Tourner la page de la colonisation, ne signifie pas la déchirer. Cette vérité immuable avait été rappelée au président Valery Giscard d'Estaing par le président Houari Boumediene, à Alger, en 1975. En 2017, c'est au tour du président Abdelaziz Bouteflika, qui fut alors son ministre des Affaires étrangères, de la rappeler au jeune président Emanuel Macron. A l'occasion de la célébration du 55e anniversaire de l'Indépendance, notre chef de l'Etat a donc rappelé à son homologue français que l'Algérie, lorsqu'elle exerce son devoir de mémoire, le fait sans haine à l'égard de la France d'aujourd'hui. Une France qui a cependant l'obligation de reconnaître les souffrances incommensurables infligées par la colonisation au peuple algérien durant 132 ans d'occupation. Le «partenariat d'exception» que la France et l'Algérie s'évertuent à construire, «gagnera en sérénité et en élan dans une reconnaissance des vérités de l'Histoire», a souligné le président Abdelaziz Bouteflika. La reconnaissance du martyre du peuple algérien semble être désormais une condition politique nécessaire à toute forte impulsion des relations bilatérales. Cela pourrait signifier que ce partenariat ne sera jamais d'exception tant que les souffrances endurées par le peuple algérien durant la colonisation ne seraient pas officiellement reconnues par l'Etat français. Mais que demande au juste le chef de l'Etat algérien ? Tout simplement, une reconnaissance des crimes de la colonisation et du confiteor ad hoc (le fameux «je reconnais, j'avoue» chrétien). Il ne s'agit donc pas de repentance qui est mêlée au regret douloureux que l'on a de ses péchés, de ses fautes, et du désir de se racheter. Les pays colonisés, dont l'Algérie qui a pâti le plus de la colonisation, n'ont jamais été dans une approche foncièrement culpabilisante de l'ex-puissance coloniale. Les anciennes colonies de confession musulmane, elles, peuvent même exciper de l'argument religieux qui veut qu'«aucune âme ne portera le fardeau d'autrui, et qu'en vérité l'homme n'obtient que le fruit de ses efforts» (sourate 62 de l'Etoile, versets 37, 38). En tout cas, il n'a jamais été envisagé de demander à la France d'aller à Canossa. D'exiger précisément d'elle une dure pénitence ou une douloureuse flagellation. Personne ne lui demande donc d'être tondue, en robe de bure, et de s'agenouiller pour demander, assez contrite, le pardon. D'ailleurs, ni les Algériens, ni les autres peuples qui ont subi eux aussi le joug de la colonisation française ne veulent l'amener à se couvrir la tête de cendres. La repentance attendue de la France n'a aucune forme à connotation religieuse et pénitentielle. Elle est juste une simple reconnaissance, c'est-à-dire officielle, des souffrances subies par les peuples qu'elle a colonisés. Et cette reconnaissance ne doit en aucun cas se borner à juste souligner «le caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial», comme l'a fait le président Jacques Chirac en 2005. Ou encore de défoncer une porte ouverte en admettant que la colonisation en Algérie fut «une tragédie inacceptable», comme l'avait fait l'ancien ambassadeur à Alger Bernard Bajolet. Ou, enfin, de dire, banalement il est vrai, comme d'ailleurs le président Nicolas Sarkozy, en 2007, à Constantine, que «le système colonial a été profondément injuste ». Finalement, ce qui est demandé à la France, ce n'est pas tant une repentance individuelle, qui serait cantonnée au seul domaine franco-algérien. C'est un devoir de vérité et de reconnaissance pour toutes les victimes de la colonisation française, quelles que soient leurs origines. En fin de compte, ce n'est pas verser dans le délire mémoriel, encore moins attiser la guerre des mémoires que d'accepter que les anciens peuples colonisés reçoivent comme juste réparation une collective reconnaissance expiatoire qui dénonce, de manière officielle, solennelle et symbolique, le fait colonial. Ce n'est pas la mémoire assumée, c'est évident, qui dresse les murs et nourrit la haine de l'Autre. C'est l'anti-repentance, l'anti-reconnaissance, entreprise d'auto-exonération par excellence, qui cependant empêche l'Algérie et la France d'édifier ce partenariat d'exception tant vanté par le président François Hollande. Ne jamais l'oublier, le devoir de mémoire est un devoir de vérité, une obligation de reconnaissance. C'est un impératif catégorique de la loi morale envers les vivants qui portent le poids d'un passé toujours lourdement présent. N. K.