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A FONDS PERDUS
La mal�diction autoritaire
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 10 - 2010


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Dans une chronique r�cente, nous avions survol�, en promettant d�y revenir, la question r�currente : pourquoi les m�canismes de r�gulation politique restent d'essence polici�re (et non militaire) et n�ont pas � ce jour c�d� devant les vell�it�s de r�formes entreprises intra-muros nous condamnant � un d�ficit d�mocratique structurel chronique ?
De l�avis de l�historien fran�ais, Jacques Fr�meaux, auteur de nombreux �crits sur la guerre d�Alg�rie, ces m�canismes remontent aux premiers temps du mouvement national. La guerre d'Alg�rie ayant, d�un c�t� comme de l�autre, toujours fait la part belle aux services sp�ciaux. �Sept ans de guerre ont privil�gi�, au sein des deux camps, la manipulation, la propagande et la tentation totalitaire �(1), rel�ve-t-il fort pertinemment dans un bilan ��quilibr� de la guerre d'Alg�rie. Cette th�se est publiquement partag�e par Ahmed Benbitour, ex- Premier ministre, qui, dans une r�cente chronique, revient sur la crise de 1953-1954 et la cr�ation du Comit� r�volutionnaire d�unit� et d�action en mars 1954(2). Cet �v�nement est interpr�t� comme l��chec des �lites : elles auraient �perdu la capacit� d�initiative � un moment crucial de l�histoire de notre processus de lib�ration nationale. C��tait un coup dur qui n�a toujours pas �t� d�pass�. Dans la m�me chronique(3), A. Benbitour s�appesantit sur les �dommages collat�raux� de l��v�nement : �La marginalisation des �lites et le sacrifice de la d�mocratie et de l�avis contraire au profit de l�unit� d�action. La r�gle �tait : �Lorsque le fusil parle, la plume doit se taire��. L�assassinat d�Abane Ramdane, la chasse aux intellectuels, la �Bleuite� �tant les expressions les plus manifestes de cette lame de fond irr�versible � ce jour. D�s lors, il ne peut �tre �lud� que �la marginalisation des �lites et le sacrifice de la d�mocratie et des contre-pouvoirs trouvent leur racine dans le processus de lutte de lib�ration nationale du syst�me colonial�. La qu�te diff�r�e d�un pacte civil, n�goci� et contraignant, est l��chec d�une �quation que les Boudhistes rattachent fort opportun�ment � une formule qui ramasse quatre param�tres : il ne suffit pas de s�interdire de voler (dans notre cas la pr�dation) ; encore faut-il donner (partage et justice sociale), pardonner (param�tre moral) et s�abandonner (pour que s�instaure la confiance). Le Congr�s de la Soummam est un moment fort de r�conciliation avort�e (la Charte est rest�e sans suite) en pleine lutte de Lib�ration nationale � le double compromis de la primaut� du politique sur le militaire et de l�int�rieur sur l�ext�rieur n�ayant pas trouv� de prolongement pratique et durable au lendemain de l�ind�pendance. Pour Omar Carlier, dont on ne saluera jamais assez l�effort de mise en perspective historique de la violence dans notre histoire nationale contemporaine, Nation et Jihad semblent �tre les deux faces d�une m�me pi�ce qui met en p�ril, d�un c�t�, les libert�s de consciences, sociales et culturelles, de l�autre les libert�s politiques, �conomiques, m�diatiques et syndicales : �Donn�e ph�nom�nologique majeure de la situation alg�rienne d�aujourd�hui, la violence est dans le m�me temps sympt�me, ressource et langage. Multiforme, elle traverse tous les registres et niveaux de l�exister humain : domestiques et politiques, �conomiques et religieux.�(4) Des recherches plus r�centes(5) mettent en �vidence que l�un des effets de la rente �est qu�elle produit de la violence dans le sens o� ceux qui en sont les principaux d�tenteurs, gestionnaires et utilisateurs, ont des moyens consid�rables � leur disposition pour pouvoir �difier des appareils de s�curit� extr�mement importants, complexes et performants qui limitent toute forme de contestation, voire de d�mocratisation. La rente devient un bien pr�cieux � ne pas partager (�) Un Etat sans rente est beaucoup plus consensuel, mesur� et nuanc� avec les mouvements d�opposition�. Malheureusement pour les artisans de cette voie, la contrainte ne suffit pas � construire un Etat, ou un r�gime, ou encore moins un syst�me, de fa�on p�renne parce qu�accept� et admis de tous comme arbitre impartial des grands compromis. A peine dispose-t-on alors d�un pouvoir, d�une autorit�, de nature polici�re, forc�ment arbitraire, avec des formes sans cesse renouvel�es de domination-soumission. Deux moyens compl�mentaires participent � la reproduction de cette autorit� : la captation de la rente et la r�pression sociale.
