Sans base juridique, le télétravail s'est imposé comme une alternative au moment où employeurs et salariés avaient été surpris par l'ampleur de la pandémie de Covid-19. Plus de deux années plus tard, la pratique est toujours courante. Le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) lui a consacré une étude. Il en ressort que les conditions pour la généralisation du télétravail ne sont pas encore réunies pour plusieurs raisons dont les habitations exiguës et le manque de confiance entre employeurs et employés. Si les travailleurs questionnés se félicitent de pouvoir concilier vie professionnelle et vie de famille, l'enquête conclut à la nécessité de mieux structurer cette pratique tant par de nouvelles formes managériales que des textes réglementaires. Nawal Imès- Alger (Le Soir)- L'émergence de l'épidémie de Covid-19 et le confinement qui s'en était suivi n'a laissé que très peu d'alternatives à de nombreuses entreprises. Pour éviter les congés exceptionnels ou l'arrêt de certaines activités, le télétravail s'est imposé comme la seule alternative. De très nombreux employés tous secteurs confondus se sont retrouvés à travailler à partir de leurs domiciles. Le télétravail faisait ainsi son entrée dans les mœurs. Pourtant, la législation du travail ne lui consacre aucun texte. Cette pratique est très souvent confondue avec le travail à domicile. Le code du travail précise en effet qu'«est qualifié de travailleur à domicile tout travailleur qui exerce en son domicile des activités de production de biens, de services ou de transformation moyennant rémunération, pour le compte d'un ou de plusieurs employeurs ; exécute ses activités seul ou avec l'aide des membres de sa famille, à l'exclusion de toute main-d'œuvre salariée et se procure lui-même tout ou partie des matières premières et des instruments de travail ou se les fait remettre par l'employeur». Le télétravail, pour sa part, est défini en général comme étant une forme d'organisation ou de réalisation du travail utilisant les technologies de l'information et de la communication, alors que ce même travail peut s'effectuer dans les locaux de l'employeur, d'où la nuance. Plusieurs chercheurs se sont intéressés à cette pratique sous la houlette du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) et ont élaboré un rapport technique, dans lequel ils plaident pour la mise en place d'un cadre juridique du télétravail, à travers la révision du code du travail, pour, disent-ils, éviter «l'expansion anarchique de cette nouvelle forme d'organisation informelle du travail en Algérie». Cette révision permettra de définir les relations de travail dans le cas du télétravail pour prévenir les conflits de travail qui pourront surgir, de préciser le volume horaire en télétravail, les conditions de prévention en matière de santé et de sécurité et les conditions de travail et de formation. En questionnant des salariés ayant vécu l'expérience du télétravail, les chercheurs ont pu constater «une absence quasi-totale des moyens et des espaces dédiés au télétravail», très souvent en raison «des habitations exiguës, de l'absence d'une culture de travail à domicile, inadaptation du travail à l'exécution à distance, manque de confiance entre l'employeur et l'employé et forte proportion des formes de travail informelles». Ce manque de conditions représente, disent-ils, un frein au développement de cette pratique. Pourtant, l'enquête a permis de constater que le télétravail est plébiscité. L'exiguïté des habitations, la connexion... Elle a ciblé un échantillon de salariés diversifié en termes de secteur, de localisation et d'âge. La majorité des répondants, soit un taux de 82%, ont vécu l'expérience du télétravail pendant la période de confinement dont 51,7% d'hommes et 48,3% de femmes. 66,2% des salariés interviewés ont entre 30 et 39 ans. La majorité, soit 53,9%, sont mariés et 79,2% ont déclaré avoir au moins un enfant à charge. L'échantillon est essentiellement issu des wilayas du centre du pays et 76,4% des enquêtés disent habiter des appartements. Par secteur d'activité, il ressort que 18% des répondants sont actifs dans le secteur de l'enseignement et 14% dans le secteur des activités scientifiques et techniques, tandis que 9% et 12% exercent des activités financières, informatiques et dans les administrations publiques respectivement. Comment ont-ils vécu l'expérience ? Les télétravailleurs algériens avancent que les avantages liés au télétravail tournent essentiellement autour «des concepts d'autonomie et de liberté d'action». Ils ont évoqué «la flexibilité dans les horaires, une meilleure responsabilisation, une autonomie dans le travail, de l'efficacité, et un plus grand engagement, tout en diminuant la fatigue journalière liée au transport et aux aléas du quotidien mais notamment des économies sur le budget de la restauration et du transport». Ils sont majoritaires à estimer que les avantages sont «d'ordre personnel et sont essentiellement liés à la conciliation de la vie professionnelle et la vie privée tout en réduisant l'effet de la fatigue journalière liée au transport et aux aléas du quotidien». Cela, disent-ils, a induit «une meilleure efficacité» pour 57,7% des personnes questionnées, et un «plus grand engagement au travail» pour 64,3% d'entre elles. Interrogés sur les risques d'isolement, les télétravailleurs algériens estiment à hauteur de 40% que «cette forme de travail n'engendre pas une perte de contact avec les collègues». A la question : «souhaiteriez-vous poursuivre le télétravail ?» 75.3% émettent le souhait de poursuivre même après la période de confinement le télétravail pour plusieurs raisons, notamment pour la flexibilité des horaires, une meilleure gestion du temps et une plus grande autonomie. Pourtant, interrogé au sujet de l'avenir du télétravail, les réponses reposent sur deux tendances quasi similaires: 55% des questionnés souhaiteraient continuer à effectuer le télétravail contre 45% le rejetant. Les raisons ? Beaucoup d'entre eux estiment que «c'est une réalité lointaine du fait de l'absence du cadre juridique». En conclusion, l'enquête met le doigt sur «un accompagnement managérial insuffisant dans la mise en place du télétravail du fait de la décision soudaine du confinement» et «le besoin de structurer les pratiques professionnelles par de nouvelles manières de manager». A cela s'ajoutent les conditions purement matérielles, dont une bonne connexion internet. Si plus d'un tiers des répondants, soit 36,9%, sont satisfaits de la qualité de la connexion internet, bien que le débit soit relativement faible ne dépassant pas les 4Mo, pour 47,9% des répondants, cependant, 43,8% estiment que la connexion internet est moyenne, tandis que 6,8% considèrent qu'elle est tout simplement mauvaise. Elle constitue cependant une condition sine qua non pour la réussite du télétravail. N. I.