Par Nadjib Drouiche(*) Selon les prévisions, jusqu'à 60% de la population mondiale pourrait connaître une certaine forme de pénurie d'eau d'ici 2025. Pour résoudre ce problème, il sera crucial de développer un approvisionnement en eau fiable et résistant aux impacts climatiques. En conséquence, de nombreux systèmes d'approvisionnement en eau assurant la durabilité des écosystèmes et nourrissant une population humaine croissante sont soumis à une agression environnementale. Les eaux de surface, les nappes phréatiques et les aquifères s'assèchent ou deviennent trop pollués sous l'effet de nombreuses sources, entre autres les intrants agricoles, à savoir les pesticides, les herbicides et les engrais qui s'échappent des exploitations agricoles, les eaux usées urbaines non traitées et les déchets industriels, hypothéquant ainsi leur utilisation. Plus de la moitié des zones humides du monde ont disparu. L'agriculture consomme plus d'eau que toute autre source et en gaspille une grande partie par manque d'efficacité. Le changement climatique modifie les paramètres (température, précipitations...) climatiques et hydriques dans le monde entier, provoquant ainsi des pénuries et des sécheresses dans certaines régions et des inondations dans d'autres. Un approvisionnement en eau résilient n'englobe pas seulement le dessalement. La réutilisation et la conservation intelligentes de l'eau ainsi que l'amélioration de la gestion conventionnelle de l'eau et la gestion de la consommation sont tout aussi importantes. Aujourd'hui, le dessalement fournit déjà de l'eau potable à plus de 300 millions de personnes dans le monde. Ce chiffre devrait augmenter, en particulier dans les régions où les ressources en eau conventionnelles sont très limitées. Il offre par ailleurs une multitude d'avantages qui se déclinent sous plusieurs formes. Il permet en outre de créer une nouvelle source d'eau autonome — les pénuries d'eau douce actuelles et futures peuvent être comblées par la production d'une eau de haute qualité, à un coût raisonnable, dans le cas de grandes stations, à partir de l'eau de mer. Concernant l'aspect qualité, l'eau produite par le dessalement répond aux exigences de contrôle de qualité les plus strictes imposées à l'eau potable. L'eau est nettement plus douce, de sorte qu'elle précipite nettement moins de calcaire et réduit l'énergie dépensée pour le chauffage de l'eau par le secteur. Un autre avantage est de recevoir des eaux usées beaucoup moins salées qu'actuellement, ce qui permet d'améliorer les rendements de la production agricole, d'augmenter les possibilités d'utilisation des eaux usées et, de manière non moins significative, d'améliorer les eaux souterraines. Par ailleurs, un avantage économique et non des moindres est à mettre à son actif. Grâce aux améliorations technologiques et à la concurrence du marché, les coûts de dessalement diminuent et la production devient de plus en plus efficace. Bien que l'eau dessalée soit plus chère que l'eau douce naturelle, le coût supplémentaire est insignifiant comparé aux dommages économiques causés par l'assèchement des terres agricoles. La baisse du coût du dessalement se reflète dans les appels d'offres publiés au fil des ans. Dans l'appel d'offres de Maqtaa, le prix de l'eau a été fixé à environ 0, 55 dollar par mètre cube. Mais historiquement, le dessalement s'accompagne de certains inconvénients. Les usines de dessalement doivent non seulement gérer de près leurs eaux d'alimentation mais aussi leurs rejets de saumure hautement salée. Par ailleurs, la forte consommation d'énergie des usines de dessalement constitue un autre problème. Si l'on associe cette consommation élevée à un réseau d'approvisionnement à forte intensité d'émissions, les émissions d'une usine peuvent être extrêmement élevées, ce qui n'est certainement pas conforme avec l'accord de Paris sur le climat. Le secteur des ressources en eau est de plus en plus conscient de la nécessité de décarboniser le dessalement. Mais jusqu'à présent, il n'existe pas de normes vertes pour définir ce que devait être un système de dessalement conforme à l'Accord de Paris. Ainsi, les augmentations prévues de la capacité de dessalement rendent l'action climatique dans le secteur cruciale. La trajectoire actuelle du changement climatique, qui devrait conduire à un réchauffement de la planète de 3,1 à 3,7°C d'ici 2100, constitue une menace énorme pour l'avenir des nations et des économies du monde et particulièrement le sud de la Méditerranée. Les effets du changement climatique et les risques associés à une augmentation de plus de 2°C des températures mondiales d'ici la fin du siècle sont importants. Dans le même temps, l'urbanisation et le développement des infrastructures dans le secteur du dessalement augmentent pour répondre aux besoins nouveaux et émergents. Pour assurer un développement durable et stabiliser le changement climatique, ces infrastructures doivent être à la fois à faible teneur en carbone et résilientes au changement climatique, sans compromettre le type de croissance économique nécessaire pour améliorer les moyens de subsistance et le bien-être des citoyens. Du point de vue de l'atténuation du climat, l'eau et les infrastructures hydrauliques sont souvent étroitement liées aux émissions de carbone. La plupart des formes de production d'énergie consomment beaucoup d'eau, tandis que le traitement et le transfert de l'eau consomment eux-mêmes beaucoup d'énergie. Par conséquent, les efforts visant à réduire l'énergie consommée et/ou la quantité d'eau traitée ou déplacée peuvent tous avoir un impact très significatif sur les émissions de gaz à effet de serre et contribuer de manière importante à la décarbonisation rapide de l'économie nationale. La capacité des infrastructures hydrauliques — qu'elles soient grise ou verte — à fournir des services robustes et fiables est essentielle pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) et