Un projet de loi en France pour demander « pardon » aux harkis soixante ans après la fin de la guerre d'indépendance algérienne. Avec ce texte, le Président Emmanuel Macron reconnaît d'abord une « dette » envers ces supplétifs de la colonisation et leurs familles, qui ont combattu contre l'Armée de libération nationale (ALN) et le peuple algérien. Et entend donc réparer ensuite la « tragédie harkie », après avoir demandé « pardon » à ces anciens Algériens qui ont combattu aux côtés de l'armée coloniale avant de débarquer en Métropole dans « des conditions indignes ». Ce texte se veut un examen de conscience de la France officielle avec une dimension mémorielle mais aussi un volet indemnisation. À l'égard des harkis, devenus citoyens français et électeurs (communauté estimée aujourd'hui à un peu plus d'un million de personnes), le huitième Président sous la Ve République va plus loin que ses prédécesseurs depuis Jacques Chirac, en reconnaissant une « dette », en demandant « pardon » et en promettant « réparation ». Pour sa part, voulant tourner une des « pages les plus sombres de l'histoire de France », la ministre déléguée à la Mémoire et aux Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq, veut être, elle, au « rendez-vous de la vérité et de l'honneur ». C'est un « tournant historique dans la reconnaissance », a-t-elle insisté. Avec cette initiative hautement symbolique sous l'angle politique et mémoriel, le Président Macron reconnaît donc un fait colonial, demande pardon et décide de réparer un préjudice. Exactement ce qu'il refuse de faire à l'endroit de l'Algérie, s'ingéniant jusqu'ici à ne reconnaître officiellement que des crimes isolés et soigneusement sélectionnés, à ne pas demander pardon et à ne jamais évoquer, de quelque manière que ce soit, la réparation pour l'ensemble des crimes de la colonisation entre 1830 et 1962. En somme, et alors même que les harkis furent des acteurs directs ou indirects sur la scène des crimes de la colonisation, le Président Macron leur accorde un statut de victimes. Des victimes de la France officielle qui les a mal traités, mal accueillis et mal considérés, pour ne pas dire ostracisés et isolés dans des espaces de relégation sociale et spatiale. Statut paradoxal de victimes dont certains furent pourtant de vrais bourreaux du peuple algérien ! Mais le Président Macron n'est pas à une ambivalence près, lui qui a reconnu les crimes de la colonisation comme « crimes contre l'humanité » avant de faire machine arrière tout en optant pour une politique de petits pas mémoriels prudente et pesée au trébuchet électoral. Il est vrai que lorsqu'il avait qualifié, de manière nette, les crimes de la colonisation de « crimes contre «l'humanité », il était en campagne électorale pour l'Elysée, à partir d'Alger ! Sa reconnaissance officielle de la « tragédie harkie », le pardon et la réparation des dommages subis constituent une occasion propice pour lui rappeler cet axiome du Président Houari Boumediène : tourner la page de la colonisation ne signifie pas la déchirer. Cette vérité immuable avait été rappelée au Président Valéry Giscard d'Estaing, à Alger, en 1975. Et l'actuel locataire de l'Elysée, acteur principal et responsable direct de la crise politique et mémorielle profonde qui marque actuellement la relation algéro-française, aurait dû ne jamais la perdre de vue ! Quarante-deux ans après le Président Boumediène, ce fut au tour du Président Abdelaziz Bouteflika, son ex-ministre des Affaires étrangères, de la rappeler au jeune Président Macron auquel semble manquer le sens de l'Histoire et ses enseignements mémoriels. À l'occasion de la commémoration du 55e anniversaire de l'indépendance, il avait en effet souligné que l'Algérie, lorsqu'elle exerce son devoir de mémoire, elle le fait sans haine à l'égard de la France postcoloniale. Le «partenariat d'exception» que la France souhaitait construire du temps des Présidents Chirac et Hollande «gagnerait en sérénité et en élan dans une reconnaissance des vérités de l'Histoire», avait-il alors affirmé. La reconnaissance de tout le martyre