De notre envoyé spécial à Las Palmas de Gran Canaria, Tarek Hafid La 45e conférence de la Coordination européenne pour le soutien et la solidarité avec le peuple sahraoui (Eucoco), qui s'est déroulée dans les îles Canaries, a soutenu la dimension armée du combat du Front Polisario. Les acteurs de ce mouvement international se sont engagés à mettre en œuvre une nouvelle dynamique pour soutenir activement les droits du peuple sahraoui. La reprise de la lutte armée du Front Polisario est considérée comme légitime par l'ensemble des membres du mouvement international de solidarité avec le peuple sahraoui. Une reconnaissance exprimée dans la déclaration finale de la 45e conférence de la Coordination européenne pour le soutien et la solidarité avec le peuple sahraoui (Eucoco) qui s'est tenue les 10 et 11 décembre à Las Palmas, dans les îles Canaries. « Après près de trente ans de processus de paix inachevé, après l'agression marocaine du 13 novembre 2020, le peuple sahraoui a été contraint de se défendre contre cette agression en reprenant sa lutte armée. (...) La conférence rend hommage et exprime son soutien aux courageux combattants de l'Armée populaire de libération sahraouie (APLS) qui, au péril de leur vie, affrontent quotidiennement une armée d'occupation marocaine dotée des armes de destruction les plus sophistiquées », précise cette déclaration. Cette reconnaissance du mouvement de solidarité, qui est constitué d'organisations de protection des droits de l'Homme, de juristes, de parlementaires et de personnalités politiques, vient appuyer le droit du peuple sahraoui à user de tous les moyens pour libérer son pays. La désignation des forces marocaines comme étant une « armée d'occupation » vient renforcer cette légitimité. En fait, la pandémie de Covid-19 n'avait pas permis au mouvement international de soutien au peuple sahraoui de se rencontrer pour s'exprimer sur la reprise de la lutte de libération qui est intervenue le 13 novembre 2020. Cette conférence de l'Eucoco a également permis aux participants d'arrêter un programme d'action en matière de défense des droits humains et d'exploitation illégale des richesses du Sahara Occidental par le Maroc. Les participants à l'atelier dédié aux droits de l'Homme ont fait part de leur pessimisme du fait de l'immobilisme de l'ONU face à la répression qui vise au quotidien les citoyens sahraouis dans les territoires occupés. À titre d'exemple, la situation dramatique de la militante Sultana Khaya et des membres de sa famille, séquestrés dans leur maison depuis plus d'une année, ne peut se régler sans un rappel à l'ordre de la communauté internationale. Le refus des membres du Conseil de sécurité de l'ONU de doter la Mission des Nations-Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara Occidental (Minurso) d'un mécanisme indépendant de contrôle et de monitoring des droits de l'Homme permet à l'administration coloniale marocaine d'agir en toute impunité. En matière d'exploitation des ressources naturelles, le Maroc et ses partenaires européens ont subi un véritable revers suite à la décision rendue le 29 septembre 2021 par la Cour de justice de l'Union européenne qui exclut le Sahara Occidental de l'accord relatif aux préférences tarifaires accordées par l'UE aux produits d'origine marocaine ainsi que l'accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable. Ainsi, l'ONG Western Sahara Compaign UK a introduit un recours devant la justice britannique contre des accords similaires signés post-Brexit entre le Royaume-Uni et le Maroc. Sur le plan politique, les participants se sont engagés à intensifier les actions pour placer l'Espagne face à ses responsabilités. « Il convient de noter que l'Espagne continue d'être la puissance administrante, de jure, du Sahara Occidental et a une responsabilité juridique et morale pour l'occupation et la colonisation du Sahara Occidental par le Maroc. En effet, à cause de cette responsabilité, l'Espagne doit jouer un rôle décisif dans la résolution de ce conflit colonial qui a trop duré », ont noté les participants à cette conférence. Le mouvement de solidarité international dispose d'une année pour mettre en œuvre ces actions sur le terrain. Ses membres se sont donné rendez-vous en Allemagne pour la 46e édition. T. H. TONE SØRFONN MOE, AVOCATE NORVEGIENNE : «La suppression du droit à l'autodétermination supprime les autres droits humains» Avocate spécialisée, Tone Sørfonn Moe a présidée l'atelier sur la question des droits humains de la 45e conférence de l'Eucoco. Selon elle, la répression dans les territoires occupés par le Maroc ne s'arrêtera qu'avec l'indépendance du Sahara Occidental. Le Soir d'Algérie : Les actes de répression sont le quotidien de la population civile sahraouie qui vit dans le territoire du Sahara Occidental occupé. Pourquoi est-il aujourd'hui impossible de protéger contre cette politique répressive du Maroc ? Tone Sørfonn Moe : La question fondamentale de l'occupation marocaine du Sahara Occidental reste le fait que la suppression du droit à l'autodétermination signifie la suppression des autres droits humains. Ce qui signifie que la seule façon de mettre fin aux souffrances des Sahraouis est de lui donner le droit à l'autodétermination, c'est-à-dire organiser un référendum pour qu'ils puissent décider eux-mêmes de leur avenir. Tant que cette occupation continue, il y aura des violations des droits de l'Homme. Dans le moment présent et le contexte actuel, nous avons assisté à une répression massive dans les territoires occupés dénoncée par les procédures spéciales des Nations-Unies et ont demandé au Maroc d'y remédier. Ils ont documenté qu'il y a des abus généralisés et systématiques contre le peuple sahraoui afin de supprimer le droit à l'autodétermination. Et il n'en demeure pas moins que le royaume du Maroc ne met pas en œuvre cette décision et cela place l'ensemble de