Politique et affairisme font en ces temps de crise économique bon ménage et il est quasiment acquis que la visite controversée du prince héritier saoudien au pays des «1,5 million de martyrs» sera couronnée de succès. Comparativement à la Tunisie, la «petite» levée de boucliers en Algérie des intellectuels et universitaires, de la société civile et des organisations de défense des droits de l'homme contre la visite à Alger du principe héritier Mohamed Ben Salmane (MBS) n'aura pas eu l'effet escompté, ni fait grand bruit. La société algérienne, étouffée par l'inflation et le chômage, n'est pas en mesure, tout comme les responsables, de voir autrement que comme une autre opportunité pour le pays de diversifier ses partenaires économiques d'abord, politiques ensuite. En fait, l'Algérie n'a pas les moyens financiers, ni les raisons politiques et encore moins diplomatiques pour refuser la visite du N°2 d'Arabie Saoudite. Car s'il y a les appels à boycotter cette tournée «arabe» de MBS, fortement soupçonné d'avoir commandité l'assassinat atroce du journaliste et opposant politique saoudien Jamal Khashoggi, il y a cependant une certaine retenue à observer et, surtout, ne pas commettre l'erreur de confondre entre responsabilités d'Etat et activisme politique. Au sommet du G20, MBS a été reçu comme un chef d'Etat et les leaders des puissances économiques et militaires actuelles, c'est-à-dire les Etats-Unis, la Russie et la Chine, lui ont même réservé un accueil conforme à son rang. Alors, en quoi l'Algérie, dont l'économie est plombée par une crise financière terrible induite par une baisse des prix de pétrole et qui passe des nuits cauchemardesque en tentant de baliser la voie à une prochaine élection présidentielle décisive, est-elle plus brave que les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou les Etats européens ? Dénoncer un assassinat ? Elle l'a fait, même en retard et du «bout des lèvres». Tout le monde a dénoncé l'assassinat de Khashoggi, mais les mêmes dénonciateurs ne se sont pas empêchés de maintenir, sinon renforcer leurs relations avec l'Arabie Saoudite. A Alger, la délégation saoudienne, conduite par le prince héritier, va parler business, investissements, pétrole, partenariat, visas et tourisme, et il en sera de même pour la partie algérienne. Il n'y a aucun doute là-dessus et, pour les sceptiques, le communiqué de la présidence de la République est clair. Cette visite est perçue à Alger comme une bouffée d'oxygène avec les nombreux contrats économiques prévus entre les deux pays, outre l'amorce d'un partenariat entre hommes d'affaires et industriels algériens et saoudiens. Ce sera également la même vision des choses du côté saoudien où il est surtout question de se rapprocher davantage avec certains pays arabes, dont l'Algérie, qui n'ont cautionné ni l'agression contre le Yémen, encore moins la marginalisation du Qatar ou les dissensions avec l'Iran. Contrairement à Rabat, qui ne figure pas dans cette tournée, MBS a beaucoup à gagner en faisant escale à Alger et Tunis, deux pays maghrébins qui ont toujours refusé de s'aligner sur sa politique hégémonique dans le monde arabo-musulman. Même si la condamnation par Alger de l'assassinat de Khashoggi est très anecdotique pour MBS, dont l'objectif est de s'assurer, moyennant une cohésion renouvelée au sein de l'Opep et des contrats importants dans l'agroalimentaire notamment, du soutien d'un des pays les plus proches de la cause palestinienne, du Qatar et très écouté par Téhéran.