la contribution nationale déterminée, ainsi que les engagements de l'Accord de Paris de 2015. Le dessalement à base de membranes étant aujourd'hui la technologie largement adoptée pour les nouvelles usines de dessalement, cela ouvre des perspectives de décarbonisation grâce à de nouvelles sources d'énergie. Un scénario de développement durable élaboré par l'Agence internationale de l'énergie (IEA) suggère que, pour le Moyen-Orient, l'énergie renouvelable alimentant le dessalement devra passer de 0,7% en 2016 à 41,5% en 2040 pour être conforme au scénario de développement durable (SDD). Toutefois, le scénario des nouvelles politiques, qui reflète l'impact des cadres politiques existants et des intentions politiques annoncées aujourd'hui, prévoit une situation beaucoup moins ambitieuse pour le dessalement à partir d'énergies renouvelables. Cette situation serait nettement insuffisante pour aligner le dessalement sur l'Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Ainsi, les principales possibilités de décarbonisation du dessalement résident soit dans l'amélioration de l'efficacité énergétique d'une usine, et donc dans la réduction de ses besoins énergétiques, soit dans l'augmentation de la quantité d'énergie provenant de sources renouvelables. Aujourd'hui, les technologies de dessalement disponibles ont permis d'améliorer considérablement l'efficacité énergétique, tandis que les développements dans le domaine des énergies renouvelables représentent une opportunité pour les usines de dessalement de changer leur source d'énergie pour des sources neutres en carbone. Le dessalement a donc le potentiel pour devenir un élément clé de la résilience du climat mondial, et donc de l'eau. D'autre part, l'application de certains critères pour l'implémentation d'une station de dessalement pourrait contribuer à réduire son empreinte carbone. Une vue simplifiée de l'étendue des actifs et des activités de dessalement pourrait se limiter à un seul type d'actif. Cependant, dans une usine de dessalement, des distinctions peuvent être faites entre les usines en fonction de : (i) la taille ; (ii) le type d'eau dessalée (par exemple, l'eau de mer ou l'eau saumâtre) ; ou (iii) l'emplacement (par exemple, intérieures ou côtières). D'autres distinctions peuvent être faites entre les usines sur la base de la qualité de l'eau (c'est-à-dire l'alimentation et le produit), des conditions du site (par exemple, l'élévation de l'usine) et de l'emplacement (par exemple, les exigences en matière de transport et la topographie). Il existe donc des variations considérables entre les usines de dessalement, ce qui affecte leur capacité à décarboniser et à fonctionner de manière durable. Les usines de moyenne et grande taille (dont la capacité varie de 1000 m3 à 1 000 000 m3 d'eau produite par jour) peuvent intégrer des niveaux élevés d'énergie propre pour leur alimentation électrique. Par contre, les besoins énergétiques et fonciers plus faibles des petites stations (dont les capacités sont inférieures ou égales à 100 m3 par jour) les rendent encore plus adaptées aux sources d'énergie à faible teneur en carbone, telles que l'énergie solaire ou éolienne. Il peut même s'agir d'une source d'énergie directement produite sur place, sans qu'il y soit un besoin de se connecter au réseau électrique. La possibilité de fixer des seuils des émissions comme élément d'atténuation pour les usines de dessalement peut donc être envisagée. Par exemple, cela aurait pu prendre la forme d'un seuil de gCO2/m3 d'eau douce produite. Ce seuil serait aligné sur les lignes directrices du GIEC relatives aux scénarios de réchauffement de 1,5°C . Les émetteurs pourraient alors passer en dessous de ce seuil d'émissions soit en ayant une faible consommation d'énergie, en ayant une grande proportion d'énergie renouvelable, ou une combinaison des deux. Un obstacle fréquemment cité dans le domaine du dessalement à l'intégration complète des énergies renouvelables dans les centrales électriques est celui de l'intermittence. En effet, la nature intermittente de l'énergie renouvelable peut entraîner des périodes de faible production en cas de faible ensoleillement ou de vitesse du vent, avec peu de moyens de stocker l'énergie pour une utilisation ultérieure. Les utilisations finales de l'eau dessalée nécessitent souvent un approvisionnement constant et donc une production constante. Toutefois, cette question ne devrait pas empêcher l'intégration d'une forte proportion d'énergie renouvelable comme norme pour les usines. Des technologies telles que l'énergie solaire concentrée (CSP) permettent de stocker de l'énergie renouvelable pour faire fonctionner une usine en permanence. À plus long terme, la technologie des batteries et l'hydrogène vert pourraient fournir une solution de stockage fiable. Pour réduire leur impact carbone et atteindre l'objectif de zéro émission à l'horizon 2050, comme c'est le cas en Europe, les stations de dessalement doivent être modernisées pour espérer atteindre cet objectif. Dans cette optique, certains projets de dessalement en cours ou récemment réalisés ont intégré les énergies renouvelables afin d'optimiser la consommation d'électricité et de réduire la dépendance au réseau. C'est le cas par exemple du projet Jubail 3B en Arabie Saoudite, développé dans le cadre du partenariat public-privé (PPP) dont l'exploitation commerciale est prévue en 2024. Le projet comprendra une installation solaire d'une capacité de 60 MW — la plus grande capacité solaire interne pour une usine de dessalement dans ce pays avec comme objectif d'optimiser la consommation d'électricité et de réduire la dépendance au réseau. Il vise, entre autres, à soutenir le développement de solutions énergétiques propres, la création d'emplois locaux et le transfert de connaissances. N. D. (*) CRTSE-Division CCPM- N°2, Bd Dr. Frantz-Fanon, P.O.Box 140, 16038 Alger Sept Merveilles, Algeria.