l'institution des Nations-Unies dans une impasse. C'est un enjeu majeur pour tous les pays qui croient en l'égalité des droits humains. Tous les pays qui pensent que les institutions que nous avons fondées doivent se dresser contre le Maroc et lui demander des comptes. Cela reste la seule solution. Le cas de la militante sahraouie Sultana Khaya et de sa famille, qui sont séquestrées dans leur domicile depuis plus d'une année, est un exemple concret de répression. Comment expliquez-vous une telle impunité et l'inaction de la communauté internationale ? Sultana Khaya et sa sœur Ouara sont en résidence surveillée depuis une année, c'est-à-dire qu'elles restent prisonnières politiques dans leur propre foyer. Et dans ce cas, l'ONU, à travers la rapporteur spécial sur les droits de l'Homme, Mary Lawlor, a clairement dénoncé l'assignation à résidence et les violations continues mais la situation reste au point mort et le Maroc a réfuté et a démenti. Les Marocains continuent de calomnier Sultana au lieu de remédier à la situation. Au lieu de cela, ils criminalisent les actions de Sultana et ciblent également la rapporteure spéciale de l'ONU elle-même, ce qui est extrêmement préoccupant et nous avons besoin d'Etats tels que la Norvège, d'où je viens, mais aussi particulièrement les Etats-Unis pour demander des comptes au Maroc. On ne peut accepter que le Maroc tel que documenté détienne deux femmes pacifiques en résidence surveillée et les torture sans être tenu pour responsable par la communauté internationale. Depuis la reprise du conflit armé au Sahara Occidental, nous constatons l'utilisation par le Maroc de drones. Il s'avère que ces équipements militaires visent essentiellement des civils. Est-ce là encore une violation par l'armée marocaine du droit international des droits de l'Homme ? Je ne sais pas. Je ne peux pas répondre à cette question. Entretien réalisé par T. H.
MERIEM NAILI, JURISTE ET MEMBRE DE WESTERN SAHARA CAMPAIGN UK : «Seul le consentement du Polisario peut arrêter le pillage des ressources naturelles» Juriste et membre actif du comité Western Sahara Campaign UK, Meriem Naïli est engagée contre le pillage des ressources naturelles au Sahara Occidental occupé par le Maroc. Dans cet entretien, elle explique pourquoi le récent arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne permet une avancée notable dans la protection des intérêts du peuple sahraoui. Le Soir d'Algérie : Le Maroc pille depuis des années les ressources naturelles au Sahara Occidental. Pourquoi, aujourd'hui encore, il est difficile de protéger ces ressources qui appartiennent au peuple sahraoui ? Meriem Naïli : En fait, il existe une solution très simple pour que tout le monde soit dans la légalité, c'est de signer des accords qui doivent être conclus avec le peuple sahraoui par le biais de son représentant, le Front Polisario. Seul le consentement du Front Polisario peut mettre un terme au pillage. C'est d'ailleurs la solution fiable et légale qu'a rappelée le juge européen le 29 septembre dernier dans son arrêt relatif aux accords entre le Maroc et l'Union européenne. Est-ce qu'il est possible d'étendre cet arrêt à des accords signés par le Maroc avec d'autres Etats ? Après la confirmation probable de la Cour de justice de l'Union européenne, dans environ deux ans, le Front Polisario et ses avocats devront engager un travail de fond pour saisir les cours et les tribunaux, les juridictions internationales et nationales, pour annuler les accords. Durant ces deux jours de travaux à Las Palmas, nous avons discuté de la question de la préparation de ce travail judiciaire et la nécessaire identification des accords. En fait, Western Sahara Campaign UK est déjà passé à l'action puisque nous avons saisi la justice britannique pour exiger l'annulation des clauses qui concerne le Sahara Occidental inscrites dans l'accord signé entre le Royaume-Uni et le Maroc. Cet accord a été signé après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le verdict devrait être rendu au courant du printemps 2022. Le prochain arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne servira de base juridique pour faire annuler d'autres accords ? Bien entendu. D'ailleurs, l'arrêt rendu au mois de septembre 2021 constitue une base importante car le juge a répertorié tous les motifs pour justifier sa décision. Il faut savoir que c'est un arrêt très long de 350 paragraphes, ce qui est rare pour un tribunal de première instance. Cela constitue une source d'information importante pour la suite des actions. Le Front Polisario est reconnu comme représentant légitime et unique du peuple sahraoui. Cette notion de peuple est également très importante car elle est clairement indiquée dans cette décision de justice. Êtes-vous certaine que le juge européen n'a pas subi des pressions de la part du gouvernement algérien... (Rires), pas du tout. Le magistrat a appliqué le droit. Tout est là, le droit, les traités, la jurisprudence. Comme je le disais, c'est un arrêt qui est très motivé et qui comprend beaucoup d'explications. D'ailleurs, il faut comprendre que le Conseil de l'Union européenne savait par avance qu'il allait perdre. La presse marocaine avait également réagi de façon à préparer la défaite. Les médias ont dit : si le Maroc ne peut pas faire de business avec l'Europe, il ira voir ailleurs. Au terme de ce processus, le Front Polisario pourra-t-il exiger des réparations financières ? Oui c'est possible. Le juge peut exiger le versement de réparations au Front Polisario. Cet accord permet aux produits agricoles d'entrer sur le marché européen en bénéficiant de préférences tarifaires que le Maroc ne paye pas. Cet argent n'est pas collecté par l'Union européenne. On peut donc estimer le dommage financier depuis l'entrée en application de cet accord en février 2019 et le versement de ces fonds au peuple sahraoui. Entretien réalisé par T. H.