L'entrée en force de l'Arabie Saoudite dans la modernité, telle que perçue par l'Occident, semble se confirmer avec l'organisation de concerts et de festivals, comme celui du cinéma. Avec l'arrivée aux commandes de l'Arabie Saoudite du prince héritier Mohammed Ben Salmane, d'ores et déjà siglé MBS, et ses ouvertures en matière religieuse, cette tendance se confirmait. Le discours du nouvel homme fort du royaume annonçait effectivement un bouleversement dans la doctrine wahhabite qui régissait le pays, et une remise en cause des dogmes surannés. Les pays occidentaux qui commençaient à ressentir les effets pervers du wahhabisme à l'intérieur de leurs propres frontières ne pouvaient qu'être séduits par les projets réformistes de MBS. Que cette ouverture religieuse ne soit pas accompagnée d'une initiative similaire en matière de politique intérieure n'était pas pour gêner les alliés de l'Arabie Saoudite, Etats-Unis en tête. Certes, les organisations américaines des droits de l'Homme ont tempêté contre l'assassinat horrible du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi en octobre 2018 en Turquie. Certes, le gouvernement américain a pris un moment ses distances avec le prince héritier saoudien, mais la dénonciation et la condamnation du crime n'ont pas nui aux projets communs. Comme on l'a vu, le vrombissement des voitures de course sur le circuit de Djeddah, suivi du fracas des décibels produits par les concerts de musique, a vite étouffé les voix discordantes. La puissance de l'argent, les alliances avec les grands de ce monde ont finalement eu raison des appels répétés au boycott: le chanteur canadien Justin Bieber a bel et bien chanté à Djeddah. Il n'est pas certain que tous ceux qui ont appelé l'artiste à boycotter le grand prix de Formule 1, organisé en grande pompe par l'Arabie Saoudite, mais c'est un fait: la vie d'un homme compte si peu. La raison d'Etat, justificatif quasiment imparable de tous les crimes et de toutes les turpitudes des politiques, a scellé une dalle de plus sur le tombeau de l'opposant saoudien Jamal Khashoggi. Le prince héritier d'Arabie Saoudite, pourtant désigné suspect numéro un du meurtre du journaliste, assassiné dans des conditions atroces il y a trois ans à peine, fait ce qu'il veut. Il vient d'ailleurs de sceller la réconciliation des monarchies du Golfe avec leur diablotin trop riche et faisant un usage jugé immodéré de sa richesse, l'émirat du Qatar, trop vite grandi. Non content d'avoir été le premier pays arabe à établir des relations diplomatiques avec Israël, le Qatar s'est aussi distingué en soutenant les Frères musulmans et en fraternisant avec l'Iran. MBS est donc arrivé la semaine dernière en grand apparat à Doha pour y bénir les structures édifiées pour la prochaine Coupe du monde de football, et qui accueillent déjà la Coupe arabe. C'est un tournoi parfaitement inutile pour l'essor du football mondial, mais qui génère apparemment beaucoup d'argent, d'où le parrainage de la Fifa, en plus des flots d'adrénaline patriotique. Il est vrai que lorsqu'il s'agit de football, et que l'équipe d'Algérie est de la partie, il serait malvenu de faire la fine bouche et de bouder son plaisir surtout si le pays gagne le trophée. Seulement, si le bruit assourdissant des moteurs d'une course de Formule 1 peut étouffer les voix des démocrates, les clameurs du stade ne peuvent rien contre l'aveuglante réalité. À savoir que ce tournoi, censé célébrer l'illusoire fraternité arabe, ne semble être là que pour servir de paravent à des manœuvres très peu fraternelles, si ce n'est hostiles vis-à-vis de l'Algérie. On va sans doute gagner cette coupe, mais de combien de larmes devrons-nous la payer, avec tout ce qui se trame à nos frontières, contre combien de tirs de drones israéliens devrons-nous garder nos bois ? Un jour, sans doute, une fois les droits des Palestiniens pleinement respectés, l'Algérie aura des relations normales avec Israël, mais pas avec une base militaire sous nos fenêtres. Oui, les Algériens sont aussi maghrébins, sinon plus que les autres pays d'Afrique du Nord, oui il faut célébrer la fraternité, même après une victoire sportive, mais il faut savoir raison garder. L'euphorie d'une victoire sur un terrain de football ne doit pas nous faire oublier son contexte, contre qui elle a été acquise, sur quel terrain et dans quel cadre: celui d'une ligue d'Etats arabes prêts à nous sacrifier comme ils l'ont fait avec les Palestiniens. Sans s'arrêter à la conjoncture actuelle, ce qui aurait été sans doute nécessaire et utile, le penseur marocain Ahmed Assid soulève un point important qui concerne le nom de cette coupe. Il observe que si l'appellation officielle que lui a donnée la Fifa est «la Coupe arabe», les pays du Golfe l'ont changée en «Coupe des Arabes», par fierté de leur race et de leur passé. C'est faire peu de cas des sentiments des autres non-Arabes et de l'esprit sportif qui consiste à nommer les coupes de football selon l'appartenance géographique et non selon la race. Au lieu de se précipiter sur cette appellation, ajoute-t-il, les organisateurs auraient dû effectuer des tests génétiques sur les joueurs, et il n'est pas sûr qu'ils auraient trouvé beaucoup d'Arabes purs. Sinon avec un tel nom, «cette compétition devrait être ouverte seulement aux purs Arabes, et ce, alors qu'elle va sans doute être remportée par des Amazighs», note Ahmed Assid. Oui, ils remporteront sans doute la coupe, quel que soit son nom, mais après, quand on aura tous quitté le stade ? A. H.