Soufiane Djillali, intellectuel et ex-dirigeant du PRA, ne cache pas sa col�re suite aux �v�nements de ces derniers jours et � l�incapacit� des gouvernants � apporter une r�ponse s�rieuse � la mal-vie des Alg�riens. �Il s�agit de nos enfants, bon Dieu !� s��crie-t-il. Entretien avec un d�mocrate qui ne m�che pas ses mots. Le Soir d�Alg�rie : Les Alg�riens ont renou� avec les �meutes. Que vous inspirent ces jeunes qui se r�voltent ? S�agit-il vraiment d�une r�action � l�augmentation des prix du sucre et d�autres denr�es alimentaires ? Soufiane Djillali : Il est incontestable que les augmentations des prix ont �t� l��tincelle qui a fait exploser la rue. Mais c�est aussi trop simple de penser que seule cette cause peut mener � une telle d�ferlante. Il y a un d�sespoir profond chez les laiss�s- pour-compte. La fracture entre ceux qui s�en sortent et le reste est trop visible, trop b�ante. Les jeunes appellent au secours depuis des ann�es mais les pouvoirs publics n�arrivent pas, apparemment, � les entendre. Dans la vie, tout a une limite. La patience aussi. Quelle est alors la nature de ces �v�nements ? Elle est fondamentalement politique. Il n�y a plus aucune m�diation entre le pouvoir en place et le reste de la population. Le pouvoir � fait le vide autour de lui, il reste seul face au peuple. Malheureusement pour l�Alg�rie, un pouvoir absolu corrompt absolument. Et je vous le dis tout de suite : la r�pression n�est pas la solution. Il y a eu mort d�hommes, malgr� tout, la r�pression a �t� moins dure que lors des �v�nements d�Octobre 88 ? Incontestablement, les services de s�curit� ont montr� une bien meilleure discipline et ma�trise que lors de 88 ou m�me 2002. Ils sont mieux �quip�s et surtout ils ont une bien plus grande exp�rience avec ce type de situation. Il faut dire qu�ils ont eu l�occasion de s�entra�ner durant toute l�ann�e ! Ce sont eux qui finalement payent pour l�incomp�tence politique. Cependant, il serait illusoire d�attendre d�eux qu�ils viennent � chaque fois � la rescousse. J�ai bien peur qu�ils soient assez vite d�pass�s � l�avenir si un traitement politique tr�s s�rieux ne vient pas remettre de l�ordre dans le pays. Les Alg�riens ont �t� jusque-l� g�r�s par la carotte et le b�ton. Lorsque le p�trole ne sera plus l�, croyez-vous s�rieusement que le b�ton suffise � maintenir la paix civile ? Personnellement, j�en doute fort. Cependant, les choses semblent rentrer dans l�ordre, les derni�res d�cisions concernant le prix du sucre et de l�huile ont permis le retour au calme... Le retour au calme est de surface. Le danger avec de telles situations, c�est que �a peut d�g�n�rer de nouveau au moindre faux-pas. Quant � la r�duction des prix du sucre et de l�huile sur le march�, permettez-moi de douter qu�il s�agisse l� d�une solution s�rieuse. Ce n�est pas 300 millions de dollars consacr�s � la baisse du prix de ces produits au profit des 35 millions de consommateurs mais un plan sp�cifique � cette frange de la population qui aurait d� �tre la r�ponse du gouvernement. Quand je pense que l�organisation de la rencontre sur le gaz � Oran a n�cessit� 800 millions de dollars pour quelques jours je deviens hypertendu ! Non ! Messieurs du gouvernement, il aurait fallu un plan d�au moins dix milliards de dollars sur 3 � 5 ans et destin� � cette frange de jeunes d�s�uvr�s ! C�est une somme faramineuse... Ce n�est m�me pas 7% de nos r�serves qui agonisent dans les banques �trang�res au profit des autres nations. C�est de