Par Naoufel Brahimi El Mili Ils sont presque tous sur la ligne de départ avec un même objectif : obtenir un bail de cinq ans à l'Elysée. Pour le moment, le site est toujours occupé et le locataire actuel entend y rester sans encore se déclarer candidat à sa propre succession. Cette présidentielle est atypique. Le thème Algérie qui était un vecteur positif de différentiation devient un catalyseur négatif. Jusqu'à l'entrée fracassante d'Eric Zemmour dans le débat politique, les postulants à la magistrature suprême faisaient un déplacement à Alger comme tour de chauffe pour la course à la présidentielle. La liste est longue : Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, Arnaud Montebourg and last but not least, Emmanuel Macron. Ce dernier, quelques années plus tard, s'est même interrogé à haute voix, à portée de plume d'un journaliste du Monde sur l'existence de la Nation algérienne avant la colonisation française. Une sortie de route pour empiéter sur le couloir du candidat-polémiste qui faisait un surprenant sprint en surfant sur l'islam, immigration et autres thèmes lardés de xénophobie. Le ton de la prochaine présidentielle est donné. A gauche, il y a plus de candidats que d'idées. Oui, la démocratie française est abîmée. Tout a commencé avec le référendum sur la Constitution européenne rejetée majoritairement par les Français en 2005. Peu importe, un an après son élection, Nicolas Sarkozy ignore le suffrage universel et fait passer cette Constitution sous la forme de traité de Lisbonne. En même temps, il lance un projet aussi ambitieux qu'irréaliste : l'Union pour la Méditerranée. Une idée mort-née. L'UPM est exécutée par l'aviation israélienne lors de l'opération «Plomb durci» où le nombre de bombes par mètre carré sur la bande de Ghaza était du niveau de la Seconde Guerre mondiale. L'Union pour la Méditerranée était chargée d'arrière-pensées : maintenir la Turquie en dehors de l'Europe et réduire la centralité de l'Algérie en faisant la part belle à l'Egypte de Hosni Moubarak. Or, le projet des 5+5 soutenu par François Mitterrand fait de la Méditerranée orientale un pont entre le Maghreb et l'Europe du Sud. Durant le mandat de François Hollande, la démocratie française a connu sa ménopause avec un projet-phare : la déchéance de la nationalité pour les binationaux impliqués dans des attentats terroristes. Ce qui revient à faire la distinction entre deux catégories de Français, ceux de souche et les «nouveaux Français». Du jamais vu depuis le gouvernement de Vichy. Encore une fois, les Maghrébins sont ciblés. Il en a résulté que pour la première fois sous la cinquième République, un Président sortant se trouve en incapacité de se représenter. Succédant à François Hollande, Emmanuel Macron crée un parti, En Marche, sans aucun enracinement territorial mais qui regroupe des déserteurs de la droite et de la gauche. Les clivages propres à la cinquième République sont brouillés. Il en a résulté une série d'abstentions record lors des élections suivantes : législatives, municipales et régionales. Plus de la moitié des Français ne votent plus. Cependant, une majorité d'électeurs potentiels prêtent une oreille attentive aux élucubrations d'Eric Zemmour qui lance son parti : Reconquête. Reconquista, en espagnol, période glorieuse selon lui quand Isabelle la Catholique avait chassé les musulmans d'Andalousie. C'était le Moyen-Âge mais qui devient curieusement un projet d'avenir en France. Une république laïque qui met l'islam au centre de ses préoccupations, voire combats. La Reconquista s'était étalée sur plusieurs siècles mais Zemmour veut chasser les migrants essentiellement musulmans en un mandat de cinq ans. Il commence à parler d'immigration zéro. Il y a quelques mois, non encore candidat, Eric Zemmour consulte à tour de bras. Il s'en est ouvert à un industriel, Loic Le Floch-Prigent qui s'entend dire qu'il n'y aura plus d'immigrés en France. Très calme, son interlocuteur lui pose la question : «Qu'allez-vous faire du stock ?» Pas de réponse. Toutes les civilisations se sont construites sur des flux migratoires. Seulement, quand le Moyen-Âge est pris comme référence, le saut civilisationnel est questionnable. Le coronavirus a contaminé la démocratie française. Depuis presque deux années, le débat politique portait sur les masques, les hôpitaux, le vaccin et le pass sanitaire. Surgit Zemmour avec ses fulgurances provocatrices et il secoue le débat d'idées. Sa vidéo de lancement de campagne met en exergue des Noirs et des musulmans qui prient dans les rues pour étayer sa théorie de grand remplacement. Selon lui, la civilisation chrétienne sera remplacée par la musulmane. L'outrance remplace le bon sens. C'est connu, les Français aiment la nouveauté mais aiment-ils le changement ? Se multiplient les sondages savants et scientifiques mais il n'y a aucun chiffre précis sur le nombre de bulletins potentiellement tenus par les binationaux, majoritairement d'origine algérienne. Se pose la question sur l'organisation de la diaspora algérienne en France. Groupe important mais peu homogène sauf quand l'équipe nationale gagne. En France, il existe un vote arménien, Alfortville, en banlieue sud de Paris, est la deuxième ville arménienne après Erevan. Quid du «vote algérien» ? La seule certitude, ce vote s'était exprimé majoritairement en faveur de la candidate socialiste, Ségolène Royale, en 2007, en réaction au «Karcher» fer de lance de la politique de Nicolas Sarkozy ministre de l'Intérieur. Il est difficile de faire tout pronostic sur le vote «diaspora algérienne», déjà tentée par l'abstentionnisme, d'une part, et il est peu structuré, d'autre part. Toutefois, si on observe les séries longues, les relations entre la France et l'Algérie ont toujours été plus claires sous les présidences de droite, hormis le septennat de Valéry Giscard d'Estaing. Emmanuel Macron se dit ni de droite ni de gauche, c'est le flou, mais il dispose encore d'un discours historique de rattrapage lors du soixantième anniversaire des accords d'Evian, le 19 mars 2022, à peu de semaines du premier tour des élections. Un rendez-vous à ne pas rater. N. B. E. M.