la seule préoccupation que mobilisent cycliquement les élections générales et qui consiste à favoriser en priorité les représentants des partis les plus proches de la culture du système fondateur d'un inutile bicamérisme. Dans l'ensemble, le tri s'appuie d'abord sur l'éducation idéologique ayant irrigué auparavant les candidats ciblés. Car, il s'agira purement et simplement de désigner des épigones tout à fait disposés à imiter les prédécesseurs que sont ces « Rastignac » de province qui seront, à leur tour, appelés à cheminer sur les traces de la politique inspirée par le palais et dont la répétition a dévalorisé définitivement ce bicamérisme institué il y a de cela un quart de siècle (1996-2021). Comme quoi, ce fut, hélas, le verrouillage à clés multiples des deux chambres représentatives du pouvoir législatif lesquelles ont fini par démonétiser la totalité des institutions de la République. Après globalement cinq renouvellements par le biais des votes, des analystes se sont penchés sur l'utilité même d'une seconde chambre dans le paysage institutionnel. Perçue en définitive comme un coûteux cénacle uniquement destiné à perpétuer le clientélisme du régime, sa remise en cause n'a été pourtant abordée que du bout des lèvres voire avec beaucoup de précaution malgré les dérives dans son usage. S'étant à l'origine inspirés des modèles européens, les constitutionnalistes de 1995 plaidèrent, en effet, pour la création d'un Conseil de la Nation afin d'atténuer et même de corriger la sur-représentativité des mandats nationaux de l'APN. Plus encore, le « tiers présidentiel », qui aurait pour rôle de soustraire aux réelles surprises des urnes 50 sièges, était en son temps motivé par la nécessité de brider l'impact de l'électorat islamiste lequel était susceptible de peser dans les délibérations législatives. Or, toute cette batterie de précautions, concevables à cette époque, n'était plus justifiée deux décennies plus tard. D'où le corollaire interrogatif suivant : pourquoi a-t-on maintenu au seul profit d'une pratique clientéliste cet étonnant pouvoir discrétionnaire de nommer des sénateurs dans une institution théoriquement dédiée aux urnes électives sans dérogations injustifiées, voire injustifiables ? Cette question rarement évoquée — sauf par la presse — a pourtant été abordée implicitement au cours de la « mise à jour » des institutions après l'élection de l'actuel Président. Or, de l'ensemble des amendements concernant l'institution elle-même dans ses deux chambres, de multiples correctifs ont réellement « rafraîchi » les textes de loi sans pour autant abroger le fameux verrou qui interroge cycliquement et même interpelle dans des moments précis. C'est dire qu'en l'absence de certitudes à ce sujet, l'on sait, paradoxalement, par avance que le Sénat, dans sa future version de décembre prochain, ressemblera au précédent quant à la manière de fonctionner ! B. H.