nos enfants dont il s�agit ici, Bon Dieu ! Ne valent-ils pas cette somme ? Si l�argent de notre p�trole n�est pas utilis� pour former et �duquer notre jeunesse, lui donner du travail et surtout prot�ger sa dignit�, � quoi sert-il de pomper encore notre sous-sol ? Mais un tel investissement demande beaucoup de temps pour donner des r�sultats, or il y a urgence. Il y a des choses qui peuvent �tre faites rapidement. Nos villes sont sales, les espaces verts mal entretenus, les aires de jeux abandonn�es� Nos communes pourraient recruter sur l�ensemble du territoire plusieurs milliers de ces jeunes peu form�s mais qui trouveraient l� une occupation r�mun�r�e pour embellir nos villes. N�est-ce pas mieux que la casse ? Bien s�r, il s�agit l� d�un geste plein de symboles, pas une solution d�finitive, entendons- nous. Celle-ci aurait d� �tre pr�par�e depuis longtemps. Elle passe par une v�ritable formation, plut�t professionnelle que th�orique. Les besoins dans le b�timent et dans d�autres secteurs peuvent �tre immenses. Il faut penser � relancer le textile qui a �t� lamin� par un libre �changisme excessif. La p�che, l�artisanat, le tourisme, la PME/PMI, etc, tous sont des secteurs qui pourraient absorber de la main-d��uvre. L�agriculture est un autre secteur vital qui pourrait offrir d�autres issues. Le territoire est presque inoccup�. Les espaces ne manquent pas. Il y a tellement de choses � faire bien plus int�ressantes que de livrer les trottoirs � ces jeunes transform�s en masse en gardiens de parking ! Bien s�r rien n�est facile, et c�est pour cela que l��tablissement de l�Etat de droit et un retour au processus d�mocratique sont vitaux. Ils donneront de la patience et du souffle au pays. Mais avant tout, il faut parler directement � ces jeunes et surtout les �couter. Ces jeunes ont agi comme leurs a�n�s d�Octobre 88, alors qu�au vu de leur �ge, ils n��taient m�me pas n�s � cette date. Comment expliquez-vous ce comportement ? Vous savez, il y a une forme de d�terminisme. Lorsque vous subissez trop de pression vous finissez par r�agir, ensuite, c�est la culture ambiante qui d�termine vos modes de r�action. Dans notre culture, il y a, ne l�oubliez pas, une forme de nihilisme et d�apologie de la violence. Et surtout, le terrorisme des ann�es 90 a laiss� de profondes traces. Les ann�es du parti unique puis de la d�cennie rouge ont bris� beaucoup de rep�res et de r�f�rents. Pour g�rer toutes ces s�quelles, il aurait fallu un pouvoir plus protecteur pour la nation, plus apaisant. Il aurait fallu une politique sociale plus soutenue et surtout plus juste. Malheureusement, nous avions eu droit durant cette d�cennie, d�abord � un discours exub�rant et d�stabilisant, puis dans une deuxi�me phase � un silence d�primant, qui est per�u par la population comme du m�pris. Notre jeunesse souffre de beaucoup de maux. Mal instruite, elle est trop souvent la proie des maux sociaux. La drogue fait des ravages. La d�linquance n�est pas toujours tr�s loin. Il est clair que cette jeunesse est en souffrance. Le ph�nom�ne de harga, qui est bien �videmment une forme de suicide, est un appel au secours. Le sentiment d�abandon est tr�s fort. Mais en face, que fait-on ? Les jeunes ont montr� leur ras-le-bol, nos dirigeants ont regard� leurs doigts ! Pourtant, cette jeunesse pourrait trouver son chemin. Elle a de grandes qualit�s. Ces jeunes aiment leur pays. Ils peuvent �tre valeureux. Ils nous l�on prouv� � plusieurs reprises, lors des inondations � Bab-El-Oued ou plus r�cemment � Omdourman. Qu�y a-t-il lieu de faire alors ? Il faut que les gouvernants s�occupent du pays. Il faut que la corruption et la pr�dation cessent. Il faut que l��conomie tourne � la hauteur de nos ressources. Et puis je vais vous dire, au fond, pour diriger ce pays, il faut aimer son peuple ! Vous insinuez que les dirigeants actuels n�aiment pas leur peuple ? Je ne sais pas ce qu�il y a au fond de leur c�ur, mais je peux vous dire qu�ils ne donnent pas l�impression d�avoir beaucoup de sentiments sinc�res envers lui et encore moins de l�affection. En tout �tat de cause, le sort de notre jeunesse est triste. Il faut vraiment �touffer sous son narcissisme ou avoir un c�ur blind� pour ne pas avoir de compassion pour elle. N�y a-t-il pas un relent populiste dans ce discours ? Vous avez �t� longtemps secr�taire g�n�ral du PRA, et vous d�fendiez alors le lib�ralisme. Non, ce n�est pas du populisme. Ce que je dis est profond�ment sinc�re. J�ai mal de voir tant de g�chis. L�Alg�rie aurait pu mieux faire, beaucoup mieux faire. Dans les ann�es 90, l�Alg�rie �tait sans le sous, les hommes politiques ne se bousculaient pas au portillon, les risques �taient trop �lev�s peut-�tre ? Dans les ann�es 2000, l�Etat �tait redevenu riche gr�ce au p�trole et les hommes politiques furent remplac�s par une noria de pr�dateurs. Ce sont eux qui portent la responsabilit� de ces derniers �v�nements qui ne seront pas, � l��vidence, les derniers. Tant que des r�formes profondes ne sont pas mises sur les rails tant dans la vie politique qu��conomique, les choses empireront. Et pour le lib�ralisme ? Lib�ralisme. Socialisme. Vous savez, ce sont des �tiquettes. Ces notions ont peu de prise sur notre r�el. La v�rit� est que notre �conomie est dirig�e selon des normes inconnues ailleurs. Les m�mes ont d�ailleurs pr�n� le socialisme en son temps puis sont devenus de f�roces n�olib�raux. Ils peuvent appliquer avec z�le les directives du FMI ou vous faire l��conomie de guerre : pourvu qu�ils restent aux commandes ! O� est alors le probl�me ? La probl�matique de l�Alg�rie est ailleurs : les dirigeants de ce pays ont-ils la volont� de mettre en place une �conomie autonome, �quilibr�e dans ses �changes avec l�ext�rieur, capable d�innover, de produire et d�exporter ? L�Alg�rie peut-elle se passer de ses hydrocarbures ? Peut-elle nourrir ses enfants par ses propres moyens ? Peut-elle am�liorer le niveau de vie de sa population ? Je suis heurt� de voir comment l�argent de la nation part dans la quincaillerie que nous importons. La l�gislation alg�rienne a �t� con�ue pour favoriser l�importation des produits finis en lieu et place de la production nationale. Je peux vous donner des centaines d�exemples. L�impression que j�ai est qu�il y a une politique d�lib�r�e pour que l�Alg�rie reste dans cette d�pendance. Jusqu�� quand ? Quelle va �tre la suite des �v�nements d�apr�s vous ? Ma crainte est que rien ne change fondamentalement encore pour un temps. Le pouvoir va balbutier quelques regrets, marmonner quelques menaces, s�vir � l�ombre et c�est tout. En attendant que tout reprenne de nouveau. Mais, ne soyons pas totalement pessimistes. Si le pr�sident de la R�publique voulait bien faire, il g�rerait alors une v�ritable transition d�mocratique pour aboutir en 2014 � une �lection pr�sidentielle authentique. Mais, on peut penser que cela ne fait pas partie de son programme. Alors, les jeunes imposeront, � n�en pas douter, leurs r�gles du jeu !