- Le premier axe d�effort, prioritaire, des autorit�s en poste est la pr�servation du noyau dur de captation et d�organisation de la rente p�troli�re, � l�abri de toute construction institutionnelle d�mocratique et transparente. Parmi les nombreux outils usit�s � cette fin : la cooptation, le client�lisme, le �pantouflage� et, plus fondamentalement, le filtrage pr�alable �troit pour l�acc�s aux fonctions qui participent d�une mani�re ou d�une autre � la r�gulation sociale. Les seules exceptions � cette r�gle �tant la corruption des leaders de mouvements sociaux, dans un souci d��cr�mage et d�atomisation de la contestation, d�une part, et de fa�on plus durable, l��change de la paix sociale contre la rente, d�autre part. Pour des raisons d�image, notamment internationale, de mise en sc�ne et de th��tralisation, � l�exception de l�assassinat de Boudiaf et de la disparition de Boumedi�ne, le syst�me a souvent �vit� le pire, mais il a entach� toutes les fins de mandats pr�sidentiels par ce que M. Mehri appelle gentiment �un flot d'accusations et de critiques �. Le pouvoir r�el se drape souvent de la couverture de la fonction pr�sidentielle. M. Mehri �crit encore : �Des voix s'�l�vent alors, par conviction ou par conformisme, pour lui faire assumer, seul, la responsabilit� de l'impuissance, des erreurs, du marasme, des d�viations et des d�passements qui ont eu lieu dans le pays au cours de sa magistrature.� Qu'il s'agisse des campagnes de glorification ou de celles de d�nigrement, les voix d�opportunistes sont les plus fortes. Elles occultent �tout d�bat s�rieux sur l'�valuation du syst�me de pouvoir �tabli depuis l'ind�pendance, de ses institutions, des programmes et des politiques suivies durant l'�tape pr�c�dente dans la gestion du pays�. De fait, ces pratiques sont la preuve �clatante que les institutions n�expriment pas la volont� du peuple, ne sont pas d�mocratiques, repr�sentatives et efficientes. Ces institutions favorisent toujours le droit de la force et non la force du droit. Les compromis et les accords qui se construisent sur ce param�tre n�ont pas encore livr� tous leurs secrets. Ce qui autorise M. Mehri � dire que �le probl�me central qui se pose aujourd'hui n'est pas, simplement, le choix d'un homme, capable de r�soudre les probl�mes du pays, mais l'�dification d'un syst�me de gouvernement � qui restitue l�initiative aux citoyens.
- Le second axe d�effort, compl�mentaire, est l�entretien de d�tachements entiers de d�lateurs et de pr�pos�s � l�encadrement id�ologique de la soci�t�, avec une instrumentation �hont�e de la religion. En confiant l�encadrement de la soci�t� � des formations entristes, dites �islamistes�, tout droit sorties des �prouvettes de Big Brother. Mais rien n�y fait, sur l�essentiel, le divorce est consomm� entre l�Etat et la soci�t�, avec une multiplication des zones de non-droit, de d�nis de droits et de passe-droits nourries par une �conomie informelle qui absorbe un peu plus du tiers du produit int�rieur brut. Il reste � savoir qui est Big Brother, en prenant minutieusement soin de dissocier l�ing�nieur, donneur d�ordre, qui a con�u le logiciel et l�utilisateur local de la disquette, aussi z�l� soit-il. Dans une correspondance � son pr�sident, un S�n�galais � qui aurait pu �tre un Alg�rien � �crivait r�cemment : �Depuis 50 ans, vous d�gradez, vous humiliez, et vous rendez faible le citoyen s�n�galais. Aujourd�hui, un nombre inestimable d�entre eux a repris la nationalit� fran�aise. En clair, ils se sont mis � genoux, ils ont perdu, aval� les revendications dignes et fi�res de leurs p�res � la veille de 1960. De tout �a, les responsables s�appellent Senghor, Diouf et Wade. Aujourd�hui, ce qui serait vraiment juste si votre politique devait continuer, c�est de demander � votre m�re patrie, la France, de vous recoloniser pour que tous soient sur un pied d��galit�. Votre r�gne a cr�� des S�n�galais de plusieurs cat�gories : le mieux loti aujourd�hui, le S�n�galais double nationalit�, l�immigr� bien assis avec une carte de s�jour, puis les sans-papiers qui ont r�ussi � fuir et errer dans les villes europ�ennes, et en dernier les peuples qui subissent et cherchent � la moindre occasion de se tirer. Quel �chec. Les enfants quittent la bergerie � cause des loups qui s�y trouvent. Aujourd�hui, une chose est s�re, si on offrait la nationalit� fran�aise aux S�n�galais rest�s au pays, ton pays serait vide.�
A. B.
(1) Jacques Fr�meaux, La France et l�Alg�rie en guerre, Economica et Institut de strat�gie compar�e, Paris 2002.
(2) Le Crua a �t� cr�� par neuf jeunes : Hocine A�t Ahmed, Ahmed Ben Bella, Krim Belkacem, Mostefa Benboula�d, Larbi Ben M�hidi, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Mohamed Khider.
(3) Ahmed Benbitour, Les �lites face � la crise : les le�ons � tirer de la crise de 1953-1954, Libert�, jeudi 14 octobre 2010, page 2.
(4) Omar Carlier, Entre nation et jihad : histoire sociale des radicalismes alg�riens, Presses de Sciences Po, Paris, juin 1995, p. 393.
(5) Luiz Martinez, La rente p�troli�re source de violences pour l�Alg�rie, in Moyen-Orient, n� 7, ao�t-septembre 2010, pp. 32-36.


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