du peuple algérien semble être désormais une condition politique nécessaire au retour du dialogue entre Alger et Paris, indépendamment des autres sources politiques, diplomatiques ou économiques de divergences durables, d'achoppement conjoncturel, de malentendus occasionnels et de désaccords profonds. Elle sera aussi un des facteurs essentiels de toute forte impulsion des relations bilatérales. Ce partenariat ne serait pas durable, encore moins d'exception, tant que les crimes de la colonisation ne seraient pas reconnus officiellement et en bloc, par l'Etat français. Et faire après l'objet d'excuses ou de pardon, et, éventuellement, de réparation, comme c'est le cas pour le rôle des harkis durant la colonisation et des conséquences pour leur descendance. Mais que demandait au juste le Président Bouteflika, et qu'exige aujourd'hui du Président Macron son successeur Abdelmadjid Tebboune ? Tout simplement, une reconnaissance officielle des crimes de la colonisation sur le mode du confiteor, le fameux « je reconnais, j'avoue et je répare » bien chrétien. Il ne s'agit donc pas de repentance pure et simple car celle-ci est mêlée au regret douloureux que le chrétien a de ses péchés mortels, de ses fautes lourdes et du désir ardent de se racheter. Les pays colonisés, dont l'Algérie qui a souffert le plus de la colonisation, ont rarement été dans une approche franchement culpabilisante de l'ancienne puissance coloniale. Les ex-colonies de confession musulmane, elles, peuvent même exciper de l'argument coranique selon lequel « aucune âme ne portera le fardeau d'autrui, et qu'en vérité l'homme n'obtient que le fruit de ses efforts » (sourate 62 de l'Etoile, versets 37, 38). En tout cas, il n'a jamais été question de demander officiellement à la France d'aller douloureusement à Canossa. D'exiger d'elle une dure pénitence caractérisée par une lancinante flagellation. Personne ne lui demande donc d'être tondue, en robe de bure, et de s'agenouiller pour demander, contrite à souhait, le pardon déshonorant. D'ailleurs, ni les Algériens ni les autres peuples qui ont subi eux aussi le joug de la colonisation ne veulent l'amener à se couvrir la tête de cendres. Le pardon honorable et les excuses dignes attendus d'elle n'ont aucune connotation religieuse et pénitentielle. Ils expriment juste une simple reconnaissance, c'est-à-dire officielle, des souffrances subies par les peuples qu'elle a colonisés et martyrisés. Cette reconnaissance ne doit en aucun cas se limiter à tout simplement souligner « le caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial », comme l'avait fait le Président Chirac en 2005. Ou encore de défoncer une porte béante en admettant que la colonisation en Algérie fut «une tragédie inacceptable», comme l'avait fait l'ancien ambassadeur à Alger Bernard Bajolet. Ou, enfin, de dire, banalement il est vrai, comme le Président Sarkozy, en 2007, à Constantine, que «le système colonial a été profondément injuste ». Tout compte fait, ce n'est guère verser dans le délire mémoriel, encore moins attiser la guerre des mémoires de part et d'autre, que d'accepter que les peuples colonisés d'hier reçoivent, comme juste réparation, une reconnaissance expiatoire qui dénonce, de manière officielle, le fait colonial. Ce n'est pas la mémoire assumée, c'est évident, qui dresse les murs de l'incompréhension et nourrit la haine de l'Autre. L'anti-reconnaissance et le refus de présenter des excuses publiques dignes d'un pays civilisé constituent une entreprise d'auto-exonération par excellence. C'est cette entreprise – qui ne veut pas dire son nom – qui empêche la France et l'Algérie d'édifier ce partenariat d'exception tant vanté par les Présidents Chirac, Hollande et Macron. Ne jamais l'oublier, le devoir de mémoire est un devoir de vérité et une obligation de reconnaissance. C'est un impératif catégorique de la loi morale envers les vivants qui portent le poids d'un passé douloureux toujours lourdement présent. « La honte est dans l'offense, et non pas dans l'excuse », disait le Français Pierre Claude Nivelle de La Chaussée. N. K.